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- Résumé
- Le traumatisme de la Grande Guerre a
influencé durablement l'activité
de clinicien et de physiologiste de Jules Tinel
(1879-1952). Sa prise en charge des
blessés du système nerveux
périphérique l'a conduit à
décrire, en 1917, le signe éponyme
qu'il rattache à l'activité du
système sympathique. Les séquelles
des plaies des nerfs le confrontent aux
causalgies qu'il attribue, là encore, au
système nerveux végétatif
dont il fait le thème principal de ses
recherches de laboratoire pendant toute sa
carrière. La notoriété du
signe de Tinel a obéré
l'originalité de ses descriptions
princeps de la céphalée d'effort
et de la crise hypertensive du
phéochromocytome qui auraient pu, elles
aussi, s'associer à son nom. Il a
toujours su allier la pratique de consultations
cliniques de neurologie et de psychiatrie,
à une recherche anatomo-pathologique,
physiologique et physiopathologique uniquement
basée sur son expertise de médecin
praticien du quotidien, tout en conduisant de
nombreux collaborateurs à uvrer
dans son laboratoire de recherche, injustement
oublié. Plusieurs centaines de
communications scientifiques, et parmi elles
trois princeps, témoignent de son intense
activité, alliée à un
réel talent de pédagogue et de
vulgarisateur. Elles justifient pleinement de
l'utilité historique d'élargir sa
renommée au delà du simple
éponyme.
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- Jules Tinel en 1909, interne
à La
Salpêtrière
-
-
- Une vie de médecin et des
guerres
- Réduire un homme à son
éponyme, c'est négliger
l'originalité et la diversité de
toute une uvre. Exhumer du purgatoire de
l'oubli celle si dense et si variée de
Jules Tinel (1879-1952) fournit l'exemple
idéal permettant de se prémunir de
cet écueil.
- Petit-fils d'un chirurgien de
l'hôpital de Rouen, Jules Hélot
(1814-1873), fils d'un professeur d'anatomie
à l'École de Médecine de
Rouen et chirurgien, Charles-Armand Tinel
(1831-1914), Jules Tinel naît à
Rouen le 13 octobre 1879 et sera le
médecin de la cinquième
génération de cette famille
médicale normande . Après avoir
commencé ses études de
médecine à Rouen, il est
reçu 321e au concours de l'externat des
hôpitaux de Paris de 1900. Il
bénéficie d'une initiation
à la neurologie auprès de Louis
Landouzy (1845-1917) à l'hôpital
Laennec en 1903, puis de Joseph
Dejerine (1849-1917) à La
Salpêtrière en 1904. Tous deux le
trouvent « excellent externe ».
Brillamment reçu troisième au
concours de l'internat en 1905, il choisit de
retourner comme interne auprès de ces
deux maîtres en 1908 et 1909 . En 1910,
Arnold Netter (1855-1936) le forme à la
pathologie infectieuse et complète son
apprentissage en anatomie pathologique. C'est
dans ce service qu'il fait connaissance de
Louise-Marianne Giry-Wissembourg (1873-1914),
première française reçue
à l'internat. Il l'épouse peu
après . Il aide celle-ci à
rédiger sa thèse consacrée
à la première vaste
épidémie reconnue de
poliomyélite, la maladie de
Heine-Médin, au printemps 1909, à
Paris .
-
- Louise-Marianne Giry-Wissembourg
à l'Hôpital Saint-Antoine en
1909
-
- Pendant son internat chez Dejerine, il
propose, le 6 mai 1909, à la
Société de Neurologie, une finesse
sémiologique qui permet, avec deux
diapasons vibrants à des
fréquences différentes, de
distinguer les anesthésies organiques des
anesthésies hystériques. Le
premier diapason donne une sensation vibratoire,
le second une impression auditive. Il cite un
cas d'anesthésie complète d'un
bras par lésion traumatique du plexus
brachial qui ne perçoit pas les
vibrations du diapason posé sur un
métacarpien, mais perçoit le son
transmis par « conduction osseuse des
vibrations sonores jusqu'au labyrinthe
». A l'inverse, lors d'une hystérie,
aucune perception n'est reconnue.
