- En 1952, l'introduction des neuroleptiques
en clinique apportait aux patients
schizophrènes une solution
thérapeutique largement efficace, mais
non exempte d'effets secondaires. Il
était communément admis que la
dopamine agissait en stimulant deux
récepteurs, D1 et D2, et que les effets
des neuroleptiques résultaient du seul
blocage du récepteur D2. Cependant,
certains neuroleptiques,
considérés comme "atypiques" pour
leurs effets secondaires moindres, avaient un
profil particulier aussi bien in vitro que chez
l'animal, ce qui nous avait
suggéré l'existence d'une plus
grande diversité des récepteurs de
la dopamine. Cette idée n'avait pas, loin
s'en faut, gagné l'adhésion de la
communauté scientifique, jusqu'à
ce que nous découvrions, avec M.-P.
Martres et B. Giros dans l'Unité 109 de
l'INSERM dirigée par J.-C. Schwartz, un
troisième récepteur de la dopamine
(RD3) [I]. Nos observations
suggèrent que le RD3 constitue un site
d'action important des neuroleptiques, par
lequel ces médicaments exercent leurs
effets thérapeutiques. Sa localisation
est restreinte chez le rat aux régions
limbiques du cerveau et il est absent des
régions impliquées dans le
contrôle du mouvement, riches en
récepteur D2, dont le blocage
apparaît ainsi responsable des effets
secondaires des neuroleptiques. La
découverte du RD3 a donc ouvert la
perspective de développer des agents
thérapeutiques nouveaux, agissant sur
certaines fonctions spécifiques de la
dopamine (contrôle de la motivation, de
processus cognitifs et des émotions) sans
en affecter les autres fonctions (contrôle
de la motricité, sécrétions
hormonales).
-
- Le clonage du gène humain du RD3 a
ouvert un champ d'investigation en psychiatrie
génétique. De par ses
propriétés, ce gène est
candidat dans les affections psychiatriques pour
lesquelles des facteurs
héréditaires sont proposés,
comme la schizophrénie. Une association
génétique entre le gène du
RD3 et la schizophrénie, bien que
d'ampleur limitée, a été
confirmée récemment [2] et
suggère un rôle mineur de ce
gène dans la susceptibilité
à cette pathologie.
-
- Nous avons aussi décrit le rôle
du RD3 dans la sensibilisation comportementale,
révélant ainsi un mécanisme
cardinal dans l'adaptation du système
nerveux central à l'administration
répétée d'agonistes
dopaminergiques indirects, qui pourrait rendre
compte aussi bien du besoin croissant de drogue
dans la toxicomanie que de
l'hypersensibilité aux psychostimulants
dans la schizophrénie ou encore des
effets secondaires de la levodopa
(dyskinésies) dans le traitement de la
maladie de Parkinson [3]. Nous avons
aussi démontré le rôle du
RD3 dans la réactivité à un
environnement spécifiquement
associé à la prise de drogue, qui
suggère l'utilisation d'agents
sélectifs du RD3 comme traitement
préventif de la rechute chez les
abstinents, pour lesquels les images
évocatrices de prise de drogue ("cues")
sont incitatrices [4].
-
- L'identification d'un agoniste
sélectif et partiel du RD3, le BP 897, a
été décisive : elle a
résulté d'un travail de
collaboration avec un groupe de
pharmacochimistes de l'Université de
Strasbourg (A. Mann et C.G. Wermuth) et un
groupe de psychologie expérimentale de
l'Université de Cambridge (B.J. Everitt).
L'évaluation de l'intérêt
thérapeutique du BP 897 dans le
traitement de la schizophrénie, de la
maladie de Parkinson et des
pharmaco-dépendances est en cours, en
collaboration avec le laboratoire
français Bioprojet. Ces affections ont en
commun, semble-t-il, de mettre en jeu le BDNF
(Brain-derived Neurotrophic Factor), dont nous
avons démontré le rôle
spécifique dans le contrôle de
l'expression génique du RD3 [5].
Le BP 897 nous permet aujourd'hui de
développer le concept qu'une intervention
thérapeutique pharmacologique serait plus
efficace en utilisant des agents
"stabilisateurs", capables de limiter les
fluctuations de la transmission dopaminergique
dans les deux directions.
