Blanche K. est née le 6 juillet 1899,
d'un père inconnu et d'une mère
très nerveuse. Nous n'avons sur sa
famille aucun autre renseignement. Sa
mère l'a placée chez des paysans
à l'âge de 18 mois. Ceux-ci l'ont
tout-à-fait adoptée. Depuis,
Blanche n'a revu sa mère que deux fois,
et n'a éprouvé aucune sympathie
pour elle.
Ses antécédents personnels
sont peu chargés. A l'âge de 6 ans,
elle a fait une chute sur la tête, dans
une fenêtre. A ce moment, elle eut une
hémorragie par les oreilles, et a
gardé depuis lors une surdité
presque complète du côté
droit. Actuellement l'examen du tympan droit ne
présente rien d'anormal. Vers l'âge
de 12 ans, elle eut une rougeole et une
poussée de fièvre urticaire(?),
dit-elle. Elle n'était pas sujette aux
bronchites. Elle n'a jamais consulté de
médecin avant sa grippe, en 1920.
Réglée à 14 ans, elle a
présenté de l'insomnie pendant les
trois semaines qui ont
précédé ses
premières règles, et durant ce
temps, elle était devenue assez
irritable. Ses règles étaient
régulières et duraient 5 jours
environ. Elles étaient indolores mais
chaque fois qu'elles arrivaient, Blanche se
montrait plus nerveuse qu'à l'ordinaire.
Notre malade n'a cependant jamais
présenté de stigmates
hystériques. Voici ce que nous savons de
son caractère comme enfant, elle
était assez prompte, et se mettait
rapidement en colère, mais elle n'a
jamais été boudeuse. Très
franche, s'il lui arrivait parfois de voler un
peu de sucre ou de confitures dans l'armoire,
elle allait l'avouer de suite après. Elle
avait assez de facilité à
l'école. Son régent nous
écrit qu'elle avait bonne mémoire,
et qu'elle a toujours été assez
bonne élève. A la maison, elle se
montre affectueuse et travailleuse. Elle n'eut
jamais, dans son enfance, de terreurs nocturnes,
et n'était pas peureuse en
général.
Sa famille adoptive se composait d'une
grand'mère, d'un père, d'une
mère et de trois filles qui toutes
étaient passablement plus jeunes qu'elle.
La grand-mère était assez
sévère avec Blanche. Elle
l'obligeait d'aller à l'église
tous les dimanches, été comme
hiver, quoique leur demeure fût
éloignée d'environ 7 à 8
kilometres du temple. Quelquefois, lorsqu'il
pleuvait très fort, les enfants
n'allaient pas au culte, mais alors on leur
interdisait de sortir pendant le reste du
dimanche. La grand-mère était
autoritaire et têtue, et il fallait
exécuter ses 36 000 volontés.
Blanche l'aimait bien, mais trouvait son joug un
peu difficile. Par contre elle affectionnait
beaucoup ses parents adoptifs, avec qui elle
s'entendait très bien. Ceux-ci ne
faisaient pas de différence entre leurs
propres enfants et Blanche qui, jusqu'à
l'âge de 10 ans, a été
élevée dans l'idée qu'ils
étaient ses parents. Elle
n'éprouva pas de chagrin lorsqu'on lui
dit qu'elle était une fille
adoptée. Jusqu'à sa maladie
actuelle, elle s'entendait aussi très
bien avec les trois filles de la maison. Depuis,
l'aînée lui fit sentir qu'elle
n'était pas de la famille, et la traita
souvent de folle.
Blanche a terminé l'école
à 15 ans. Elle est restée cinq ans
à travailler chez ses parents adoptifs.
Ceux-ci appréciaient hautement son
zèle au travail, sa propreté, sa
conscience, et ne s'attardaient guère aux
brèves colères qu'elle manifestait
de temps à autre lorsqu'on la
contrariait, surtout à l'époque de
ses règles.
À 20 ans, elle se place chez une dame
M , très nerveuse, habitant une
petite ville du canton de Vaud. Elle se montre
très travailleuse, et elle-même se
sent heureuse. Ses maîtres ne notent rien
de pathologique, à ce moment-là,
dans son caractère.
