- Alors que Charcot vient d'être
élu à L'Académie de
Médecine en cette année 1873,
Maurice Georges Debove (1845-1920)
succède à Gombault.
Né dans une proche banlieue parisienne de
l'époque, intégrée à
la ville de Paris depuis lors. Debove
était orphelin de père et
d'origine modeste. A la fin de sa
scolarité au célèbre
lycée Louis le Grand, sa mère alla
voir le proviseur afin d'avoir son conseil avant
de suivre l'aspiration de son fils à
embrasser une carrière médicale.
Celui-ci acquiesça à ce choix, en
précisant que médecin, il pourrait
le devenir, mais qu'il ne fallait pas penser
qu'il serait professeur de médecine.
Comme tout oracle, il se trompa. Car si son nom
est, de nos jours, tombé dans un presque
oubli, Debove eut une carrière couverte
de tous les honneurs.
-
- Georges Debove en 1873
- © Extrait
de l'Album de l'internat de La
Salpêtrière conservé
à la Bibliothèque Charcot à
l'hôpital de la
Salpêtrière
- (Université
Pierre et Marie Curie, Paris)
-
- Interne en 1869, il le devient chez Charcot
en 1871 au début de la période
où celui-ci porta son
intérêt à l'hystérie.
En cette période troublée par la
guerre avec la Prusse, La
Salpêtrière fut touchée par
des bombardements qui n'empêchèrent
pas la continuité de l'activité.
Debove avait lui-même assisté
à la bataille de Bapaume (2 et 3 janvier
1871). Après sa thèse
consacrée au psoriasis buccal en 1873, il
devint chef de clinique chez Germain Sée
(1818-1896) qu'il n'appréciait pas et
dont il avait plaisir à montrer les
erreurs diagnostiques ! Il est reçu
à l'agrégation en 1878 à
son deuxième concours. Lors de son
échec, au premier, il avait eu à
traiter : « l'action physiologique des
médicaments peut-elle devenir la
règle de leur emploi thérapeutique
? » Compte tenu des faibles données
en pharmacologie, disponibles à cette
l'époque, il répondit, sagement,
que les connaissances étaient trop
limitées pour répondre
favorablement. Cette lucidité ne fut sans
doute pas du goût des examinateurs.
-
- En 1881, il est chargé du cours
auxiliaire de pathologie interne, puis en 1883
suppléant de Charles Lasègue
(1816-1883) dans son cours de clinique
médicale. Son parcours hospitalier le
mena successivement en différents
hôpitaux : hôpital des Tournelles,
Andral, Beaujon avant de terminer sa
carrière à La Charité.
Jeune médecin, après avoir
été formé par Louis Ranvier
(1835-1922), il s'orienta vers les recherches en
anatomie pathologique s'intéressant
successivement au mycosis fongoïde, aux
tuberculoses pelviennes et aux lymphangites
carcinomateuses. Avec Gombault,
il décrivit l'entrecroisement sensitif au
niveau du bulbe. Auprès de Charcot, il
montra les modifications de la structure de l'os
dans les membres de
l'hémiplégique, s'intéressa
aux tremblements qu'il étudia, le
premier, avec une méthode graphique. Il
suggéra que l'ataxie locomotrice
était due à un étirement
des nerfs.
-
- En zélé collaborateur du
maître de La Salpêtrière, il
se passionna, en 1879, pour l'étude de
l'hystérie. Debove contribua, en
particulier, à montrer son existence chez
l'homme. Il participa à
l'élaboration des expériences
« des transferts à distance »
et de l'utilisation thérapeutique des
aimants. Sans atteindre la perfection de la mise
en scène du maître, il donna
quelques séances d'auto-accusation
suggérée devant des magistrats et
des avocats. Il dit plus tard : «
l'année d'internat s'écoula
presque dans le tête-à-tête,
dans les conversations intimes, toujours
scientifiques, mais non toujours exclusivement
médicales ». Debove faisait partie
des intimes de la famille Charcot.
