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- Résumé
- Le bâillement est un comportement
quotidien, universel chez les
vertébrés, associé aux
rythmes veille - sommeil et faim -
satiété. Malgré son
anciennté phylogénétique et
sa précocité ontogénique,
l'Evolution l'a laissé inchangé
dans son déroulement, semblant
témoigner ainsi de son importance
physiologique. Pourtant, sa finalité
reste encore incomprise au XXIè
siècle !
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- Plusieurs dizaines de théories se
sont succédées depuis Hippocrate
jusqu'à nos jours, sans jamais avoir
été démontrées
scientifiquement. Exhalaison de fumées
intérieures, activation des esprits
animaux, perspisration insensible, autant de
théories, et bien d'autres,
témoignent de l'imagination sans limite
de nos ancêtres, pour l'expliquer.
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- Mais est-ce que les propositions
contemporaines, comme le refroidissement du
cerveau, la stimulation de la vigilance,
guère plus démontrées que
les anciennes, ne paraîtront-elles pas,
dans l'avenir, aussi farfelues et
poétiques que les anciennes ?
- Cet article passe en revue les unes et les
autres....
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- Le bâillement peut-il être
"un morceau de physiologie inutile"
?
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- Is
yawning a tool for wakefulness or for sleep
? Arbuck D PDF
- Animaux
endormis. Le bâillement. Hediger H
1955
-
- Cognition, émotions, comportements,
mémoire sont autant de fonction du
cerveau. Pourtant une telle origine n'a
été tenue pour vraie qu'à
partir de la fin du XVIIIè siècle.
De nombreuses fonctions paraissent
aisément intelligibles: manger, boire,
uriner, voir, marcher. D'autres demeurent encore
de finalité mystérieuse, dormir,
rêver, rire, hoqueter. Bâiller
appartient à cette série. Toutes
ont en commun d'être d'origine
cérébrale, comme si les fonctions
du cerveau étaient plus difficiles
à comprendre pour un cerveau que les
fonctions d'autres organes ! Faut-il y voir
là une explication aux multiples
croyances et hypothèses, aussi
variées que farfelues, dévolues
à ce comportement, quotidien pour nous,
le bâillement. Un récent article du
jeune américain Andrew Gallup vient
d'avoir les honneurs d'un grand nombre de
médias, suggérant que le
bâillement refroidirait le cerveau
(Massen, 2014). Que faut-il en penser, d'autres
théories ont-elles cours actuellement
?
- Qu'est-ce qu'un bâillement ?
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- Bâiller (l'accent sur le a, vient du
vieux français qui se prononçait
baailler, une onomatopée incitant
à bâiller
) est un
comportement stéréotypé,
souvent répété, associant
en une dizaine de secondes, toujours selon la
même chronologie, une inspiration ample,
lente et profonde par une bouche largement
ouverte, puis une brève apnée,
accompagnée d'une occlusion des yeux et,
parfois, à des mouvements
d'étirements des membres, joliment
nommés une pandiculation. A cet instant,
la trompe d'Eustache s'ouvre brièvement,
entraînant une baisse transitoire de
l'audition. Enfin, une expiration passive,
bruyante, plus ou moins lente,
accompagnée d'une relaxation de tous les
muscles concernés clôt la
séquence. Une sensation de
bien-être se répand. En fait, cette
ample inspiration est couplée à
une flexion de la nuque suivie de son extension,
témoignant de la contraction massive de
tous les muscles antigravifiques. Le
bâillement est involontaire et seul
l'homme semble capable, une fois
débuté, d'en moduler son
déroulement pour des motifs culturels et
sociaux. Observé chez tous les
vertébrés (dans l'air, sur terre
et dans l'eau), poïkilothermes et
homéothermes, ce comportement a
été maintenu inchangé, dans
son déroulement, au cours de
l'évolution (Walusinski, 2004). Comme
tout comportement, dit archaïque, le
bâillement a une précocité
ontogénique, apparaissant vers 11
à 12 semaines de grossesse. C'est entre
la 22è et la 26è semaines de
grossesse que l'humain bâille le plus, de
50 à 60 fois par jour (Walusinski,
2010).