2. Affection actuelle
Au commencement du mois de février
1920, Blanche s'alite dans une grippe assez
sévère, bien qu'elle ait eu
39° de fièvre le premier jour,
pendant cette grippe, elle conserve un sommeil
normal. Sa patronne montait souvent dans sa
chambre, et les derniers jours, lui disait : "
mais vous n'êtes pas malade ! ". Blanche
s'énervait de ses propos, car
malgré sa température normale,
elle se sentait très asthénique.
En se relevant de sa grippe, elle passe huit
jours chez ses parents adoptifs. Là, rien
d'anormal: elle travaille au ménage et
dort bien. Comme auparavant, elle se sent «
at home », et ne remarque rien de
changé, dans l'attitude des siens
à son égard. Tout au plus,
maintenant qu'elle est habituée à
plus de liberté, trouve-t-elle le jong de
la grand-mère un peu pénible.
Huit jours après, elle rentre chez
Mme M , et reprend son travail de
façon tout à fait normale, mais,
le soir, n'arrive pas à s'endormir. Elle
passe la nuit éveillée, et calme,
dans son lit.
Le lendemain, elle fait bien son ouvrage,
sans se sentir trop fatiguée. Le soir,
elle se couche à 10 heures, comme
à l'ordinaire, et n'éprouve rien
d'anormal. Entre 11 heures et minuit, elle a un
cauchemar qui la réveille, et la poursuit
à l'état de veille. L'image
onirique était la suivante: elle voyait
une vieille femme morte, portant un bonnet de
nuit. Celle-ci, malgré ses yeux clos,
regardait Blanche au travers de la
fenêtre.
De suite après ce cauchemar, Blanche,
très effrayée, commence une
agitation psychomotrice. Elle présente
des convulsions dans les quatre membres et dans
le tronc. À la face, on ne remarque rien
d'anormal. Elle hallucine, voit des têtes
d'hommes autour d'elle. Elle parle de gens qui
la poursuivent, babille, et s'agite ainsi toute
la nuit. Le matin, on appelle un médecin,
qui l'envoie à la campagne, chez ses
parents adoptifs.
Arrivée chez elle, elle n'hallucine
plus, mais l'excitation motrice persiste trois
jours durant. La nuit, elle se sent
agitée et ne peut dormir, tandis que de
jour elle dort quelques heures d'un sommeil de
plomb. Elle reste trois semaines chez ses
parents adoptifs, les convulsions cessent, mais
le rythme onirique reste inverti. Les derniers
jours qu'elle passe à la campagne, elle
se remet au travail. À ce
moment-là, elle ne présente ni
spasme de la face ni polypnée.
Chez Mme M , elle reprend son travail
qu'elle poursuit sans interruption jusqu'en mai
1921. Pendant ce temps, l'insomnie persiste,
elle dort une nuit sur deux, quand elle prend
son calmant. De plus : aménorrhée
pendant toute cette période. L'insomnie
amène une altération du
caractère qui se manifeste surtout par de
l'irritabilité, et une diminution de la
mémoire.
Au début de mai, Blanche a une vive
émotion. Le fils de sa patronne se casse
la jambe dans un accident de motocyclette. Quand
M. M lui annonce la chose, elle se met
à trembler comme une feuille, et toute la
journée continue à trembler.
À cette occasion sa patronne se montre
très nerveuse.
Peu de jours après, s'installe chez
Blanche des bâillements très
fréquents, se répétant
environ toutes les trois minutes, jusqu'à
certains moments plus espacés ou plus
nombreux. Ils s'accompagnent d'un besoin intense
de sommeil, surtout pendant le jour, mais
Blanche, qui ne veut pas perdre sa place, ne se
couche pas.
Les bâillements sont
précédés d'un sentiment de
constriction dans la glotte et dans la poitrine.
Ils sont très lents et finissent par
produire une très forte douleur dans
l'articulation de la mâchoire. Ces
bâillements durèrent environ
15 jours, et ne cessèrent qu'à
l'apparition des symptômes suivants: la
malade présente une douleur intense qui
commence deux centimètres en avant de
chaque oreille et qui descende
légèrement en oblique. Cette
douleur remonte aussi jusqu'à l'os
malaire, et s'accompagne d'un spasme du faciale
inférieur, intéressant la
musculature de la joue, le peaucier du cou, et
parfois le sterno-cleïdo mastoïdien.