-
- Georges Debove extrait
de
- Une
leçon de Charcot à La
Salpêtrière
- tableau de André
Brouillet 1887
-
- Reçu très
régulièrement aux soirées
données à l'hôtel
particulier du boulevard Saint-Germain, c'est
Madame Charcot qui avait insisté pour
qu'il accompagna le maître en août
1893, pour des vacances dans la Creuse, sachant
son mari sujet aux crises d'angine de poitrine.
Debove constata, impuissant, l'évolution
mortelle de l'dème aigu du poumon
qui emporta Charcot pendant leur voyage. C'est
à lui que revint la tâche de
prononcer l'éloge funèbre lors des
obsèques. Ce choix de Madame Charcot
n'était pas qu'affectif car elle savait
qu'après La Salpêtrière,
Debove s'était orienté vers la
médecine générale et les
maladies cardiaques et pulmonaires en
particulier.
-
- Ecrivant tant sur l'urémie,
l'insuffisance cardiaque, que les maladies du
foie ou de l'estomac, on lui doit l'introduction
de la technique du lavage d'estomac avec un tube
lisse semi-rigide fabriqué par un de ses
amis, Henry Galante, manufacturier de caoutchouc
vulcanisé. Cette innovation toute
récente illustre l'esprit d'invention de
Galante, également concepteur et
constructeur de l'aspirateur à vide de
Georges Dieulafoy (1839-1911). Le tube en
caoutchouc de Debove, mieux toléré
que le tube rigide de Faucher, évitait
les blessures de l'oesophage et permettait son
cathétérisme exploratoire. De ce
progrès découla l'idée,
germée dans l'esprit de Debove,
d'utiliser la même technique, non pas pour
aspirer le contenu gastrique, mais pour apporter
une nutrition « forcée » dans
l'anorexie tuberculeuse (voir caricature
ci-dessous).
-
- Son expertise se porta aussi sur les
maladies infectieuses, fièvre
typhoïde et surtout la tuberculose.
Passionné par la découverte du
bacille par Robert Koch (1843-1910) en 1882, il
introduisit l'examen bactériologique
systématique des crachats et participa
aux recherches sur la contagion et
l'hygiène dans la tuberculose. Son esprit
inventif lui permit la mise au point d'une
technique de thoracocenthèse par une
sonde de sa conception, qui joint à des
lavages des cavités pleurales avec des
antiseptiques, lui permit de guérir des
pleurésies tuberculeuses
réputées constamment mortelles
avant lui. Dans la même lignée, il
conçut l'usage des premières
seringues stérilisables.
-
- Avec Maurice Letulle (1853-1929), il
distingua les oedèmes d'origine
cardiaque, rénale ou hépatique et
ils renouvelèrent les conceptions
pathogéniques en associant
l'anatomopathologie aux concepts
hémodynamiques de l'époque. A la
mort prématurée de François
Damaschino (1840-1889), il fut nommé
professeur de pathologie médicale, puis
en 1901, au départ en retraite de Carl
Potain (1825-1901), il lui succéda dans
sa chaire de clinique médicale. Il
n'avait d'exclusive pour aucun domaine
médical et aborda dans son enseignement
aussi bien l'hygiène, la nutrition que
l'épidémiologie et les
prémices de l'endocrinologie. Orateur
brillant, il a toujours cherché à
transmettre son sens critique à ses
élèves, face à des
théories non prouvées.
-
- Plusieurs générations
d'étudiants se sont formés
à la lecture des nombreux livres qu'il a
écrits, dont son Manuel de
médecine en 9 volumes, son Manuel de
thérapeutique ou son Manuel de diagnostic
médical. Connaissant ses talents
d'enseignant, Charcot l'avait introduit
auprès de l'éditeur J. Rueff pour
qu'il dirigea la devenue célèbre
Bibliothèque Charcot-Debove, faite de
petits fascicules de format de poche sous
couverture souple de 250 pages environ,
conception toute nouvelle à
l'époque. Plusieurs dizaines d'auteurs
participèrent à cette collection,
comme Victor Hanot (1844-1896), Jules
Séglas (1859-1939), Paul Sollier
(1861-1933), Ernest Mosny (1861-1918) etc..