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- Tous les bâillements ont-ils la
même fonction ?
- L' américain Paul D. MacLean
(1913-2007) a formulé, à partir de
1960, "une théorie des trois cerveaux"
qui bien qu'actuellement contestée,
permet une classification "éthologique"
des bâillements (McLean, 1990). On peut
distinguer trois types de bâillements en
fonction de leur contexte d'apparition:
- 1°) ceux présents chez tous les
vertébrés sont associés au
rythme veille-sommeil, et au rythme
faim-satiété. Illustrant
l'activité du cerveau reptilien ou
archaïque (tronc et diencéphale) ils
apparaissent contingents de processus
homéostasiques; 2°) retrouvés
seulement chez les mammifères, ceux
associés aux émotions et à
la sexualité dans certaines
espèces, ont une origine limbique, le
cerveau paléomammalien, véritable
homéostasie anti-stress;
- 3°) constatés seulement chez les
grands singes et l'homme, la contagion, ou mieux
la réplication du bâillement
nécessite l'activité des zones du
cortex enrichissant les inter-actions d'une vie
sociale en groupes, le cerveau
néomammalien. Cette capacité
à être sensible aux
bâillements de l'autre témoigne de
la capacité à développer
"une théorie de l'esprit", c'est à
dire la capacité d'attribuer un
état mental à l'autre. L'imagerie
fonctionnelle cérébrale identifie
l'activation des mêmes structures
cérébrales que celles
utilisées dans l'empathie (lobes frontaux
et pariétaux, insula, amygdale).
- On peut en conclure que l'évolution a
recyclé un comportement, qui, bien que de
déroulement identique dans sa forme, a
acquis des finalités de plus en plus
élaborées, en fonction de
l'accroissement de la complexité du
système nerveux central,
corrélée à la richesse des
interactions dans la vie sociale.
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- Bref aperçu
neuropharmacologique
- Bâillements et pandiculations
extériorisent l'activité des
centres moteurs du tronc cérébral
(V, VII, IX, X, XI et XII) et de la moelle
C1-C4. Ceux-ci agissent après une
stimulation née au niveau du noyau
paraventriculaire de l'hypothalamus (PVN),
centre d'intégration
végétative couplant les
systèmes autonomes central et
périphérique. Le PVN intervient
notamment dans la balance métabolique
(osmolarité, énergie), la
régulation de la pression
artérielle, la fréquence cardiaque
et la sexualité. Dans la partie
parvo-cellulaire du PVN, des neurones
ocytocinergiques projettent vers l'hippocampe,
le tronc cérébral (locus
coeruleus) et la moelle et déclenchent
les bâillements et l'érection. La
stimulation de ces neurones par la dopamine ou
ses agonistes, des acides aminés
excitateurs (NMDA), l'hypocrétine et
l'ocytocine elle-même, déclenche
des bâillements et des érections,
alors que le GABA ou les opioïdes les
inhibent. Un électro-lésion dans
la zone parvo-cellulaire du PVN fait
disparaître les bâillements et les
érections (Collins, 2010; Walusinski,
2004).
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- Quelques unes des théories
anciennes considérées actuellement
comme erronées
- De tous temps, la vie, sous tous ses
aspects, a questionné les hommes.
Henry-Louis Mencken (1880-1956) a dit: "Des
explications existent; elles ont existé
de tous temps, parce qu'il y a toujours une
solution simple à chaque problème
humain, une solution nette plausible et fausse"
(Mencken, 1934). Les explications
apportées à la finalité du
bâillement en sont une parfaite
illustration. Voici quelques exemples.
