Nous rapportons 2 cas d'un effet
                     secondaire particulier, induit par la
                     clomipramine, et consistant en la survenue de
                     l'association de bâillements
                     très fréquents et de
                     manifestations d'excitation sexuelle. Cet
                     effet atypique semble exceptionnel, mais il a
                     déjà été
                     décrit dans la littérature comme
                     nous le verrons plus loin. Il nous paraît
                     intéressant de le faire connaître,
                     non seulement du point de vue de la pratique
                     clinique mais aussi du point de vue de la
                     neurobiologie.
                     
                     Données cliniques : Ces 2 cas
                     concernent des patients noirs africains.Ils ont
                     été collectés dans le cadre
                     d'une étude clinique et
                     thérapeutique de la dépression que
                     nous avons réalisée au
                     Bénin. La population d'étude
                     comportait 83 patients. Ces patients
                     étaient traités par clomipramine
                     75 mg per os; 41 ont reçu le traitement
                     pendant les 4 semaines prévues, 12 sont
                     sortis de l'étude ou ont
                     été perdus de vue en cours de
                     traitement; les 30 derniers ont
                     été perdus de vue après la
                     consultation initiale et nous n'avons chez eux
                     aucune information sur leur traitement et ses
                     effets secondaires. Ces 2 cas ont donc
                     été recueillis sur un ensemble de
                     41 plus 12, soit 53 patients.
                     
                     Cas n° 1 : Il s'agit d'une femme
                     de 29 ans, mariée, venant consulter pour
                     une frigidité évoluant depuis 1
                     an. Il existe en fait une dépression
                     associée avec asthénie, insomnie,
                     difficultés de concentration,
                     céphalées et préoccupations
                     persécutves. Elle n'a pas
                     d'antécédent. A partir du
                     1o°j de traiterrmt par clomipramine, 75 mg
                     per os, elle signale la survenue de
                     bâillements très
                     fréquents (de plusieurs par heure
                     jusqu'à un toutes les quelques minutes en
                     cours de matinée) au cours de la
                     journée. A ces bâillements
                     s'associe l'apparition, chaque matin, pendant
                     une durée d'environ 1 h, d'une sensation
                     d'excitation sexuelle intense avec lubrification
                     vaginale abondante (comme jamais elle n'en a
                     connu, précise-t-elle). Vers le 20°
                     jour, ce phénomène d'excitation
                     sexuelle diminue et disparait progressivement
                     pour laisser place à une sensation de
                     désintérêt sexuel, moins
                     marqué toutefois qu'il n'était
                     avant traitement. L'évaluation clinique
                     réalisée au 28° jour montre,
                     par ailleurs, une amélioration globale
                     satisfaisante, exceptée la persistance
                     d'une certaine asthénie et d'une tendance
                     à beaucoup bâiller. La patiente
                     initie d'elle-même, à partir du
                     27° jour, une réduction de posologie
                     à 37,5 mg qui permettra la dissipation de
                     ces derniers troubles et une rémission
                     complète avec un recul de 4 mois. Les
                     concentrations plasmatiques au 28° jour
                     (sachant que la veille du
                     prélèvement la patiente n'a pris
                     que la moitié de la posologie
                     antérieure de 75 mg) sont de 85 ng/ml
                     pour la clomipramine et 95 ng/mI pour la
                     déméthylclornipramine.
                     