La malade tire les deux coins de la bouche en
arrière. De temps à autres, un
seul coin est relevé, ceci surtout
à gauche. Ce spasme est très
fréquent, il se produit plusieurs fois
par minute. L'entourage ne peut me dire s'il
persiste pendant la nuit. Il a
débuté brusquement un soir, avec
l'exacerbation de la douleur. Ce spasme plus
fréquent le matin et le soir, pendant que
la malade est au lit. Pendant ce spasme, Blanche
arrête sa respiration, puis à une
courte durée (quelques secondes) de
polypnée. La respiration devient plus
ample, d'abord rapide, puis lente. Le spasme a
parfois l'apparence d'un mouvement de
défense contre le
bâillement. Il arrive souvent il
exagère vers la fin de la
polypnée, ce qui provoque à
nouveau une respiration anormale. Il se fait
ainsi un cercle vicieux dont Blanche a beaucoup
de peine à sortir.
La douleur qui accompagnait le spasme
était atroce, elle a duré de
façon aiguë environ 15 jours, puis a
persisté moins forte pendant environ deux
mois.
Plus tard, elle est revenue à
plusieurs reprises pendant plusieurs jours. Au
moment du paroxysme de la douleur, Blanche a
dû quitter sa place et est
retournée dans sa famille adoptive (mai
1920). Pour essayer de soulager ces mots, elle
soutenait souvent son menton avec sa main, ou
bien se pressait l'émergence du facial ou
l'insertion mastoïdienne du
sterno-cleïdo mastoïdien. Les premiers
temps de ce spasme, elle poussait à
chaque contraction un petit gémissement.
La contraction a toujours été
lente, tonico-clonique, jamais clonique.
Blanche n'a pas eu froid sur la joue avant
l'apparition de sa névralgie, mais elle
avait quelques dents cariées. La douleur
a cessé quoi que ces dents n'aient
été ni arrachées ni
soignées.
Grâce à la douleur, le spasme
ne pouvait se produire sans que Blanche sans
doutât. Cela la gênait même
dans la déglutition, et surtout dans la
mastication. Il lui est arrivé à
plusieurs reprises, quand elle mâchait
depuis un moment, d'avoir un trismus
spasmodique, sorte de crampes des masticateurs,
qui paralysait complètement sa
mâchoire pendant quelques secondes.
Au mois d'août, le symptôme
douleur avait complètement disparu, mais
tout cet épisode n'avait fait
qu'accroître l'irritabilité de
Blanche. Elle était devenue vulgaire, ce
qu'elle n'était pas auparavant, nous
écrit le Dr. Gagnebin qui la soignait
à ce moment. Elle jurait et disait de
vilains mots, si bien que l'on aurait pu croire
qu'il ne s'agissait pas d'un spasme facial, mais
d'un tic accompagné de coprolalie, en un
mot d'un cas de la maladie
de Gilles de la Tourette. Mais Blanche n'a
jamais présenté
d'écholalie, ni d'échopraxie. De
plus, elle dit qu'elle n'a été
grossière que dans les moments de
colère, et elle a toujours pu
maîtriser sa parole. Sa coprolalie
n'était pas impulsive et
irrésistible comme son spasme. Du mois
d'août au mois de septembre, elle suit un
traitement hypnotique, entre autres avec le
docteur Bonjour, mais sans résultat.
C'est alors que ses parents se décident
à l'envoyer à Cery, le 17
décembre 1920.
Son père adoptif nous raconte que les
derniers temps elle s'emportait pour un rien,
surtout lorsqu'on la grondait pour son tic. Dans
ces moments de colère, non seulement elle
était grossière, mais encore elle
lançait à terre tous les objets
qu'elle trouvait sous sa main. À la
maison, elle travaillait encore, aidant au
ménage.
3. Observation à l'asile.
À son arrivée on constate:
vifs réflexes tendineux ou quatre
membres. Clonus, surtout au pied droit. Babinski
négatif. Réflexes cutanés
normaux. Léri et Mayer positifs. Pupilles
égales, légèrement
excentriques. Tremblements de la langue et des
doigts. Dentition très
défectueuse. Organes internes: rien de
particulier, si ce n'est un pouls rapide (100).
Les bruits du coeur présentent un rythme
foetal. Tic facial, et tic respiratoire tel
qu'ils ont été décrits plus
hauts. La polypnée s'accampagne d'une
grande soif. La malade répond bien aux
questions qu'on lui pose.