-
- Membre de l'Académie de
Médecine (1893), dont il revitalisa la
qualité scientifique du bulletin, il eut
la charge de prononcer les éloges de
Charcot, Louis Pasteur (1822-1895), Marcellin
Berthelot (1827-1907), Valentin Magnan
(1835-1916), Alfred Fournier (1832-1914). La
mort de Paul Brouardel (1837-1906) le fit
accéder à la charge de doyen de la
Faculté de Médecine, à une
époque de fortes contestations
estudiantines que son autorité apaisa.
Des caricatures de l'époque le montrent
une matraque à la main (voir-ci-dessous)
! C'est comme doyen qu'il chercha à
mettre fin à la brouille qu'il
entretenait avec Charles Bouchard (1837-1915).
Lors du concours d'agrégation de 1892,
dont il était membre du jury
présidé par Bouchard, une sombre
querelle qui opposait celui-ci et Charcot
conduisit à la nomination des
élèves de Bouchard, bien
oubliés depuis, au détriment des
deux poulains de Charcot Joseph Babinski et
Georges Gilles de la Tourette. La brouille
devint totale entre Charcot et Debove d'une part
et Bouchard d'autre part. Pourtant
d'après Charles Achard (1860-1945), afin
d'apaiser ce conflit de près de 20 ans,
Debove soutint la nomination au professorat de
Georges-Henri Roger (1860-1946), brillant
élève de Bouchard.
-
- Paradoxalement, Debove n'a pas eu de vrais
élèves et n'a jamais su
créer une école comme celle qui
l'avait formé à La
Salpêtrière. Achard nous dit «
Debove critiquait volontiers mais n'inspirait et
surtout ne dirigeait guère les travaux de
ses disciples ». La diversité de ses
centres d'intérêt, rapidement
approfondis avant de passer à un autre et
cet esprit critique et caustique ont sans doute
nui à sa notoriété posthume
bien que la guerre de 1914-1918 l'ait
obligé à prolonger sa très
longue carrière, ne le laissant profiter
que d'une brève retraite
écourtée par le cancer qui
l'emporta.
-
- Dans une lettre manuscrite du 7 mars 1906,
Jean-Baptiste Charcot offre la
bibliothèque de son père à
l'Assistance publique. Après qu'elle ait
accepté ce don, il répondit
à son directeur : « Mr Le Directeur,
je vous remercie infiniment de l'aimable lettre
que vous avez bien voulu m'envoyer. L'accueil
que me fait l'Assistance Publique diffère
sensiblement de celui qui m'avait
été réservé par le
Doyen de la Faculté de
Médecine
. ». Lors de
l'inauguration, il remercia le directeur de
cette administration qui a su « faire
preuve d'autant de délicatesse dans son
acceptation qu'un autre, tourmenté d'un
démon cynique qui aurait fait la joie des
exorcistes, dont les hauts faits sont
consignés dans ces livres, a su mettre de
mauvaise grâce dans un refus sur lequel je
préfère ne pas insister dans ce
milieu imprégné du souvenir de son
Maître ». Faut-il voir dans
l'attitude de Debove l'expression d'une vieille
rancune de ne pas avoir été
accueilli parmi les fondateurs de la
Société de Neurologie ?
-
- Buste de Georges Debove dans le hall
de l'Académie de
Médecine
-
- DOCTEUR
DEBOVE
-
- Horace Bianchon (pseudonyme du Dr Maurice
de Fleury)
-
- Nos grands médecins
d'aujourd'hui
-
- Paris, Société
d'éditions scientifiques. 1892
-
- DEBOVE (Maurice-Georges,), né
à Paris le 11 mars 1845
-
- Interne des hôpitaux, le 23
décembre 1868. Docteur en Médecine
en 1873.
-
- Médecin des hôpitaux, le 11
août 1877 - Agrégé, en
1878
-
- Professeur, en 1890.
-
-
- Le jour où M. Charcot prendra sa
retraite, la Faculté ne sera point en
peine de lui trouver un remplaçant. Le
choix du Dr Debove paraît s'imposer
irrésistiblement.
-
- Certes, d'autres, autant que lui, ont
contribué à élargir le
domaine de nos connaissances en neurologie;
d'autres, autant que lui, ont continué la
méthode du Maître; d'autres, autant
que lui, ont acquis par l'enseignement
préparatoire, comme chargés de
cours, cette autorité de parole qui fait
que l'on écoute un professeur.
