BÂILLEMENT,
s. m. (Physiolog.) ouverture involontaire de la
bouche, occasionnée par quelque vapeur ou
ventuosité qui cherche à
s'échapper, & témoignant
ordinairement la fatigue, l'ennnui ou l'envie de
dormir.
Le remède qu'Hippocrate
préférait contre le
bâillement, est de garder long-tems sa
respiration. Il recommande la même chose
contre le hocquet. (Voyez Hocquet). Suivant
l'ancien système, le bâillement
n'est jamais produit sans quelque irritation
qui détermine les esprits animaux à
couler en trop grande abondance dans la membrane
nerveuse de l'oesophage, qu'on a regardé
comme le siège du bâillement.
Quant à cette irritation, on la suppose
occasionnée par une humeur importune qui
humecte la membrane de l'oesophage, & qui vient
ou des glandes répandues dans toute cette
membrane, ou des vapeurs acides de l'estomac
rassemblées sur les parois de l'oesophage.
Par ce moyen les fibres nerveuses de la membrane du
gosier étant irritées; elles dilatent
le gosier, & contraignent la bouche à
suivre le même mouvement.
Mais cette explication du
bâillement a depuis peu donné
lieu à une nouvelle plus méchanique
& plus satisfaisante.
Le bâillement est produit par
expansion de la plûpart des muscles du
mouvement volontaire, mais sur-tout par ceux de la
respiration. Il se forme en inspirant doucement une
grande quantité d'air, qu'on retient &
qu'on raréfie pendant quelque tems dans les
poumons, après quoi on le laisse
échapper peu-à-peu, ce qui remet les
muscles dans leur état naturel.
De-là, l'effet du bâillement
est de mouvoir, d'accélérer &
de distribuer les humeurs du corps dans tous les
vaisseaux; & de disposer par conséquent
les organes de la sensation & tous les muscles
du corps, à s'acquitter chacun de leur
côté de leurs fonctions respectives.
(voy. Boerhaave, Inst méd S.638.L).
BÂILLEMENT,
s.m. Ce mot est aussi un terme
de Grammaire ; on dit également hiatus :
mais ce dernier est latin. Il y a
bâillement toutes les fois qu'un mot
terminé par une voyelle, est suivi d'un
autre qui commence par une voyelle, comme dans "il
m'obligea à y aller"; alors la bouche
demeure ouverte entre les deux voyelles, par la
nécessité de donner passage à
l'air qui forme l'une puis l'autre sans aucune
consonne intermédiaire; ce concours de
voyelles est plus pénible à
exécuter pour celui qui parle, & par
conséquent moins agréable à
entendre pour celui qui écoute; c'est ce qui
a fait que dans toutes les langues, le
mécanisme de la parole a introduit ou
l'élision de la voyelle du mot
précédent, ou une consonne euphonique
entre les deux voyelles. L'élision se
pratiquoit même en prose chez les Romains.
« il n'y a personne parmi nous, quelque
grossier qu'il soit, dit Cicéron, qui ne
cherche à éviter le concours des
voyelles, & qui ne les réunisse dans
l'occasion. Quod quidem lingua sic observat, nemo
ut tam rusticus sit, quin vocales nolit conjungere.
Cic.Orator°130. Pour nous, excepté avec
quelques monosyllabes, nous ne faisons usage de
l'élision que lorsque le mot suivi d'une
voyelle est terminé par un e muet; par
exemple, une sincère amitié, on
prononce sincer-amitié. On élide
aussi l'i de si en si il, qu'on prononce s'il; on
dit aussi m'amie dans le style familier, au lieu de
ma amie ou de mon amie; nos pères disaient
m'amour.
Pour éviter de tenir la bouche ouverte
entre deux voyaelles,& pour se procurer plus de
facilité dans la prononciation , le
mécanisme de la parole a introduit dans
toutes les langues, outre l'élision, l'usage
des lettres euphoniques,& comme dit
Cicéron, on a sacrifié les
règles de la Grammaire à la
facilité de la prononciation: Consuctudini
auribus indulgenti libenter obsequor...Impetratum
est à consuetudine ut peccare suavitatis
causâ liceret. Cicer. Orator.n.138. ansi nous
disons mon ame, mon épée,
plûtôt que ma ame, ma
épée. Nous mettons un t euphonique
dans y-a-t-il, dira-t-on; & ceux qui au lieu de
tiret ou trait d'union mettent une apostrophe n'est
destinée qu'à marquer le supression
d'une voyelle, or il n'y a point ici de voyelle
élidée ou supprimée.