-
- Dans sa thèse présidée
par Landouzy , dont le sujet «
Radiculites et tabes : les lésions
radiculaires dans les méningites,
pathogénie du tabes » lui a
été suggéré par
Dejerine, il propose une physiopathologie
à la symptomatologie du tabes, en
continuateur de Jean Nageotte (1866-1948) :
« C'est pour avoir rencontré un
certain nombre de ces cas, rares du reste,
où des radiculites syphilitiques
précèdent ou accompagnent
l'évolution du tabes, que nous avons
tenté l'étude anatomique et
expérimentale des processus
d'inflammation des gaines radiculaires
», qu'il considère comme la
localisation initiale du tabes, notamment au
niveau des racines postérieures, dans le
prolongement des cordons postérieurs.
Tinel insiste «l'existence d'une gaine
arachnoïdienne (cf autour des racines)
est pour nous un point capital » qui
conditionne les lésions au cours des
méningites tuberculeuses ou autres et du
tabes. C'est à ce niveau qu'il remarque
une « accumulation si spéciale
résultant d'une sorte de
décantation des éléments
figurés du liquide
céphalo-rachidien dans ces sortes de
citernes que constituent les gaines
radiculaires, lombaires et sacrées
». Mais, pour lui, la
déclivité n'est pas la seule
explication car il voit les mêmes
accumulations au niveau des racines cervicales.
Partageant l'avis émis par Nageotte, il
considère « le nerf radiculaire
et ses membranes, comme une voie
efférente pour la circulation lymphatique
du système nerveux central. Il
paraît très probable que le liquide
céphalo-rachidien s'écoule
lentement, en filtrant par les interstices et
fentes lymphatiques qui longent ou traversent le
ganglion pour se continuer avec les gaines
séreuses des nerfs».
-
- Ce concept d'absorption
périphérique diffuse,
évoqué par Tinel puis
oublié pendant des décennies, est
à nouveau à l'honneur
actuellement, cent quinze ans plus tard. En
1911, il autopsie un tuberculeux soigné
par Landouzy et son interne Pierre Gastinel
(1884-1963) pour une sciatique et constate une
radiculo-névrite tuberculeuse qui, pour
lui, confirme les explications
physio-pathologiques rapportées dans sa
thèse. En 1912, avec Louis de Gonzague
Sauvé (1881-1960) et en 1913 avec
Dejerine, il aboutit aux mêmes
constatations pour expliquer les crises
gastriques tabétiques. Le 28 mai 1914
à la Société de Neurologie,
Tinel décrit comment il a obtenu une
confirmation expérimentale des
idées développées dans sa
thèse et ses autres travaux, en inoculant
un bacille tuberculeux atténué au
niveau du IVe ventricule d'un lapin,
et en constatant quarante jours plus tard
« la présence de volumineuses
infiltrations lymphocytaires, accumulées
à la partie terminale des gaines
radiculaires ». Ne jamais abandonner un
sujet clinique ou expérimental, y revenir
à plusieurs reprises, espacées
dans le temps, est une attitude constante que
Tinel manifestera tout au long de sa
carrière, comme cet exemple l'explicite,
comme les blessures des nerfs vont nous le
montrer à nouveau.
-
- En 1910, il est chef de clinique de Landouzy
puis il retourne à La
Salpêtrière exercer les mêmes
fonctions auprès de Dejerine en 1911 et
1912. Il est nommé chef du laboratoire
d'anatomie pathologique à la Clinique des
Maladies Nerveuses, pour les années
1912-1913. Il y donne des «
démonstrations hebdomadaires d'anatomie
normale et pathologique du système
nerveux et des cours de techniques d'anatomie
pathologique ». A la fin de
l'année 1913, Tinel compte
déjà plus de quarante publications
essentiellement neurologiques, certaines
à la suite de communications orales
à La Société de Biologie et
à La Société de Neurologie.
Élu membre de la Société de
Neurologie en 1914, il en sera le
président en 1936.
-
- Mobilisé comme médecin major
de deuxième classe du 18e régiment
d'infanterie territoriale, il est promu
médecin aide-major de première
classe le 20 mars 1917. En octobre 1914, il
assiste Madame
Augusta Dejerine-Klumpke (1869-1927), en
compagnie d'André Thomas (1867-1963),
Joseph Jumentié (1879-1928), Gustave
Clarac (1884-1917), Joseph Levi-Valensi
(1879-1943), dans les soins aux multiples
blessés neurologiques arrivant en grand
nombre à La Salpêtrière,
transformée en Centre Neurologique
Militaire. Il est nommé à la
tête du Centre Neurologique de la IVe
Région au Mans en 1915.