Dès 400 ans avant JC, Hippocrate, dans in
De flatibus liber, "Le Traité des Vents"
énonce : « Des bâillements se
produisent avant les fièvres parce que de
l'air, qui s'était amassé en
grande quantité, remontant en masse,
soulève à la manière d'un
levier et ouvre la bouche; car par cette voie,
l'air peut sortir facilement. En effet, de
même que de la vapeur
s'élève des chaudrons en grande
quantité quand l'eau bout, de même
aussi, quand le corps s'échauffe, l'air
qui s'était rassemblé et qui est
violemment expulsé s'élance par la
bouche » (de Mercy, 1831).
- Santorio Santorio (1561-1636), se faisant
appelé Sanctorius de Padoue,
médecin installé à Venise,
élève et ami de Galilée,
peut être considéré comme un
des fondateurs de la physiologie
expérimentale. Il tenta de quantifier des
phénomènes physiologiques et
pathologiques à l'aide d'appareils de
mesure tels que la balance, le
thermomètre et le métronome. Avec
une balance de son invention, il mesura et
compara les apports et les pertes de poids chez
l'homme, notamment par la transpiration. Il
bâtit toute une théorie
médicale basée sur les
différences de poids liées
à l'alimentation, aux pertes des
émonctoires et à la transpiration:
la médecine statique. Le bâillement
fut l'objet de ses aphorismes: « Les
bâillements & l'extension des membres
après le sommeil, montrent que le corps
transpire beaucoup comme on le dit à
l'égard du coq qui bat des ailes avant de
chanter. Les envies de bâiller &
d'étendre les membres lorsqu'on
s'éveille, viennent de l'abondance de la
matière transpirable, parfaitement
disposée à la transpiration. Dans
les bâillements & l'extension des
membres, on transpire plus en une demi-heure
qu'en trois heure d'un autre temps ».
- Johannes de Gorter (1689-1762), auteur
hollandais prolifique dans tous les domaines de
la médecine, au début du
XVIIIè siècle, a une place
essentielle dans l'histoire des connaissances
sur le bâillement. C'est en effet dans son
livre "De Perspiratione insensibili" qu'en 1725,
il attribue les bâillements à "un
besoin de circulation plus rapide du sang et une
anémie de l'encéphale". Naît
ainsi un concept, aujourd'hui
démontré faux par Robert Provine
en 1987, qui va perdurer pendant deux
siècles, répétés par
presque tous les auteurs: le bâillement
améliore l'oxygénation du cerveau
(de Gorter, 1725; Provine, 1987).
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- Les hypothèses émises au
XXè siècle mais sans preuve
expérimentale
- C.A. Cahill prédit que le
bâillement prévient
l'atélectasie pulmonaire (Cahill, 1978).
A. Pellatt et coll. imaginent que le
bâillement comprime la thyroïde,
permettant un relargage hormonal (Pellatt,
1981). A.A. McKenzie pense que le
bâillement améliore
l'évacuation des sécrétions
amygdaliennes (McKenzie, 1994). A. Laskiewicz
postule, lui, que le bâillement est un
mécanisme de défense de l'audition
en égalisant les pressions dans l'oreille
moyenne (Laskiewcz, 1953). Aucune de ces
hypothèses, comme bien d'autres, ne rend
compte des observations éthologiques
associant le bâillement comme transition
comportementale au sortir ou à l'approche
du sommeil et à la faim et la
satiété.
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- Les théories actuellement
proposées et scientifiquement
discutées
- Il ne sera évoqué ici que les
théories concernant le bâillement
universel des vertébrés, c'est
à dire le plus ancien
phylogénétiquement et
généré par le cerveau
reptilien.
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- L'hypothèse de stimulation de la
vigilance
- Chacun, par son propre vécu,
conçoit un lien entre fatigue, somnolence
et bâillements. Les circonstances
engendrant une monotonie génèrent
des bâillements, comme l'attente sans
occupation, les transports, la conduite
prolongée sur autoroute. L'augmentation
de la somnolence est corrélée
à l'augmentation de la fréquence
des bâillements. L'observation indique que
la fréquence des bâillements a une
distribution circadienne: plus fréquents
au sortir du sommeil, associés aux
étirements (la pandiculation,
étirement généralisé
des muscles anti-gravifiques) et lors de la
somnolence qui précède
l'endormissement. Les herbivores, qui dorment
moins et ont un temps de sommeil paradoxal plus
bref que les carnivores ou les fructivores,
bâillent moins souvent. Bâillements
et pandiculations ouvrent au maximum les voies
respiratoires supérieures et renforcent
le tonus musculaire antigravitationnel. Toute
activité motrice déclenche un
rétrocontrôle (feedback) adaptatif.