                     Cas no 2 : Il s'agit d'un homme de 37
                     ans qui consulte pour un épisode
                     dépressif évoluant depuis quelques
                     semaines, marqué par la tristesse, la
                     perte de goût, l'asthénie,
                     l'insomnie, une baisse de libido et la survenue
                     de 3 attaques de panique très
                     sévères rapidement suivies d'une
                     anxiété
                     généralisée secondaire. A
                     l'âge de 20 ans, il avait fait un premier
                     épisode dépressif associé
                     à des attaques de panique. Au 3°
                     jour de son traitement par clomipramine 75 mg,
                     il fait une attaque de panique nocturne au cours
                     de laquelle survient un orgasme spontané
                     avec éjaculation. Lors du premier
                     épisode, 17 ans plus tôt, la
                     même chose s'était produite sans
                     qu'il soit possible de préciser
                     rétrospectivement la question de la prise
                     d'un traitement. Un tel phénomène
                     ne se reproduira pas. Dans les jours qui
                     suivent, le patient se met à
                     bâiller très souvent,
                     jusqu'à 10 fois par heure. Chaque
                     bâillement est accompagné d'une
                     sensation hypogastrique brève mais
                     intense que le patient décrit comme
                     étant du domaine du plaisir sexuel.
                     Après le 10° jour de traitement, ce
                     phénomène s'atténue mais
                     persiste. Il est toujours présent quand
                     le patient est vu pour la dernière fois
                     au 35° jour de traitement. La
                     réponse thérapeutique
                     apparaît, à ce moment,
                     médiocre. Les concentrations plasmatiques
                     mesurées au 35e jour sont de 70 ng/ml
                     pour la clomipramine et 80 ng/ml pour la
                     déméthylclornipramine.
                     
                     Autres données de la
                     littérature : En 1983, Mc Lean et al.
                     (10) ont rapporté 3 cas similaires avec
                     la clomipramine. Il s'agissait de
                     bâillements accompagnés d'orgasmes
                     spontanés dans 2 cas (1 homme et 1 femme)
                     ou d'un désir sexuel intense dans 1 cas
                     (1 femme). Les patients étaient
                     traités par 75 à 1OOmg/j de
                     clomipramine pour dépression. L'effet
                     secondaire s'installait dans les prémiers
                     jours après le traitement et seule
                     l'interruption du traitement, amenait une
                     disparition de ces'effets secondaires. Notons
                     que les 3 patients étaient
                     améliorés par leur traitement
                     antidépresseur. Tout récemment, un
                     cas exemplaire de ce même syndrome a
                     été décrit par Modell (11)
                     chez une jeune femme traitée par
                     fluoxétine. Les symptômes
                     apparaissent, en cours de matinée, peu
                     après la prise du médicament et
                     disparaissent en 1 h. Les bâillements
                     atteignent une fréquence maximale de 2
                     par minute et les symptômes sexuels
                     comportent une turgescence clitoridienne et des
                     orgasmes spontanés. Absent à la
                     posologie initiale de 20 mg, le syndrome se
                     manifeste à partir de celle de 40 mg.
                     Après un arrêt de 2 semaines du
                     traitement, suivi d'une disparition des effets
                     secondaires, la fluoxétine est reprise
                     à la posologie de 40 mg. Les effets
                     secondaires réapparaissent quelques
                     jours, les manifestations sexuelles s'estompent
                     ensuite pour reprendre de plus belle lors du
                     passage à 60 mg/1. Là encore, au
                     bout de quelques jours, les manifestions
                     sexuelles s'atténuent. Au 10e jour,
                     lorsque la patiente arrête le traitement,
                     il ne persiste plus que quelques
                     bâillements.
                     