Démobilisé seulement le 6
août 1919, il rejoint le service d'Edouard
Toulouse (1865-1947) à l'asile de
Saint-Anne avant de revenir à La
Salpêtrière comme chef du
laboratoire du service d'Henri Claude
(1869-1945). Il ne s'engage pas vers une
carrière universitaire après
l'annulation du concours d'agrégation de
1913 auquel il a participé. La Grande
Guerre interrompt toute opportunité de
recommencer et retarde sa nomination comme
Médecin de hôpitaux au 30 mai 1922.
Il sera successivement nommé chef de
service à l'hôpital de la
Charité le 1 janvier 1928, à
l'hôpital de la Rochefoucauld le 1 janvier
1932, à l'hôpital Beaujon le 1
janvier 1937, à l'hôpital Boucicaut
le 10 janvier 1941. Il prend sa retraite le 1
janvier 1945 .
-
- Les internes de La
Salpêtrière en
1909-1910
-
- Le signe de
Tinel
- Dans la Presse Médicale du 7 octobre
1915, paraît « Le signe du
'fourmillement' dans les lésions des
nerfs périphériques » .
Fort de la pénible expérience
acquise par la prise en charge des multiples
blessés neurologiques arrivés
à La Salpêtrière, Tinel
souhaite proposer une analyse
sémiologique plus précise afin de
distinguer les sections, compressions,
'irritations des nerfs', et afin de surveiller
les suites d'un névrome ou d'une suture
nerveuse. « La pression d'un tronc
nerveux blessé produit très
souvent une impression de fourmillement,
extériorisé par le sujet à
la périphérie de son nerf, et
localisé par lui à un territoire
précis. Il importe de différencier
absolument ce fourmillement de la douleur que
provoque également parfois la pression
d'un nerf traumatisé. La douleur est
signe d'irritation névritique ; le
fourmillement est un signe de
régénération ou, plus
exactement, le fourmillement traduit la
présence de cylindraxes jeunes en voie
d'accroissement [
]. Le
fourmillement de
régénération n'est pas
douloureux ; c'est une sensation vaguement
désagréable que les malades
comparent habituellement à celle de
l'électricité. Il est à
peine perçu au point comprimé, et
beaucoup plus vivement ressenti dans le
territoire cutané correspondant
». Par sa perspicacité clinique,
Tinel arrive, suivant la fixité ou non
dans le temps, l'extension plus ou moins vaste
de la zone des fourmillements induits, à
distinguer un névrome d'une
régénération. Il donne des
exemples au niveau du sciatique à la
cuisse ou du nerf radial chez des blessés
victimes de balles transfixiantes. Avec
modestie, il conclut « le fourmillement
provoqué ne constitue donc pas un signe
absolument constant, fixe et
d'interprétation toujours facile. Il ne
peut dispenser en rien de l'examen minutieux et
répété du malade. Il ne
peut avoir de valeur qu'en s'associant à
l'ensemble de tous les autres symptômes
cliniques. Mais avec toutes ces réserves,
le fourmillement nous apparaît comme
susceptible d'éclairer parfois certains
problèmes de diagnostic neurologique et
de fournir des indications précieuses
pour le pronostic et le traitement des
lésions nerveuses
périphériques ». Si cette
description de ce signe sémiologique a
largement contribué à la
notoriété de Tinel, la parution de
son livre « les blessures des nerfs
» en 1916, y a aussi participé,
comme sa traduction en anglais l'atteste. Cet
ouvrage, encore plus fouillé et
précis que celui de Chiriachitza
Athanassio-Benisty (1885-1938) , autre
élève de Dejerine, paru
simultanément, agrémenté de
dessins multiples d'excellente facture, reprend
toute l'anatomie des nerfs des membres, la
sémiologie des différents
déficits et leurs évolutions,
leurs traitements chirurgicaux et les
appareillages compensateurs, le tout basé
sur le nombre, inimaginable, de 628 dossiers de
blessés examinés personnellement
par Tinel. En 1927, Tinel reprendra largement le
contenu de ce livre afin de traiter, à
côté de la sémiologie des
nerfs périphériques, des
névralgies et des polynévrites,
des affections traumatiques des nerfs au sein du
fascicule XXI du 'Nouveau Traité de
Médecine' d'Henri-Georges Roger
(1860-1946), Fernand Widal (1862-1929) et
Pierre-Joseph Teissier (1864-1932) .