La puissante contraction musculaire du
bâillement et de la pandiculation
déclenche une information sensorielle en
retour, par les voies de la sensibilité
profonde, projetant sur le locus coeruleus
(boucles sensorimotrices
trijémino-cervico-spinales), la
réticulée ascendante du tronc
cérébral et l'hypothalamus
latéral. La théorie la plus
développée et largement
acceptée actuellement, propose
d'expliquer la fonction physiologique du
bâillement comme une fonction de
stimulation de la vigilance, plus que de
l'éveil, et du tonus musculaire,
engendrée par ce
rétrocontrôle qui stimule ces
structures impliquées dans
l'éveil, la vigilance, et le tonus
musculaire (Provine, 1986; Walusinski,
2006).
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- Bâillements et pandiculations,
acteurs de l'intéroception et du
schéma corporel.
- Tentons de préciser cette
théorie de la stimulation de la
vigilance. Les enfants apprennent à
l'école que, suivant la tradition
aristotélicienne, nous disposons de cinq
sens. Ces cinq sens captent des informations
associées à l'environnement du
sujet. Mais nous bénéficions aussi
d'informations sur notre état corporel,
sixième sens baptisé
l'intéroception. Ce terme
intéroception, ou somesthésie
végétative, a aussi
été proposé par Charles
Sherrington (1857-1952).
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- L'éveil est essentiel à la
conscience. Celle-ci nécessite la
capacité d'intégrer des
informations sensorielles informant du monde
environnant, des sensations du ressenti de notre
état physique interne et de la gestion
des mouvements de notre corps dans l'espace,
modulées par les émotions et la
mémoire. Les sensations afférentes
en provenance du système
musculosquelettique convergent par les voies
spinothalamiques et spinoréticulaires
vers le thalamus, les noyaux du raphé, et
se projettent vers le cortex sensitif
pariétal ascendant. Le thalamus et le PVN
participent d'un circuit envoyant et recevant
des influx du locus coeruleus, des noyaux
tubéro-mamillaires, toutes structures
responsables des réflexes autonomiques.
Les nerfs crâniens, actifs pendant le
bâillement, trijumeaux (V), faciaux (VII),
pneumogastriques (X) et les racines cervicales
C1-C4, moteurs et/ou sensitifs, convoient aussi
des somesthésies qui convergent vers le
noyau du tractus solitaire (NTS), interface des
informations périphériques,
nécessaire à la stimulation de la
réticulée ascendante du tronc
cérébral, du locus coeruleus en
particulier, source de l'activation des
systèmes d'éveil
(adrénergique au pont, dopaminergique aux
pédoncules, histaminergique à
l'hypothalamus, cholinergique au noyau
basifrontal de Meynert). Les neurones du NTS
projettent sur le noyau parabrachial qui,
lui-même, projette vers de multiples sites
du tronc cérébral, du
diencéphale, du thalamus. Ces structures
projettent, également, vers le secteur
des sensations viscérales de l'insula, de
l'amygdale et du cortex latérofrontal,
surtout droit. C'est par ces circuits qu'une
activité homéostatique automatique
sous-corticale inconsciente parvient à
engendrer une représentation consciente.
L'intégration autonomique, somatique et
limbique permet ainsi d'extraire une perception
corporelle d'où peut émerger une
sensation de plaisir. Les variations
d'état du tonus musculaire
périphérique antigravitationnel,
transmises par ces voies, déclencheraient
bâillements et pandiculations qui, par les
puissantes contractions musculaires,
activeraient les systèmes de vigilance.