-
- Ce concept est actuellement mis I
l'épreuve en collaboration avec E.
Bézard et C. Gross (CNRS UMR 5543,
Bordeaux) dans le traitement de la maladie de
Parkinson, en utilisant un modèle animal
réaliste, le singe intoxiqué par
le MPTP. Cette maladie résulte du manque
de dopamine, mais un traitement de substitution
par la levodopa provoque, à terme, des
mouvements anormaux (dyskinésies),
causés très vraisemblablement par
une stimulation excessive du RD3. Les
résultats indiquent que le BR 897, par sa
propriété agoniste/antagoniste
mixte, atténue très sensiblement
les dyskinésies, sans affecter
l'efficacité thérapeutique de la
levodopa. Ces observations suggèrent une
piste thérapeutique entièrement
nouvelle pour le traitement de la maladie de
Parkinson, actuellement testée sur des
patients en collaboration avec Y. Agid
(Hôpital de la
Pitié-Salpétrière,
Paris).
-
- Cet exemple permet de mesurer les
possibilités offertes par la
caractérisation d'un nouveau gène,
pour la thérapeutique et, plus
généralement, pour la
connaissance. Les données du
génome, désormais disponibles,
constituent ainsi une mine d'une très
grande richesse. Mais il fait aussi ressortir
combien le chemin qui mène du gène
vers les applications cliniques peut être
long et a nécessité dans ce cas,
pour être parcouru, la combinaison
d'approches expérimentales et de
compétences très diverses, allant
de la biologie moléculaire à
l'utilisation de modèles
physiopathologiques complexes, en passant par la
pharmacologie moléculaire, la
pharmacochimie, la génétique et la
neuroanatomie. Par là, il illustre la
nécessité d'une véritable
recherche intégrée dans le champ
des neurosciences.
-
-
- 1.Sokoloff, P, Giros, B, Martres, M-P,
Bouthenet, M-L et Schwartz,J-C (1990). Nature
347: 146-151.
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Feingold, J, Schwartz, J-C et Sokoloff, P
(1998). Am J Med Genet Neuro psychiatric
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j, Sokoloff, P et Schwartz, J-C (1997). Proc Nat
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- 4. Pilla, M, Perachon, S, Sautel, F,
Garrido, F, Mann, A, Wermuth, CG, Schwartz, j-C,
Everitt Bj et Sokoloff, P (1999). Nature 400:
371-375.
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- 5. Guillin, O, Diaz, j, Carroll, P, Griffon,
N. Schwartz, J-C et Sokoloff,P (2001). Nature
411:86-89.
-
Les
recepteurs de la dopamine comme cibles d'action
des neuroleptiques
-
-
- Pierre SOKOLOFF Unité de
Neurobiologie et Pharmacologie (U.109) de
l'iNSERM, Centre Paul Broca, 2ter rue
d'Alésia, 75014 Paris - France
-
-
- II est connu depuis bientôt 30 ans que
les neuroleptiques agissent en interrompant la
transmission de la dopamine, par blocage des
récepteurs de cette amine (Carlsson et
Lindqvist, 1963). Deux types de
récepteurs, D1 et D2, avaient
été différenciés par
leur action sur l'adénylate cyclase et
par leur spécificité
pharmacologique qui indique que seul le
sous-type D2 peut représenter la cible
commune d'action des neuroleptiques (Kebabian et
CaIne, 1979). Grâce aux récents
progrès de la biologie moléculaire
dans ce domaine, la grande diversité des
récepteurs de la dopamine est
établie et on en connaît
actuellement pas moins de 5 sous-types.
-
-
- Après le clonage des gènes des
récepteurs D2 (Bunzow et coll., 1988) et
D1 (Dearry et coil., 1990; Zhou et coll., 1990;
Sunahara et coll., 1990), sont venus ceux de
récepteurs moins abondamment
exprimés et certainement moins attendus,
les récepteurs D3 (Sokoloff et al..
1990), D4 (Van Tol et coll., 1991) et D5
(Sunahara et coll., 1991). Ces
découvertes ont été
possibles grace à l'homologie structurale
que partagent non seulement les
récepteurs de la dopamine, mais
également les autres membres de la
superfamiile des récepteurs
couplés aux protéines G. Les
études structurales de l'un d'entre eux
la rhodopsine "récepteur de la
lumière" nous ont appris qu'ils
étaient constitués de 7 domaines
transmembranaires que séparent
alternativement des boucles extracellulaires et
cytoplasmiques.