-
- Du fait des hostilités, Tinel ignore
que Paul
Hoffmann (1884-1962) de Dorpat en
Estonie, publie en Allemagne, peu avant lui, en
mars 1915, un article s'intéressant au
devenir des sutures nerveuses et dans lequel
celui-ci décrit la même
sémiologie . Dans un second article , en
août 1915, Hoffman l'enrichit de la
description de la percussion,
médiée par les doigts
étendus de l'examinateur, à l'aide
d'un marteau à réflexes, afin de
déclencher les fourmillements, «
Klopfversuch » ou « tapping
test », chose que Tinel n'a pas
explicitement préconisée dans son
article princeps mais qu'il mentionne dans la
traduction anglaise de son livre (A-t-il lu
Hoffmann entre temps ?). Autre subtilité
que Tinel n'a pas mentionnée, Hoffmann
ajoute que les percussions
répétées ont un effet de
sommation déclenchant parfois les
fourmillements qu'une seule percussion ne
déclenche pas. L'éponyme demeure
partout 'signe de Tinel' sauf en terres
germaniques où on le nomme 'das
Hoffmannsche Klopfzeichen'. Eugène
Feindel (1862-1930) rend compte
précisément de l'article princeps
aux lecteurs de la Revue neurologique en
novembre 1915, parlant de la recherche du signe
du fourmillement mais n'use pas du terme 'signe
de Tinel' . Il semble qu'on peut attribuer
l'usage de l'éponyme au chirurgien
anglais Cecil Augustus Joll (1885-1945), servant
comme chirurgien en chef à
l'Hôpital Majestic à Paris en 1915
où il a probablement connu Tinel,
après qu'il ait été le
maître d'uvre de la traduction de
son livre en anglais. Son ami Jean
Lhermitte (1877-1959) se
réfère à la description de
Tinel lorsqu'il décrit « le signe de
Lhermitte » au cours de la sclérose
en plaques en 1924 : « la sensation de
décharge électrique dont se
plaignaient maints commotionnés spinaux,
présente une certaine analogie avec les
sensations que l'on provoque en percutant (signe
de Tinel), en comprimant ou en pratiquant
l'élongation des nerfs
périphériques
intéressés par une blessure
légère ; nous avons ainsi
été naturellement amenés
à en chercher une commune explication
». Après la fin des
hostilités, la recherche du signe de
Tinel, souvent mal pratiquée et mal
interprétée, semble
discréditée pour plusieurs
années. C'est seulement après la
deuxième guerre mondiale que sa
signification est réévaluée
par l'anglais Peter Wilfred Nathan (1914-2002)
en 1946 et le chirurgien américain George
S. Phalen (1911-1998) en 1950 qui montrent son
intérêt au cours de la recherche
d'une compression d'un tronc nerveux lors d'un
syndrome canalaire comme le syndrome du canal
carpien. La lecture des écrits de Tinel
ou d'Hoffmann ne retrouve pas d'occurrence
relatant les fourmillements par une compression
mécanique d'origine non traumatique.
-
- A la réunion des chefs des Centres
Neurologiques Militaires le 20 décembre
1917, à l'Hôpital du Val de
Grâce à Paris, Tinel
présente, au nom du Centre Neurologique
de la 4e Région (Le Mans), les
résultats des sutures nerveuses qu'il a
préconisées pour des
blessés et qui lui semblent
bénéfiques. Mais, quant aux
interventions de « libération
nerveuse », il regrette l'absence de
recherche du signe du fourmillement « un
grand nombre de libérations,
considérées comme ayant obtenu
d'excellents résultats, sont des
libérations pratiquées sur des
nerfs déjà en voie de
guérison. Cette erreur
d'appréciation provient en
général, de ce qu'on ne cherche
pas systématiquement les signes
précoces de
régénération nerveuse et,
en particulier, le signe du fourmillement
à la percussion. C'est en effet le seul
signe qui permette de déceler facilement,
dès le début, la moindre
ébauche de
régénération nerveuse, d'en
suivre pas à pas les progrès avant
toute manifestation motrice, électrique
ou sensitive, et d'éviter par
conséquent les interventions inutiles
». En collaboration avec René
Delagenière (1884-1967), Tinel rend
compte le 7 juin 1917 du résultat
bénéfique obtenu par une greffe
nerveuse d'un segment de huit centimètres
chez un blessé de 1915. Il ne manque pas
de préciser qu'il surveille la
récupération sensitive «
par le procédé du fourmillement
à la percussion » .