-
- Mais aucun n'a le don suprême qui fera
triompher Debove; aucun ne ressemble
physiquement à Charcot.
-
- Or, M. Debove lui ressemble
étonnamment, de plus en plus.
Évidemment, par un procédé
mystérieux, qui nous échappe,
l'éminent agrégé
perfectionne son masque, fait lentement
évoluer sa tête, son habitus, ses
moindres gestes vers une similitude chaque jour
plus parfaite. Encore quelques années, et
l'incarnation sera définitive. Et quand
la statue de Charcot fera pendant à celle
de Pinel sur la place de la
Salpêtrière, on pourra voir tous
les matins un autre Charcot rajeuni descendre
lui aussi d'une voiture à deux chevaux,
et regarder la figure d'airain si pareille
à la sienne, avec un orgueil d'homme
coulé en bronze de son vivant.
-
-
- Charcot est mort, vive Charcot!
-
- La ressemblance n'est pas physique
seulement.
-
- De même que Charcot, M. Debove
affecte, vis-à-vis de ses malades
à l'hôpital, une certaine
sécheresse de coeur probablement plus
apparente que réelle. Il est froid avec
ses élèves, un peu plus,
même, que le Maître dont le
dévouement aux siens est connu. Et rien
ne 1u1 manque, vraiment, si ce n'est le profond
génie du grand homme.
-
- A défaut de génie, le Dr
Debove est doué d'une incontestable
intelligence, d'une vive perspicacité; il
a le don de l'assimilation, une grande
dextérité à se faire
valoir, ce dont on ne saurait trop le louer, car
il vaut vraiment quelque chose, et il faut lui
rendre cette justice qu'il a suffisamment
travaillé jusqu'ici.
-
- Il a écrit un nombre assez
considérable de mémoires sur des
cas isolés de maladies du système
nerveux: il s'y est montré observateur
habile.
-
- Son mémoire en collaboration avec M.
Bondet de Paris sur la pathogénie des
tremblements, un peu prématuré,
peut-être, en certaines conclusions, n'en
est pas moins l'un des plus intéressants
à consulter sur la question.
-
- Mais ses recherches thérapeutiques
ont fait sa renommée pour une grosse
part.
-
- Il a été, l'un des premiers
à préconiser le lavage de
l'estomac, l'élongation des troncs
nerveux, l'emploi de la
réfrigération dans les
névralgies. Il a mis à la mode la
suralimentation des phtisiques, et ses
leçons sur le traitement de la
tuberculose pulmonaire, telles que les a
recueillies le Dr Faisans, sont vraiment
remarquables.
-
- Le total de ces oeuvres vaut-il toute, la
notoriété dont jouit à
l'heure actuelle le Dr Debove ? Vaut-il une
chaire à la Faculté ? j'en connais
qui disent que non. Mais la majorité
n'est pas de cet avis, puisqu'un vote
récent vient de faire du Dr Debove le
successeur de Damaschino à la chaire de
pathologie interne, en attendant la chaire de
clinique du système nerveux.
-
- On peut affirmer, en tous cas, que le Dr
Debove est capable, s'il le veut bien, de
devenir du jour au lendemain un admirable
professeur, car nul entre ses concurrents n'est
plus intelligent, nul n'a été
mieux initié à la bonne doctrine,
nul n'est mieux doué pour doubler le
grand premier rôle et le continuer quand
il voudra se reposer.
-
-
- PRINCIPALES PUBLICATIONS
-
-
- Le régime lacté dans les
maladies.
-
- Contribution à l'étude de la
sclérose latérale amyotrophique,
en collab. avec Gombault.
-
- Pathogénie des tremblements, en
collab. avec Bondet de Paris.
-
- Lavage de l'estomac.
-
- Recherches sur l'alimentation
artificielle.
-
- Traitement de la névralgie par la
congélation.
-
- Leçons cliniques et
thérapeutiques sur la tuberculose
parasitaire.
-
- Recherches expérimentales sur
l'hystérie.
-
- Recherches ur l'influence de la graisse sur
la nutrition, etc., etc.
-
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