Blanche reste alitée les
premières semaines. Son tic se produit
souvent, quoique très
régulièrement, soit un grand
nombre de fois par minute, soit quelquefois par
heure. Mais il n'est pas d'heure où il ne
se présente au moins deux ou trois fois.
Il disparaît pendant le sommeil. Il est
déclenché par la moindre
émotion, par le moindre changement dans
son entourage.
Blanche se sent fatiguée, quoi
qu'elle ait bon appétit et que son corps
présente un bon état de nutrition.
Le sommeil, par contre, reste mauvais,
même avec des calmants. Elle n'arrive
à dormir que trois ou quatre heures par
nuit.
Après quelques semaines,
légère amélioration,
diminution dans la fréquence du tic. La
malade se sent un peu moins fatiguée et
commence à se lever. Elle se montre tout
de suite très serviable et très
sociable. Elle cause à ses voisines, ne
se met pas en colère contre elles, ni
contre les infirmières. Elle ne se
signale par aucune extravagance, elle se montre
active et complaisante, et, comme nous le
verrons plus loin, ne présente en aucune
façon le fond mental de
l'hystérique.
Pendant son séjour à l'asile,
elle n'a pas eu de nouveaux cauchemars. Elle a
eu que quelques rêves insignifiants, qui
se reportaient surtout à son désir
de quitter Cery. Elle se prêtait du reste
mal à une psychanalyse, parce qu'elle
n'arrivait pas à donner ces associations
spontanées.
Elle ne présente aucun trouble de la
parole, pas même un ralentissement dans
l'élocution. Elle n'a pas non plus
d'autres troubles moteurs que ce que nous avons
décrits. Mais on remarque que sa
mémoire est très affaiblie. Elle,
qui était une bonne élève,
ne s'est me dire dans quel pays se trouve
Copenhague, Budapest, Manchester. Elle place
Liège, Bruxelles et Athènes en
France, prend Bordeaux pour un port de la
Méditerranée. Ses connaissances en
fait de géographie suisse sont aussi
rudimentaires. Elle ne sait, par exemple, dans
quel canton se trouve Thoune, etc. elle ne sait
plus si Napoléon était un empereur
allemand ou français. Quand on lui
demande l'histoire de Guillaume Tell, elle
répond : « il a tué son fils
», et ne sait rien ajouter d'autre. Elle ne
sait pas mieux qui étaient Winkelried et
le Major Davel. Elle sait qu'elle a su
l'histoire de ces personnages, mais elle est
aujourd'hui incapable de s'en souvenir. Le
calcul laisse autant à désirer : 9
X 7 = 42. 6 X 8 = 48. 7 X 8 = 52. 63 + 36 = 99
(calcul très lent).162 + 97 = 259.
Pendant toute cet interrogatoire, elle
s'impatiente et tique beaucoup.
Comme le motif déterminant de son
internement avait été ses
colères et qu'elle n'en a pas
présenté ici, on la laisse
returner chez ses parents adoptifs, le 13
février 1922. Cinq jours après,
elle rentre à Cercy, et son père
adoptif nous donne les renseignements suivants:
tout allait bien pendant les trois premiers
jours, puis Blanche a découvert qu'on
avait employé ses économies
à payer son séjour à Cery.
elle s'irrite, se dispute avec les gens de la
maison, refuse de manger, menace d'aller se
jeter au lac, tique de nouveau beaucoup, et se
montre très irrascible et nerveuse.
Elle-même nous donne les
renseignements suivants: J'étais
très heureuse de rentrer à la
maison, mais dès le lendemain de mon
arrivée, je sentis que cela n'irait pas
bien avec ma grand'mère. Elle voulait
tout le temps me donner des conseils: "Tu vas
bien travailler, tu ne feras pas comme avant, tu
ne te mettras plus en colère, etc." Mon
tic augmentait beaucoup, cela m'énervait.
Le soir, je me sentis un peu grippée, et
je voulus me mettre au lit, quand
grand'mère m'a tout de suite dit: "Tu
t'écoutes trop, ce n'est pas la peine que
tu reviennes ici si c'est pour te plaindre".
Blanche, énervée reste au lit le
15 et le 16 et ne se lève qu'un moment
dans l'après-midi. Le 17 au matin, sa
grand'mère vient lui dire: "Tu restes
encore au lit aujourd'hui?" Elle répond
que oui, mais se lève tout de même.
La grand'mère se fâche. Blanche
s'énerve, tique, refuse de manger.