-
- De la causalgie au fonctionnement du
système nerveux
végétatif
- Silas Weir Mitchell (1829-1914)
décrit en 1872, fruit de son exercice
pendant la guerre de sécession
(1861-1865), sous le nom de causalgie , un
syndrome névralgique
caractérisé par son
intensité extrême, sa durée
prolongée et sa nature comparée
à une brûlure cuisante, sans
traitement à l'époque. Parmi les
très nombreux blessés
neurologiques pris en charge par Tinel, certains
développent ce tableau de douleurs
atroces touchant « tout
particulièrement le médian et le
sciatique », à la main ou au
pied, apparaissant de quelques jours à
plusieurs semaines après la blessure.
« Fait plus curieux encore, les
émotions et sensations vives
déterminent des exacerbations violentes
de la douleur » ajoute Tinel pour qui,
dès 1917, « l'intervention du
système sympathique dans la causalgie
apparaît chaque jour plus
évidente ». Frappé de
l'importance des réactions thermiques,
vaso-motrices, sudorales et trophiques «
dans un champ causalgique » beaucoup
plus étendu que le territoire propre
d'innervation du nerf affecté
(synesthésalgie), Tinel propose, comme
Henry Meige (1866-1940), Chiriachitza
Athanassio-Benisti et René Leriche
(1879-1955) avant lui, d'interpréter
« la causalgie comme un syndrome
essentiellement sympathique; elle est
constituée par un véritable arc
réflexe sympathique, excitation
douloureuse centripète et
réactions centrifuges à forme
vaso-motrice, sécrétoire,
trophique, et, qui contribuent à
entretenir et exaspérer la douleur
». Tinel revient à plusieurs
reprises sur ce thème, notamment en 1918,
en proposant une alternative à la
sympathectomie de Leriche, c'est à dire
une section puis suture immédiate du nerf
responsable. Tous les médecins sont
confrontés aux blessés de retour
chez eux après la guerre. En 1921, Tinel
leur propose une mise au point pratique «
des algies sympathiques », nouvelle
appellation des causalgies de guerre que la
plupart d'entre eux n'ont jamais vues auparavant
« il semble que la blessure, le plus
souvent légère, d'un tronc
nerveux, par la simple douleur qu'elle provoque
ou plutôt par l'irritation des filets
sympathiques que contient le nerf
périphérique atteint, peut
provoquer un état d'excitation
spéciale des centres sympathiques
correspondants. Cette irritation des fibres est,
d'une part, l'origine des douleurs
spéciales de la causalgie à
caractère si nettement sympathiques, et,
d'autre part, elle est la cause des troubles
vaso-moteurs et sécrétoires
concomitants ». Aucun traitement
médical ou chirurgical n'est efficace et
il conseille « l'influence indiscutable
du traitement moral (
). C'est en rassurant
les malades effrayés et angoissés
par leurs douleurs (
) qu'on réalise
la thérapeutique la plus efficace
». Pourtant, à la séance
du 6 juillet 1933 de la Société de
Neurologie, il présente un cas de
causalgie pour lequel il tente un des tous
premiers essais de trois semaines d'injections
sous-cutanées d'acétylcholine
« procurant un soulagement
remarquable». Actuellement
rebaptisé, syndrome douloureux
régional, ce tableau est toujours l'objet
de débat quant à sa
physiopathologie associant une
hypothétique prédisposition, un
désordre neuro-végétatif et
une composante psychologique. La multitude des
traitements proposés indique l'absence
d'un seul véritablement efficace, comme
une revue historique récente, omettant
d'ailleurs Tinel, le souligne .
-
- Jules Tinel en 1936,
Président de La Société de
Neurologie
-
- Le système nerveux
végétatif et la découverte
des anti-histaminiques
- A la séance du 5 juin 1919 de la
Société de Neurologie, Tinel
propose une explication au
phénomène paradoxal d'apparition
de paresthésies dès la
première semaine qui suit une suture
nerveuse, dans le dermatome correspondant. Il
souligne que ni la
régénération du cylindraxe,
ni « les gaines de Schwann » ne
peuvent expliquer cette sensibilité
grossière. « En
réalité, l'explication de ce
phénomène doit être
cherchée dans un tout autre ordre
d'idées. Nous croyons qu'il s'agit de la
manifestation rapide d'une sensibilité de
nature sympathique, habituellement latente
à l'état normal, dépendant
de voies nerveuses distinctes des nerfs
périphériques, et empruntant en
partie, au moins, le trajet des voies
sympathiques périvasculaires
».