Le ressenti de l'activité
musculo-squelettique provoque alors une
sensation de bien-être, d'acutisation de
la thymie nécessaire à la
représentation du schéma corporel,
lors de l'éveil par exemple, comme le
proposent les théories des
émotions de James-Lange ou de «
somatic marker hypothesis of consciousness
» d'Antonio Damasio (Walusinski,
2006).
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- Le bâillement, phénomène
d'homéostasie du système
loco-moteur
- En 2011, le médcin
rééducateur brésilien Luiz
Bertolucci propose une théorie construite
sur une fonction d'autorégulation de
l'appareil locomoteur. Le système
musculo-squelettique est en constant remodelage
en fonction des contraintes mécaniques
qu'il subit (l'immobilisation prolongée
entraîne une fonte musculaire et une
déminéralisation du squelette).
Afin de maintenir la capacité de l'animal
à coordonner ses mouvements de
façon optimale, le bâillement et la
pandiculation restaureraient l'équilibre
structurel et fonctionnel du système
myofascial: étirement &endash;
contraction des fibres musculaires, traction -
relaxation des structures aponévrotiques
et tendineuses par le feed-back engendré,
assureraient l'homéostasie du
système locomoteur (Bertolucci,
2011).
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- L'hypothèse de la
thermorégulation
cérébrale
- On ne peut être qu'en acccord avec
Andrew C. Gallup et son équipe de jeunes
chercheurs américains qui, constatant
l'universalité des bâillements chez
tous les vertébrés, en
déduisent que bâiller est une
fonction physiologique essentielle. Son
déclenchement involontaire leur fait
supposer une fonction adaptative
homéostasique. Mais hélas, nous
doutons sérieusement de
plausibilité de la théorie qu'ils
présentent. Menant des études
comparatives sur des oiseaux, des rats et
l'homme, ils attribuent aux bâillements
une capacité à déclencher
une baisse de la température du
système nerveux central. D'après
leur modèle, l'accroissement de la
circulation faciale et cérébrale
qui suit le bâillement, agirait un peu
comme un radiateur, éliminant des
calories du sang cérébral par la
face et la tête; il introduirait vers le
cerveau du sang moins chaud provenant des
extrêmités et des poumons. Parmi
les expériences élaborées
par cette équipe, l'une comprend le port
d'un pack réfrigérant sur le
front. Les participants ainsi
équipés se sont montrés
moins sensibles à la contagion du
bâillement que lorsqu'ils ne portaient pas
de réfrigération frontale. Il faut
noter que le froid est un stimulant de
l'éveil (arousing effect) et peut
à lui seul modifier le résultat.
D'autres expériences faites sur des
oiseaux dans des ambiances thermiques
différentes montrent une fréquence
accrue du nombre de bâillements à
mesure que la température
extérieure s'accroît. Mais aucune
mesure de la température
cérébrale n'a été
enregistrée ce qui limite grandement la
valeur scientifique de cette étude. Tant
que des mesures directes,
intra-parenchymateuses, n'auront pas
été faites, cette théorie
ne nous paraît pas acceptable. Hannu Elo,
de l'Université d'Helsinki, montre
d'ailleurs que, d'après ses calculs,
cette hypothèse est physiquement
impossible. Hors une transpiration très
abondante provoquée par des
bâillements, il est impossible de faire
baisser la température corporelle en
bâillant. De même, le
bâillement ne peut abaisser la
température du cerveau ce qui
nécessiterait une évaporation
d'eau (poumons et voies respiratoires), une
perte par conduction, une radiation thermique et
un ralentissement du métabolisme. Cette
théorie ne prend pas en compte
l'existence des bâillements foetaux ou
ceux des reptiles poïkilothermes. Ainsi,
l'hypothèse du refroidissement du cerveau
par le bâillement nécessite
manifestement une évaluation plus
approfondie prenant en compte l'anatomie, la
physiologie et la réalité de la
nécessité de refroidir le cerveau
qui, en l'absence de fièvre, fonctionne
à température constante aussi bien
au repos, pendant le sommeil ou lors
d'activtités intellectuelles soutenues
(Elo, 2010; 2012; Gallup, 2010; 2012).