-
- Les gènes des récepteurs de la
dopamine peuvent être regroupés en
deux groupes selon leurs propnétés
structurales : 1) les gènes des
récepteurs D1 et D5 ont une
séquence codante continue et une
homologie élevée en
séquence d'acides aminés (50%) ;
2) les gènes des récepteurs D2 D3
et D4 ont leur séquence codante
interrompue par des segments d'ADN-non-codant
"introns", l'homologie en acides aminés
est élevée (le récepteur D2
est homologue à 50% avec le
récepteur D3 et 41% avec le
récepteur D4). L'homologie entre les
membres des deux groupes n'est que de 25%. Les
homologies sont plus importantes dans les
domaines transmembranaires, qui constituent le
siège présumé de
l'interaction avec la dopamine,
particulièrement au niveau d'un
résidu aspartate qui lie l'amine dans le
3ème et de deux résidus
sérine qui lient la partie catechol dans
le 5ème.
-
- Dans le groupe de gènes à
introns, différentes protéines
peuvent être générées
par épissage alternatif du promessager.
Dans le cas du récepteur D2 nous avions
montré l'existence de deux isoformes
différant par la présence d un
peptide de 29 aminoacides dans la
troisième boucle cytoplasmique, à
spécificité pharmacologique
identique mais dont l'expression est
tissudépendante (Giros et coll., 1989).
Ces deux isoformes pourraient interagir avec
différentes protéines G et ainsi
déclencher des sigaux intracellulaires
distincts.
-
- Le gène du récepteur D3
génère aussi deux variants plus
courts de transcripts qui ont été
détectés dans le cerveau de rat
grâce à la technique
d'amplification génique (PCR) (Giros et
al., 1991). La production de ces transcripts
résulte de deux processus
différents d'épissage alternatif.
Dans le premier cas, il s'agit d'une
délétion du 2ème exon qui
introduit un changement de phase de lecture; ce
transcript code pour une protéine de 109
aminoacides. Dans le second cas, une portion de
la séquence codante dans le 4ème
exon sert de site accepteur d'épissage,
ce qui introduit une délétion de
18 acides aminés principalement au niveau
de la 2ème boucle extracytoplasmique. La
protéine codée par ce
deuxième transcript exprimée de
façon stable dans des cellules en culture
ne révèle aucune activité
dopaminergique. La signification physiologique
de ces transcripts reste à
établir; ils pourraient intervenir dans
la régulation du nombre de
récepteurs D3 actifs. Ces transcripts
plus courts existent aussi chez l'homme et on
peut supposer qu'une perturbation de ces
mécanismes complexes aurait des
conséquences pathologiques.
-
- L'extrême variabilité de
séquences entre les récepteurs de
la dopamine au niveau de la 3ème boucle
cytoplasmique, où se situe l'interaction
avec les protéines G est probablement en
relation avec la diversité des fonctions
biologiques de ces récepteurs. Les
récepteurs D1 et D2 ont des effets
opposés sur l'adenylate cyclase et la
phospholipase C, le récepteur D1
étant activateur de ces enzymes alors que
le récepteur D2 est inhibiteur. La
stimulation du récepteur D2
accélère la libération
d'acide arachidonique et la co-stimulation du
récepteur D1 potentialise cette
réponse (Piomelli et al., 1991), ce qui
pourrait être à la base du
synergisme observé in vivo entre
l'activation de ces deux récepteurs.
L'activation du récepteur D3 produit dans
les cellules CHO des inhibitions de
l'adénylate cyclase qui sont nettement
plus faibles que celles observées
après stimulation du récepteur D2,
ce qui suggère qu'ils diffèrent
dans leur mode de couplage et interagissent avec
différentes protéines G.
Contrairement à d'autres cellules, en
particulier les cellules nerveuses, la cellule
CHO n'exprime pas la protéine Go, dont le
rôle comme élément
transducteur reste largement inconnu. Lorsque le
gène de cette protéine est
cotransfecté dans la cellule CHO avec le
gène du récepteur D3, on constate
un couplage entre le récepteur et la
protéine Go. Ceffe
sélectivité d'intéraction
entre récepteur et protéine G dans
le cas du récepteur D3 suggère des
propriétés tout à fait
particulières du mode de fonctionnement
de ce récepteur.