-
- A la suite de ses travaux consacrés
aux désordres
neuro-végétatifs des
blessés de guerre, Tinel va
persévérer tout au long de sa
carrière dans l'étude du
système nerveux végétatif,
en particulier au cours des maladies mentales.
Par exemple, il observe qu'une hyper-vagotonie
accompagne certains paroxysmes anxieux « de
la psychose périodique » ce qui
l'amène à proposer à
Daniel
Santenoise (1897-1970) une recherche sur ce
thème comme sujet de thèse, puis
il étend ses propres études
à la manie et à
l'épilepsie. Santenoise devient peu
après chef de clinique de Claude, puis
l'assistant de Charles Richet (1850-1935), avant
de poursuivre une carrière de professeur
de physiologie à Nancy.
-
- Après avoir exercé à
l'hôpital de la Charité, Tinel est
nommé, en 1932, à l'hospice de La
Rochefoucauld où il installe un
laboratoire de physiologie du système
nerveux où vont se succéder les
internes Marcel Eck (1907-1989), Jean-Louis
Parrot (1908-1991, futur professeur de
physiologie) et Jean Brincourt (1907-1983). En
plus d'innovations techniques, Tinel et tous ces
collaborateurs vont multiplier les publications
concernant le système nerveux
végétatif. Sans pouvoir être
exhaustif, citons les études du
réflexe solaire, du réflexe
oculo-cardiaque, sur « glucosurie et
système neuro-végétatif
», de l'anaphylaxie et du choc
sérique , de l'interprétation
« de la raie blanche », des
perturbations neuro-végétatives au
cours des affections psychiatriques
précédemment
évoquées. Il collationne ses
théories et les résultats de ses
travaux dans un livre publié en 1930
« Conception générale du
système nerveux végétatif
et de ses manifestations morbides »,
après avoir détaillé
l'anatomie, l'histologie et la physiologie
connues à l'époque, pensant ainsi
instruire les médecins de famille pour la
prise en charge, entre beaucoup d'autres, du
syndrome de Raynaud. Notons qu'il recommande la
pratique de la capillaroscopie, initiée
par Hermann Boerhaave (1668-1738), mais
proposée en médecine clinique,
depuis peu, en 1922, par l'allemand Otfried
Müller (1873-1945) de Tübingen .
-
- Rappelons que c'est en collaboration avec
Ernest Fourneau (1872-1949) de l'Institut
Pasteur, qu'au sein même du laboratoire de
Tinel en 1933, le Suisse Daniel Bovet
(1907-1992), assisté de Georges Ungar
(1906-1977) et Anne-Marie Staub (1914-2012), met
en évidence les propriétés
antihistaminiques d'un dérivé du
dioxane, le 933F ou pipéroxane, ce qui
les conduit, en 1937, à la
découverte du 1571F et du 929F, deux
dérivés de la diéthylamine,
ouvrant la voie de la chimiothérapie
antihistaminique moderne.
-
- La première description d'une
crise d'hypertension artérielle
aiguë révélatrice d'un
phéochromocytome
- A l'image de son ami Lhermitte, l'exercice
médical de Tinel saura toujours marier le
plus heureusement, la neurologie et
l'endocrinologie, qui s'en autonomise peu
à peu, à la psychiatrie. Par
exemple, il décrit l'observation d'une
femme de 28 ans victime de crises
répétées d'angoisse
extrême et de violentes douleurs
épigastriques avec vomissements, de
sueurs profuses, de troubles vaso-moteurs de la
face et des extrémités, d'une
tachycardie permanente et d'une pression
artérielle instable avec des accès
hypertensifs à 280/160 mm/hg qui
décède lors de son
troisième accès
d'dème aigu du poumon. L'autopsie
révèle la présence d'une
tumeur médullo-surrénalienne
« véritable paragangliome
». Tinel explique ce tableau clinique par
« un excès d'adrénaline,
excitant par excellence le système
sympathique ». Le terme de
phéochromocytome a été
proposé par Ludwig Pick (1868-1944) en
1912 afin de décrire l'anatomo-pathologie
de la tumeur surrénalienne. Mais, lors de
la discussion qui suit la présentation de
ce cas à la Société
médicale des hôpitaux de Paris,
Charles Aubertin (1876-1950) qualifie bien
« d'observation princeps, ce syndrome
nouveau d'hypertension paroxystique d'origine
surrénale » tel que Tinel et ses
collègues Marcel Labbé (1870-1939)
et Edouard Doumer (1891-1980) le rapportent avec
tous les détails cliniques
précisément décrits, avec
la physiopathologie et l'anatomie pathologique
exactes, ce 23 juin 1922 .