L'aînée des filles dit: "Je ne veux
pas qu'elle reste ici, elle est folle.»
Cette parole exaspère Blanche qui sent
qu'on va la ramener à Cery, et elle
devient plus irritable encore. Aussi
entre-t-elle dans une violente colère
quand, l'après-midi, sa grand'mère
l'empêche d'aller se présenter chez
quelqu'un qui lui offrait une place.
Pendant son second séjour dans notre
asile, le tic existe presque uniquement à
gauche. Il s'accompagne de nouveau de
névralgies, mais l'examen
électrique ne présente rien
d'anormal. En 8 jours le tic diminue
sensiblement, et ne paraît plus qu'une ou
deux fois par heure. Blanche ne présente
ni mauvaise humeur ni colère. Elle
s'angoisse de temps à autre à
l'idée de ne pas guérir. Pendant
ces moments, elle tique davantage. Elle ne
présente aucune idée
délirante. Le 13 mars elle écrit
une lettre en termes très raides à
sa vraie mère, lui reprochant de l'avoir
mise au monde pour l'abandonner ensuite. Au mois
d'avril, elle va moins bien, et est souvent
angoissée parce qu'elle sait qu'on doit
la rapatrier en Suisse allemande d'où
elle est originaire. Le 20 avril 1922, elle est
rapatriée à Schüpfheim
(canton de Lucerne).
Le 31 mai 1922, Blanche est ramenée
à l'asile par sa propre tante.
Très malheureuse à
Schüpfheim, où elle se trouvait dans
une population composée surtout d'idiots,
qui, du reste, parlaient tous l'allemand,
qu'elle ne sait pas, elle chercha à
renouer connaissance avec sa vraie famille. Elle
écrit des lettres
désespérées, parle de se
tuer, obtient enfin de pouvoir quitter
Schüpfheim, et va chez sa vraie
grand'mère. Elle y reste alitée et
tranquille pendant 8 jours. Ensuite elle se
lève mais s'énerve facilement. Sa
famille lui reproche souvent de ne pas gagner sa
vie. Elle reprend vite ses colères,
insulte les visites, se montre capricieuse dans
sa façon de manger. Refuse aux repas, et
mange ensuite. Grimace beaucoup, menace les
gens, mais ne les frappe pas. Tape du poing sur
la table. Et, après ses colères,
ne se souvient souvent pas de ce qu'elle a
fait.
Blanche eut d'abord du plaisir à
faire la connaissance de sa vraie famille, et
elle s'y plaisait, mais bientôt sa
grand'mère se mit à dire du mal de
ses parents adoptifs, et elle ne put supporter
cela. C'était le principal motif de ses
colères. Elle s'occupait au ménage
et au jardin, mais se sentait malheureuse et
incomprise Elle s'irrite de plus en plus
souvent, si bien qu'on est obligé de la
ramener à Cery.
Pendant son troisième séjour
à l'asile, elle commence par tiquer
énormement, mais ce symptôme
s'améliore assez rapidement. Au bout de
quelques jours, elle put passer plusieurs heures
sans tiquer. Mais son caractère
était plus altéré. Il lui
arriva à plusieurs reprises de se
disputer avec des camarades. Elle s'angoisse
aussi plus facilement, se sent abandonnée
de tout le monde, pleure, et à ces
moments là reprend ses mouvements
involontaires. Elle n'a toujours pas ses
règles. Elles les eut trois fois
seulement, depuis février 1920. Ces
derniers temps, elle présentait des
vertiges et des pesanteurs gastriques
après les repas. La pression de la
région pylorique était
douloureuse. Elle ressort de l'asile le 2
juillet, pour être placée à
la campagne.
Discussion du
cas.
Nous croyons, pour éclairer ce cas,
qu'il vaut mieux discuter de façon
indépendante les deux épisodes
pathologiques de cette anamnèse. Nous
commencerons donc par discuter l'agitation
psychomotrice de février 1920, qui fut
précédée d'un cauchemar et
suivie d'une longue période d'isomnie et
d'irritabilité, accompagnée de la
perte des règles. Ce point résolu,
nous étudierons le spasme facial et
intercostal qui a fait son apparition en mai
1921.
1. Faut-il voir dans l'épisode de
Février 1920 une simple suite de
grippe?