                     Discussion : Ces syndromes associant
                     bâillements et excitation sexuelle
                     semblent en fait exceptionnels. Le seul
                     antidépresseur tricyclique
                     impliqué dans sa génèse est
                     la clomipramine, qui a une forte action
                     inhibitrice de la recapture de la
                     sérotonine associée à une
                     action inhibitrice de la recapture de la
                     noradrénaline. La fluoxétine,
                     antidépresseur non tricyclique à
                     l'origine d'un cas tout à fait similaire,
                     est un puissant inhibiteur sélectif de la
                     recapture de la sérotonine. Nous avons
                     donc là des éléments
                     invitant à considérer que ce
                     mécanisme inhibiteur de la recapture de
                     la sérotonine pourrait jouer un
                     rôle dans la genèse de ce syndrome.
                     Il convient de souligner certains
                     éléments paradoxaux. La
                     clomipramine est surtout connue pour ses effets
                     dépresseurs sur la libido (12). Il est
                     vrai, comme le souligne Segraves (12), que cet
                     effet secondaire habituel se manifeste
                     plutôt à des doses de l'ordre de
                     200 mg/j alors que les 3 cas de syndrome
                     bâillement/ excitation sexuelle,
                     rapportés par Mc Lean (10), surviennent
                     avec des posologies de 75 à 100mg/j. Il
                     en est de même pour nos 2 cas où la
                     dose est de 75mgfj et les concentrations
                     plasmatiques relativement peu
                     élevées. Rappelons cependant la
                     grande dispersion interindividuelle des
                     concentrations de tricycliques pour une
                     même posologie, ce qui rend très
                     relative la discussion sur les posologies. Si,
                     toutefois, un effet dose peut être
                     évoqué, il n'explique pas la
                     rareté du trouble: les prescriptions de
                     clomipramine à 75 ou 100 mg/j ne sont
                     probablement pas moins fréquentes que les
                     prescriptions à 200 mg/j. La
                     fluoxétine est considérée
                     comme ayant peu d'interférences avec la
                     fonction sexuelle, mais des cas d'anorgasmie
                     avaient été décrits (8).
                     Une simple augmentation de l'activité
                     sérotoninergique centrale ne parait pas
                     suffire à expliquer à la fois la
                     survenue de ce syndrome et sa rareté.
                     Klein (7), commentant l'observation du cas
                     associé à la fluoxétine,
                     propose de ne retenir comme explication qu'un
                     aspect idiosyncrasique de la biologie du
                     patient, rappelant au passage que l'association
                     de bâillements et d'orgasmes
                     spontanés se rencontre communément
                     lors du sevrage aux opiacés. Il nous
                     parait possible d'aller un peu plus loin. En
                     effet, des mécanismes dopaminergiques
                     sont en cause dans la production de
                     bâillements tant chez le rat que chez
                     l'homme. Des bâillements peuvent
                     être obtenus chez l'homme par une
                     stimulation des autorécepteurs
                     dopaminergiques, par exemple avec l'apomorphine
                     à faible dose (2, 9). Qui plus est, chez
                     le rat mâle, un syndrome
                     bâillement/érection pénienne
                     peut être induit par stimulation des
                     autorécepteurs dopaminergiques (5). Le
                     mécanisme en cause pour les deux
                     comportements devant être le même,
                     si l'on juge par l'existence d'une
                     corrélation entre la fréquence des
                     bâillements et celle des érections
                     (6). Un maillon de la chaîne
                     d'événements aboutissant à
                     ce syndrome bâillement/excitation sexuelle
                     induit par des antidépresseurs
                     sérotoninergiques pourrait être une
                     diminution d'activité dopaminergique. Un
                     argument indirect en faveur de cette
                     hypothèse pourrait être la
                     constatation de l'aggravation des manifestations
                     extrapyramidales chez les patients recevant ou
                     ayant reçu tout récemment un
                     neuroleptique lorsqu'on leur prescrit de la
                     fluoxétine (3, 4, 13). Ces observations
                     sont toutes récentes et demanderaient
                     à être appuyées par des
                     mesures de concentrations plasmatiques pour
                     vérifier l'absence d'interaction
                     métabolique. Rappelons aussi que de tous
                     les antidépresseurs tricycliques, la
                     clomipramine est celui qui semble le plus
                     impliqué dans une augmentation des taux
                     de prolactine, hormone dont l'inhibiteur de la
                     sécrétion le plus actif est la
                     dopamine (1).
                     
                     Conclusion : En guise de conclusion,
                     et pour revenir sur le caractère
                     exceptionnel de ce syndrome, induit par des
                     antidépresseurs augmentant
                     l'activité sérotoninergique, si
                     idiosyncrasie il y a, elle pourrait donc
                     peut-étre concerner une
                     particulière sensibilité de la
                     modulation sérotoninergique de
                     l'activité dopaminergique
                     impliquée à la fois dans
                     lebâillement et la stimulation sexuelle.
                     Ceci nous amène à souligner
                     l'intérêt à ne pa raisonner
                     en terme d'un seul neurotransmetteur et à
                     savoir prendre en compte les interactions entre
                     neurotransmetteurs.
                     
                     Références :