-
- La description princeps de la
céphalée d'effort
- En 1932, Tinel ajoute « au groupe si
vaste des céphalées, un syndrome
très spécial, très
caractéristique et qui pourtant, à
notre connaissance n'a jamais encore
été nettement
individualisé, c'est la
céphalée aiguë, violente,
parfois vraiment intolérable, qui est
provoquée chez certains sujets par toute
espèce d'effort musculaire, par tout
blocage thoracique, par la toux, le cri ou le
chant, par toute cause susceptible en somme de
produire une hypertension veineuse
intracrânienne rétrograde
». Voilà la description princeps
énoncée par Tinel, en peu de mots,
mais associant, comme à chacune de ses
publications, une proposition physiopathologique
à une clinique précise. Afin de
valider sa théorie, il explique qu'il a
pu déclencher des crises en comprimant
les veines jugulaires « c'est ce qu'on
pourrait appeler le signe du garrot cervical
». Il faudra attendre 1956 pour que
l'anglais Charles Putnam Symonds (1890-1978),
utilisant le terme trop restrictif de «
cough headache », remette à
jour ce diagnostic différentiel des
céphalées et qu'il l'associe
à une gravité potentielle
(fissuration d'anévrysme). Puis en 1968,
Edward Douglas Rooke (1912-2001)
réévalue, en les minimisant,
risque et gravité de ce type de
céphalées. Actuellement, il est
admis qu'environ 40% des céphalées
aiguës d'effort sont symptomatiques et
doivent, en premier, faire rechercher une
malformation de la charnière
cranio-cervicale type Chiari I .
-
- La régulation de la circulation
cérébrale
- Tinel complète son étude de la
vasomotricité artério-veineuse
cérébrale en proposant, en 1936,
une alternative à la théorie,
admise généralement à
l'époque, d'une régulation
exclusivement passive. Exploitant les
résultats de recherches menées par
Ungar, il confirme que les vaisseaux
cérébraux possèdent une
innervation sympathique et parasympathique,
permettant d'une part les adaptations posturales
réflexes et d'autre part expliquant
leur sensibilité à des agents
pharmacodynamiques, adrénaline,
acétylcholine, histamine, mais surtout
« le principe presseur du lobe
postérieur de l'hypophyse »,
encore à l'époque mal
individualisé, et enfin,
l'oxygène, dont Ungar a montré la
puissante activité vasoconstrictrice .
Avec Marcel Eck, il met au point une technique
de mesure de la pression artérielle au
niveau de l'artère centrale de la
rétine et ils étudient chez le
lapin l'effet de sympathicolytiques
(dérivés ergotés), de la
stimulation électrique des chaines
sympathiques cervicales, ou de la section du
nerf de Hering etc. Tinel écrit pour
conclure « il nous semble que la
conception d'une régulation vaso-motrice
cérébrale, résultant de
l'association de ces divers facteurs, s'impose
tant au point de vue physiologique que clinique,
et qu'elle peut nous laisser entrevoir, dans
leur singulière complexité, les
diverses perturbations qui conditionnent
vraisemblablement l'apparition de troubles
circulatoires du cerveau » .
-
- L'uvre psychiatrique
- L'uvre psychiatrique de Tinel est
celle d'un pionnier de la psychobiologie.
Dès 1925 avec Claude et Santenoise, il
applique les données acquises de
physiopathologie du système nerveux
végétatif pour traiter l'angoisse
et de l'excitation maniaque en recourant au
phénobarbital, à la belladone,
à l'adrénaline en intra-veineuses,
à l'arsenic, et au chlorure de calcium
intra-veineux. L'effet serait favorable à
la condition d'instituer le traitement
dès l'installation des symptômes
« en l'absence de médications
véritablement pathogéniques, ces
méthodes de traitement nous paraissent
constituer un progrès
considérable» sans que des
effets secondaires ne soient rapportés
dans l'article.