Dans sa thèse (Contribution à
l'étude des psychoses consécutives
à la grippe, Montpellier, 1907) Victor
Fougue rend compte de l'abondante
littérature qui a été
écrite après
l'épidémie de 1889-1890 sur les
complications nerveuses de la grippe. Sa
conclusion est que la grippe ne nous donne pas
de nouvelles formes de psychose. Ce sont surtout
des démences précoces et des
confusions mentales qui suivent cette maladie.
Il ne cite pas de convulsions toniques et
cloniques apparaissant peu de jours après
la grippe, et durant sans interruption pendant
des heures. Si les convulsions ont
été signalées dans la
grippe, ce n'est que pendant le cours aigu de la
maladie, et seulement dans les formes où
le méningisme était
prononcé. De plus, l'insomnie
post-grippale, chez les personnes non atteintes
d'aliénation mentale, ne semble pas se
prolonger ainsi pendant plus d'une année.
Pour toutes ces raisons, il nous paraît
peu probable que dans le cas de Blanche, ce
premier épisode soit une simple suite de
grippe.
2. S'agirait-il d'une psychose
post-onirique?
On se souvient en effet que l'agitation
psychomotrice de notre malade a
débuté la suite d'un cauchemar.
Elle avait vu, de derrière la
fenêtre, une femme morte qui la regardait.
En 1866 (Soc. de Biologie, 20 nov.),
Féré a rapporté le cas
d'une paralysie hystérique
consécutive à un rêve.
Depuis, quantité d'auteurs ont
signalé des faits analogues. J'ai
expliqué ailleurs (La méthode
psychanalytique, Payot, 1922, p. 99 et suiv.)
que dans ces cas, l'accident nerveux
n'était pas une conséquence du
rêve, mais que symptôme morbide et
rêve devaient être
considérés comme deux expressions
différentes d'une même
émotion. S'agirait-il d'un incident
purement psychogène? Analysons de plus
près l'image onirique de Blanche. Cette
vieille femme ne lui rappelle personne.
Cependant, lorsqu'on attire son attention sur le
bonnet blanc, le malade dit de suite: Je ne
connais qu'une personne qui en porte, c'est ma
grand'mèe adoptive. Ce rêve comme
tous les autres que nous avons eu l'occasion
d'analyser chez Blanche, est très simple.
Il est l'expression de son désir
inconscient de voir mouir la grand'mère
avec qui, pendant sa convalescence, elle venait
de reprendre contact. Depuis qu'elle avait
été en place, elle s'était
habitué à une certaine
liberté; elle eut donc de la peine
à se faire au caractère maniaque
et autoritaire de sa grand'mère. De plus,
elle s'était à moitié
fiancée avec un jeune homme protestant,
et n'osait l'avouer à sa famille
adoptive, catholique, à sa
grand'mère surtout. Pour toutes ces
raisons naquit eu son inconscient le
désir de voir dispataître sa
bienfaitrice. Mais ce désir, combattu par
un sentiment d'affection, donne au rêve un
caractère anxieux.
Le rêve est simple, mais a-t-il un
rapport avec l'agitation qui lui a
succédé? En tous cas, si ce
rapport existe, je n'ai pu le trouver. Daus les
autres cas d'accidents nerveux, suite de
rêves, on trouve toujours un certain
rapport psychogène entre les deux
manifestations. On voit ici que ce n'est pas le
cas. De plus, les antécédents
hystériques n'existent pas, et d'autre
part, comment expliquer, si tous ces accidents
sont psychogènes, que l'insomnie persiste
alors que délire et agitation motrice
n'ont été que très
passagers? Nous écartons donc comme peu
probable l'hypothèse d'une névrose
post-onirique. Nous serions assez
disposés à considérer ce
rêve comme un simple cauchemar
précédant les troubles de
l'encéphalite. On sait que cela a
été souvent signalé (Jones
and Raphael, "The Psychiatric featness of E.",
Arch. of Neurol. and Psychiatr. T. V. p. 150,
1921). Laignel-Lavastine (Troubles psychiques de
l'E., Gazette des hôpitaux civils et
militaires. T. 94, p. 389 et 405, 1921) insiste
sur les terreurs nocturnes et les
cauchemars.
3. S'agirait-il d'une Encéphalite
léthargique à forme
typique?
C'est à notre avis le diagnostic,
sinon certain, du moins le plus probable, et
voici pourquoi:
Ces longues périodes d'insomnies, qui
débutent simplement par un renversement
du rythme onirique, sont très
caractéristiques de l'encéphalite.