Quand nous disons si l'on au lieu de si on, l'
n'est ponit alors une lettre euphonique, quoi qu'en
dise M l'abbé Girard, tom 1 p344. On est un
abrégé de homme; on dit l'on comme on
dit l'homme. On m'a dit, c'est à dire un
homme, quelqu'un m'adit. On, marque une proposition
indéfinie, individuum vagum. Il est vrai que
quoiqu'il soit indifférent pour les sens de
dire on dit ou l'on dit, l'un doit être
quelques fois préféré à
l'autre, selon ce qui précède ou ce
qui suit, c'est l'oreille à le
décider; & quand elle
préfère l'on au simple on, c'est
souvent par la raison de l'euphonie, c'est à
dire par la douceur qui résulte à
l'oreille de la rencontre de certaines syllabes. Au
reste ce mot euphonie est tout grec, bien, son.
Nos voyelles sont quelques fois suivies d'un son
nasal, qui fait qu'on les appelle alors voyelles
nasales. Ce son nasal est un son qui peut
être continué, ce qui est le
caractère distinctif de toute voyelle: ce
son nasal laisse donc la bouche ouverte; &
quoiqu'il soit marqué dans l'écriture
par un n, il est une véritable voyelle:
& les poètes doivent éviter de le
faire suivre par un mot qui commence par une
voyelle, à moins que ce ne soit dans les
occasions où l'usage a introduit un n
euphonique entre la voyelle nasale & celle du
mot qui suit.
Lorsque l'adjectif qui finit par un son
nasal est suivi d'un substantif qui commence par
une voyelle, alors on met l'n euphonique entre
les deux, du moins, dans la prononciation; par
exemple, un-n-enfant, bon-n-homme,
commun-n-accord, mon-n-ami. La particule on est
aussi suivie de l'n euphonique, o,-n-a.Mais si
le substantif précède, il y a
ordinairement un bâillement, un
écran illuminé, un tyran odieux,
un entretien honnête, une citation
équivoque, un parfum incommode; on dine
dira pas un tyran-n-odieux, un
entretien-n-honnête &tc;. On dit aussi
un bassin à barbe, & non un
bassin-n-à barbe. Je sais bien que ceux
qui déclament des vers où le
poète n'a pas connu ces voyelles nasales,
ajoûtent l'n euphonique, croyant que cette
n est la consonne du mot
précédent: un peu d'attention les
détronperoit: car, prenez-y-garde, quand
vous dites il est bon-n-homme, bon-n-ami, vous
prononcez bon & ensuite -n-homme, -n-ami.
Cette prononciation est encore plus
désagéable avec les diphtongues
nasales, comme dans ce vers d'un de nos plus
beaux opera : Ah! j'attendrai-long-tem, la nuit
est loin encore; où l'acteur pour
éviter le bâillement
prononce loin-n-encore, ce qui est une
prononciation normande. Le b & le d aussi
des lettres euphoniques. En latin ambire est
composé de l'ancienne préposition
am, dont on se servoit au lieu de circum; &
de ire; or comme am étoit en latin une
voyelle nasale, qui étoit même
élidée dans les vers, le b a
été ajouté entre am &
ire, euphonie causâ.
On dit en latin prosum, prosumus, prosui; ce
verbe est composé de la
préposition pro, & de sum: mais si
après pro, le verbe commence par une
voyelle, alors le mécanisme de la parole
ajoûte un d, prosum, pro-d-es, pro-d-est,
pro-d-eram, &tc. On peut faire de pareilles
observations en d'autres langues, car il ne faut
jamais perdre de vûe que les hommes sont
par-tout des hommes, & qu'il y a dans la
nature uniformité &
variété.
L'Encyclopédie
Les libraires Le Breton et Briasson voulaient
faire traduire en français
l'Encyclopédie de l'Anglais Chambers. Ils
s'adressèrent à Diderot, qui
accepta, mais les décida à publier
un dictionnaire beaucoup plus étendu et
tout nouveau. Le Prospectus en parut en novembre
1750; le premier volume, avec un Discours
préliminaire de d'Alembert, en juillet
1751. Bientôt les idées
disséminées dans l'ouvrage
commencent à inquiéter. Les
inquiétudes se précisent lorsque
l'abbé de Prades, ami des
encyclopédistes, eut réussi
à soutenir en Sorbonne, en 1751, une
thèse où l'on découvrit,
d'ailleurs après qu'elle eut
été reçue, des propositions
hérétiques. L'autorité prit
prétexte de la thèse pour faire
condamner l'Encyclopédie, dont les deux
premiers volumes furent supprimés par
arrêt du Conseil d'État, le 7
février 1752. Mais l'ouvrage avait des
protecteurs : d'Argenson, Mme de Pompadour,
Lamoignon, de Malesherbes, directeur de la
librairie, qui n'ordonna une visite de la police
chez Le Breton qu'après avoir
caché chez lui les manuscrits. C'est
ainsi que l'impression se poursuivit, à
la faveur d'une tolérance tacite,
dès 1753 et jusqu'en 1758.