-
- Tinel et Santenoise ont cherché
à mettre en valeur des paramètres
biologiques, d'acquisition simple, afin
d'étayer les diagnostics des maladies
mentales. Ils ont passé de longues
années à étudier les
variations de la formule leucocytaire au cours
de la neurasthénie, de la manie, de
l'épilepsie etc., aboutissant à la
conclusion « les variations de la
formule leucocytaire au cours des maladies
mentales reflètent fidèlement les
diverses réactions du système
végétatif et
particulièrement du système
sympathique ». Tinel est sans doute un
des premiers à noter l'influence du
tabagisme sur cette formule.
-
- Tinel participe, en 1933, à la
rédaction de la thèse d'Elisabeth
Jacob, cherchant à apprécier,
comme étiologiques ou comme secondaires,
les désordres
neurovégétatifs dans
l'installation de troubles psychosomatiques mais
aussi au cours de « la cétose et
l'azotémie ». Des traitements
par « le salicylate neutre
d'ésérine », la
pilocarpine ou l'adrénaline y sont
préconisés.
-
- En compagnie d'Henri Baruk (1897-1999),
Tinel s'intéresse en 1931 à des
modifications « du courant de
pensée » chez un homme sujet
à des crises convulsives partielles et
à une hypertension intra-crânienne
d'origine tumorale, c'est à dire, en
fait, à des alternances d'hallucinations
multi-sensorielles et d'aboulie évoquant
un syndrome de perte d'auto-activation
psychique. Il en rapporte les fluctuations aux
variations de la pression intra-crânienne
qu'il modifie en appuyant sur le volet osseux
réalisé lors d'une
trépanation décompressive .
-
- Enfin, il publie en 1941 un livre «
pour le praticien », devant l'aider
dans son diagnostic et sa prise en charge de la
« neurasthénie » .
-
- L'endocrinologie
- L'endocrinologie s'émancipe peu
à peu de la neurologie au début du
XXe siècle.
L'intérêt porté par Tinel
à l'équilibre
neuro-végétatif le conduit «
à traiter des glandes à
sécrétions internes ». Il
propose aux médecins de famille, en 1931,
un remarquable « Précis clinique
d'endocrinologie », témoignant
de ses vastes connaissances en physiologie et de
son talent de vulgarisateur dans lequel il fait
la part belle à l'opothérapie
.
-
- Un héros oublié
- En 1942, Tinel s'engage dans la
résistance avec son fils Jacques Tinel,
deuxième fils né de son remariage.
Il héberge à son domicile des
aviateurs anglais et américains
tombés en France, que son fils accompagne
pour franchir la frontière espagnole.
Celui-ci est arrêté en mai 1943, et
après emprisonnement mourra en
déportation à Dora. Lui-même
passe trois mois en prison en 1943 à
Bordeaux et son épouse séjournera
un an à la prison de Fresnes (1).
-
- Malgré sa retraite en 1945, il
continue à donner des consultations
à l'hôpital Boucicaut, où
l'occupation de l'hôpital Beaujon par les
allemands l'avait obligé à
déménager en 1941. Il s'y consacre
« aux déprimés, anxieux,
phobiques. Il leur donnait des
médicaments sédatifs auxquels il
croyait beaucoup, mais surtout, il prenait le
temps de les écouter et se
dépensait sans compter pour les
convaincre, pour leur donner confiance dans
l'avenir » (1).
-
- Il meurt d'un infarctus du myocarde le 4
mars 1952. Brincourt termine son bel hommage
ainsi : « son dévouement
inlassable, sa bonté, son
désintéressement ne furent connus
que de ses malades. Sa modestie, son manque de
goût pour les réunions publiques
empêchèrent ses travaux d'avoir la
diffusion qu'ils méritent. L'ensemble du
corps médical ignorait sa valeur
» (1).
-
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- L'hôtel Majestic, 19
av Kleber Paris 16e, ouvre ses portes en 1908 et
devient rapidement une référence
à Paris et l'hôtel
privilégié de la haute
société parisienne à «
la Belle Époque », familier
notamment à Marcel Proust. Fort de ses
400 chambres, il est réquisitionné
début 1915 afin d'accueillir un
hôpital temporaire britannique. Il
redevient un hôtel en 1916. Il a
été renommé Hôtel
Peninsula en 2014.
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