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- Le bâillement, la circulation du
liquide cérébro-spinal et le
"default mode network"
- En 1963, W. Ferrari, de l'université
de Cagliari, pionnier de la neuro-pharmacologie
du bâillement, proposait comme fonction
physiologique à ce comportement une
stimulation de l'attention au réveil et
luttant contre la pression du sommeil le soir
(Ferrari, 1963). Robert Provine a lui aussi
développé ce concept dans son
récent livre montrant comment le
bâillement, la toux, l'éternuement
modifient l'attention, l'humeur, d'une
façon mésestimée (Provine,
2012). Nous proposons une actualisation de ce
concept, évolution de la théorie
de la stimulation de la vigilance exposée
ci-dessus (Walusinski, 2014).
-
- Domenico Cotugno (1736-1822) est le premier,
en 1764, a évoqué la circulation
du liquide cérébrospinal (LCR)
(Cotugno, 1768; 1988). Les battements cardiaques
et les mouvements respiratoires transmettent des
variations de pressions dans les ventricules
cérébraux. Chaque inspiration
profonde est suivie d'une augmentation du
débit du LCR au niveau du IVè
ventricule. L'étude de la
cinématique mandibulaire montre que
celle-ci s'associe à l'inspiration pour
modifier la circulation intra-crânienne
(Woollam, 1957). F.H. Lepp a décrit, en
1982, "les mouvements mandibulaires qui ont le
rôle de mettre en action selon les besoins
la pompe musculo-veineuse
ptérygoïdienne qui fonctionne en
haut de l'espace parapharyngien antérieur
ou préstylien. De cette manière,
la pompe paratubaire peut s'intercaler dans le
mécanisme d'écoulement du sang
veineux hors de l'endocrâne et
principalement via le sinus canalis ovalis.
Ainsi, la citerne ptérygoïdienne,
correspondant à la pars caverna du plexus
ptérygoïdien et elle-même,
prolongement extra-crânien et
transovalaire du sinus caverneux, joue un
rôle important comme station
intermédaire d'accélération
pour l'écoulement en retour du sang
cérébral (...). On pourrait avec
raison considérer la cinématique
mandibulaire conjointement avec le muscle
ptérygoïdien latéral comme un
veino-moteur, d'autant plus que les deux
ensembles représentent en fait le
démarreur proprement dit pour la mise en
marche de l'action de pompage musculo-veineux
alterné de la pars cavernosa du plexus
ptérygoïdien. Elle est
évidemment particulièrement
efficace lors de l'acte de bâillement
isolé ou proprement dit,
c'est-à-dire surtout lorsque la bouche
atteint son ouverture maxima. Cependant,
répétons-le, le bâillement
lui-même n'est souvent que l'initiation
d'une réaction motrice musculo-veineuse
en chaîne, étendue aux membres et
à toute la musculature squelettique sous
forme d'ondes toniques propagées en
direction rostro-caudale jusqu'au bout des
doigts et des orteils" (Lepp, 1982). Il
apparaît ainsi que l'ample inspiration et
l'ouverture de bouche maximale du
bâillement accélèrent la
circulation du LCR (Bouyssou, 1985; Kapoor,
2008; Schroth, 1992).
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- En 1912, René Legendre (1880-1954) et
Henri Piéron (1881-1964) ont mis en
évidence la présence d'un facteur
hypnogène dans le LCR, c'est à
dire s'y accumulant pendant la veille et
s'éliminant pendant le sommeil (Legendre,
1912). Depuis 100 ans, plus de 50
molécules ont été
identifiées comme facteurs
somnogènes. Actuellement, sont notamment
répertoriés: le peptide vaso-actif
(VIP), la prolactine, l'anandamide
(endocannabinoïde) et une prostaglandine
PGD2 (García-García, 2009). PGD2
agit comme une hormone d'activité locale,
produite par les méninges. Sa fixation
sur un récepteur spécifique est
suivie d'une transduction depuis la
leptoméninge vers la parenchyme
cérébral en activant la
fabrication d'adénosine (purine),
celle-ci ayant un effet inducteur du sommeil au
niveau du noyau VLPO de l'hypothalamus
antérieur (Huang, 2007; 2011; Urade,
2011).