-
- Les autorécepteurs contrôlent
l'activité des neurones dopaminergiques
eux-mêmes. Ils ont été
classés pharmacologiquement comme "D2"
mais la substance noire et l'aire tegmentale
ventrale, où se trouvent les corps
cellulaires des neurones dopaminergiques,
contiennent à la fois l'ARN messager du
récepteur D2 et celui du récepteur
D3. Les deux autorécepteurs pourraient
soit être synthétisés par
des populations neuronales distinctes, soit
avoir des fonctions distinctes inhibition de
l'activité électrique des
neurones, inhibition de la synthèse ou de
la libération de la dopamine. La fonction
d'autorécepteur du récepteur D3
est confirmée par le fait que certains
agonistes particulièrement actifs sur les
autorécepteurs sont aussi des agents
sélectifs du récepteur D3.
-
- L'hypothèse d'une
sélectivité d'action anatomique
des récepteurs de la dopamine est
renforcée par le fait que la distribution
régionale de ces récepteurs,
évaluée grace à
l'utilisation de sondes nucléotidiques
spécifiques, varie
considérablement d'un récepteur
à l'autre. Les récepteurs D1 et D2
sont les plus abondants et distribués
ubiquitairement dans les régions
dopaminoceptives, en particulier le
néostriatum. Une distribution analogue
est trouvée pour le récepteur D5
(Sunahara et coll., 1991). Par contre,
l'expression des autres sous-types semble
restreinte à certaines régions.
C'est particulièrement le cas du
récepteur D3, sélectivement
exprimé dans les régions
limbiques, ce qui suggère qu'il n'exerce
pas les actions régulatrices de la
dopamine sur la motricité, mais
plutôt sur les fonctions cognitives et
émotionnelles (Sokoloff et coil.,
1990).
-
-
- Ceci n'est évidemment pas sans
conséquences thérapeutiques s'il
est possible d'agir sélectivement sur un
sous-type de récepteur avec des agents
spécifiques. La dopamine elle-même
a une affinité micromolaire pour les
récepteurs D1 et D2, submicromolaire pour
les récepteurs D4 et D5, et nanomolaire
pour le récepteur D3. La
quasi-totalité des neuroleptiques ont des
affinités nanomolaires pour les
r6cepteurs D2 et D3, qui apparaissent comme la
cible privilégiée de ces agents.
La localisation imbique" du récepteur D3
suggère que le blocage de ce
récepteur participe à l'effet
antipsychotique des neuroleptiques, alors que
leurs effets secondaires extrapyramidaux
seraient dus à leur interaction avec le
récepteur D2. Cette hypothèse
s'appuie aussi sur l'observation que certains
neuroleptiques atypiques (sulpiride,
amisulpride, pipothiazine, pimozide) sont
relativement mieux reconnus par le
récepteur D3 que les neuroleptiques plus
classiques comme le halopéridol. La
clozapine paraît partiellement
sélective du récepteur D4, ce qui
pourrait être à l'origine de son
profil thérapeutique particulier. Quant
aux agents sélectifs des
récepteurs D1 et D5 leur
évaluation clinique est en cours.
-
- La découverte que la famille des
récepteurs est largement plus
diversifiée qu'on l'avait d'abord
pensé offre donc des perspectives
thérapeutiques très
intéressantes. En particulier le clonage
du récepteur D3 qui apparaît comme
une cible privilégiée pour les
antipsychotiques ouvre la possibilité de
développer des médicaments
à indications plus ciblées ou bien
dénués d'effets secondaires.
-
-
- Références
-
-
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- Sunahara R.K., Guan H.C., O'Dowd B.F.,
Seeman P., Laurier L.G., Ng G.. George S.R.,
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Sunahara R.K., Seeman P., Niznik H.B. and
Civelli O., Nature, 1991, 350: 610-614.
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- Zhou Q.Z., Grandy D.K., Thambi L., Kushner
J.A., Van Toi H.H.M., Cone R., Pribnow D., Salon
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