Mais les ennemis de l'Encyclopédie se
remuaient toujours. Les pamphlets se
multipliaient. Fréron traitait le
dictionnaire d'ouvrage scandaleux. Il est
question de changer les trois censeurs
théologiens, que l'on trouve trop
indulgents. D'Alembert s'inquiète, puis
renonce à l'entreprise ; Voltaire fait
mine de l'imiter. Sur ces entrefaits
éclate le scandale de l'Esprit,
d'Helvétius. En condamnant ce livre, le 6
février 1759, le Parlement en condamnait
quelques autres, dont l'Encyclopédie. Un
arrêt du Conseil d'Élat, du 8 mars
1759, révoque le Privilège; un
autre, du 21juillet, prescrit aux
éditeurs de restituer soixantedouze
livres aux souscripteurs. Pourtant, les
philosophesse défendent, avec l'avantage
de l'esprit et du talent. Diderot, resté
presque seul, avec le chevalier de Jaucourt,
pour continuer le travail, s'impose un labeur
écrasant. Les volumes s'impriment
secrètement. Tout faillit sombrer lorsque
Diderot s'aperçut, en 1764, que Le Breton
mutilait à son insu les manuscrits pour
en supprimer ce qu'il jugeait dangereux.
Après s'être violemment
emporté contre cette «
atrocité », il consentit à
continuer, par égard pour
l'associé de Le Breton, Briasson. Les
volumes de planches paraissaient avec
l'autorisation du gouvernement. En 1766,
l'impression fut achevée. On indiqua sur
la page de Titre Neuchâtel comme ville
d'impression et les souscripteurs de Paris
durent aller chercher leurs volumes aux
environs. Après cette inoffensive
comédie et quelques autres,
l'Encyclopédie, fut lue et se vendit sans
obstacles. Elle comprend 17 volumes in-folio, 5
volumes de suppléments où Diderot
n'est pour rien (1777), et 11 volumes de
planches.
Un aspect important (et moins connu) de la
formation de Diderot dans le domaine des
sciences naturelles &endash; mis à part
la relation fondamentale (bien connue) à
Maupertuis et Buffon &endash; est la dette du
philosophe à l'égard de ses amis
et « maîtres »
encyclopédistes, les médecins de
Montpellier (de Ménuret à
Fouquet), rédacteurs de la plupart des
articles concernant la médecine et la
physiologie. A l'École de Montpellier
s'ajoute aussi la leçon du Dictionnaire
de médecine (1745) de R. James, dont
Diderot fut un des traducteurs, un ouvrage qui
est encore redevable au iatromécanisme de
la fin du XVIIe siècle. Quelle est la
mesure de l'apport de ces sources à la
constitution de la physiologie philosophique du
dernier Diderot (Éléments de
physiologie) et quelle a été la
part prise par Diderot dans la rédaction
de certains articles et de leurs
désignants mis en rapport avec le
Système figuré des connaissances
humaines. Quelle place y occupe la Physiologie ?
Et quel est son « reflet » concret
dans le corps de l'Encyclopédie
elle-même, dans le domaine des sciences de
la vie ? La réponse à ces
questions pourrait suggérer quelques
idées à propos de la
définition des désignants et de
leur origine, ce qui implique une «
stratégie » d'organisation de la
matière textuelle &endash; tacite ou
explicite &endash; qui a guidé le travail
des rédacteurs et révèle
leur manière de se rapporter aux projets
des deux éditeurs.
An important aspect of Diderot's training in
natural science, which is less well-known than
his important relationship with Maupertuis and
Buffon, is his debt towards his friends and
'masters' of the Montpellier medical school,
from Ménuret to Fouquet, who wrote most
of the Encyclopédie articles on medicine
and physiology. One should also men?tion
R.James's medical dictionary (1745) which
Diderot, Eidous and Toussaint trans?lated and
which is still marked by late 17th-century
iatromechanism. This article studies the
contribution of these sources to Diderot's
philosophical physiology in the Eléments
de physiologie and Diderot's role in writing
these articles and their subject indicators in
relation to the system of human knowledge. We
look at the importance of physiology and its
place in the field of natural history in the
Encyclopédie itself. This study throws
light on the definition of the subject
indicators and their origin, implying an
implicit or explicit strategy for organising the
text, which guided the work of its authors and
shows how they conformed to the editors'
project.
Paolo Quintili, « La
position de la physiologie philosophique de
Diderot par rapport au Système des
connaissances », Recherches sur
Diderot et sur l'Encyclopédie,
numéro 40-41 Les branches du savoir dans
l'Encyclopédie,