-
- Depuis les travaux novateurs d'imagerie
fonctionnelle cérébrale
développés par Marcus Raichle
(Washington University School of Medicine, Saint
Louis, USA), en 2001, nous savons que, lorsqu'un
individu est éveillé mais n'est
pas engagé dans des tâches
nécessitant une attention soutenue (en
particulier réfléchir,
méditer, en introspection), un circuit
neuronal spécifique est activé,
"le default mode network" (cortex cingulaire
antérieur, le precuneus et le cortex
médial préfrontal, etc.) (Raichle,
2001; 2007). A l'inverse, des réseaux de
contrôle de l'attention s'activent lors de
taches nécessitant un engagment soutenu
avec l'environnement (cortex frontal
dorso-latéral droit, cortex
pariétal inférieur droit,
pulvinar, insula, colliculus, jonction temporo
pariétale, en boucles
fronto-striato-thalamo-cortex etc) (Harris 2011;
Raz, 2006). Il semble que physiologiquement,
l'activation d'un système éteint
l'autre (inhibition réciproque), sans que
les mécanismes intimes du 'switch' soient
actuellement identifiés (Anderson, 2011;
Anticevic 2012: Fox, 2009). Considérant
que les comportements sont le résultat de
l'activation de circuits neuronaux plus ou moins
spécifiques, innés ou acquis, des
actions automatiques, involontaires, comme le
bâillement, peuvent
représentés un
accélérateur de changements
d'état ("attractor state") (Dosenbach,
2008; Larson-Prior, 2011). Grâce au
bâillement, le mode par défaut
"s'éteint" pour autoriser la stimulation
du système attentionnel (Lee, 2012).
Notre théorie pend en compte trois
niveaux de données en accord avec les
propostions de Ferrari et Provine.
- 1)° au niveau clinique: quand
l'environnement ne stimule plus l'attention,
nous bâillons pour nous reconnecter et
sortir d'un état de
méditation;
- 2°) le niveau 'réseaux
neuronaux': le bâillement désengage
le mode par défaut et engage le
système attentionnel (Tang, 2012);
- 3°) le niveau moléculaire: le
bâillement accélère la
clairance de facteurs somnogènes
acculmués dans le LCR en activant son
exfiltration vers le système veineux,
réduisant ainsi la baisse de la vigilance
(Tachikawa, 2012; Zarrindast, 1995).
-
- Une citation de David Frederick Horrobin
(1939-2003) qualifie parfaitement notre
démarche: « L'histoire des sciences
a montré, à maintes reprises, que
lorsque des hypothèses, des
théories sont proposées, il est
impossible de prédire celles qui se
révéleront être
révolutionnaires ou ridicules. La seule
approche utile au progrès est de les
laisser toutes voir la lumière, de toutes
les discuter, les expérimenter afin de
les démontrer ou de les oublier »
(Horrobin, 1976).
-
- En conclusion
- Pour clore ce survol des différentes
théories de la fonction du
bâillement, dont aucune n'est actuellement
scientifiquement démontrée, on
peut proposer que le bâillement est un
comportement extériorisant un processus
homéostasique du système nerveux
végétatif associé à
la vigilance, la faim et les émotions,
témoignant de l'équilibration de
la balance stimulation adrénergique /
cholinergique. Le bâillement est plus
proche d'une stéréotypie
comportementale que d'un réflexe.
-
- Bibliographie
-
- Anderson JS, Ferguson MA, Lopez-Larson M,
Yurgelun-Todd D. Connectivity gradients between
the default mode and attention control networks.
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