Or, c'est bien ce qu'a présenté
Blanche. Elle-même nous dit que les trois
premières semaines, elle dormait le jour
et se sentait agitée la nuit. Elle n'a
cessé qu'au moment où elle a
repris son travail diurne malgré
l'insomnie nocturne.
Mais à cela on m'objectera qu'il a
manqué à Blanche la période
de somnolence, la période de
fièvre, les troubles oculaires. Est-ce
vraiment une raison pour abandonner ce
diagnostic? Je ne le pense pas. Nombreux sont
les cas où la période de sommeil
manque. On en a cité beaucoup ces
derniers temps, mais ils étaient connus
déjà en 1920. J'en donnerai pour
seule preuve la communication de Gallavardin et
Devic sur l'encéphalite myoclonique,
faite à la société
médicale des Hôpitaux de Lyon le 3
mars 1920. (Voir Lyon médical du 25 mars
1920, p. 27O. Sicard et Kudelski
(Encéphalite myoclonique, Bull, et
Mém. de la Soc. Med des hôpitaux de
Paris, p. 390, 19 mars 1920.) rapportent aussi
le cas d'un malade de 33 ans qui n'a
présente ni insomnie, in élevation
de température.
L'absence des troubles oculaires dans
l'encéphalite , ainsi que débuts
insidieux sont connus depuis longtemps
également. Pierre Marie les a
signalés dès 1919. (Rev. Neurol.
1919, p. 300.) Quant à l'absence de
fièvre, elle se rencontre même dans
certains cas typiques de parkisonnisme.
L'absence des symptômes
précités ne saurait donc nous
engager à exclure d'emblée le
diagnostic d'encéphalite
épidémique. Mais, en plus de
l'insomnie et de l'interversion du rythme du
sommeil, quels signes justifient notre
diagnostic?
Il y a d'abord la myoclonie localisée
aux quatre membres. Ces secourses cloniques,
nous dit la malade, et son père adoptif
nous confirme son témoignage, ont
duré trois jours, presque sans
interruption. Le visage ne présentait
aucune convulsion. Elles ont cessé assez
brusquement, sans séquelles, mais ont
produit chez la malade une forte
asthénie. C'est à leur suite que
Blanche s'est mise à dormir de jour.
Un quatrième symptôme nous
semble justifier le diagnostic de
l'encéphalite épidémique.
Je veux parler de l'altération du
caractère. Passons en revue les
changements de sa personnalité:
1) Blanche devient plus colérique,
plus irritable qu'elle n'était.
2) Elle devient grossière, vulgaire
même, nous écrit le Dr. Gagnebin
qui était son médecin
habituel.
3) Elle devient anxieuse,
obsédée, par l'idée qu'elle
ne guérira pas.
4) Elle devient plus émotive.
5) Elle présente de
l'asthénie.
6) Son intelligence diminue. Sa
mémoire, en particulier,
s'affaiblit.
Cet ensemble de signes ne constitue pas la
symptomatologie d'une psychose connue. Elle se
rapproche beaucoup de
l'hébéphrénie, mais il y a
conservation de l'affectivité, ce qui
nous permet d'exclure ce diagnostic. Par contre,
cette symptomatologie rappelle
tout-à-fait les altérations de
caractère qui ont été
décrites à la suite de
l'encéphalite
épidémique.
Voyons plutôt: L'irritabilité
souvent accompagnée de coprolalie, est
signalée par Hilgermann (Bakteriol. und
Kim. Untersuchungen, Ergebnisse bei E.
Zentralbl. f. Bakt. Parasitenkr. und
Infektionskr., Bd 86, p. 415, 1921). Kirschbaum
("Persönlichkeitsveränderungen nach E"
96. Hauptvers. der Psych, von der Rheinprovinz,
Köln, 25 VI. 1921) remarque que ces
colères sont souvent accompagnées
de moments de dépression, d'envie de
suicide, ce qui est aussi le cas chez notre
malade. Dans la même séance,
Westphal fait des constatations analogues.
Mouriquand, Lany et Martine (Séquelles
psychiques de l'E. chez l'enfant. Journ. med. de
Lyon, p. 742, 1921) rendent attentif à la
brusquerie de ces colères,
caractère que nous retrouvons aussi chez
Blanche. Nous pourrions multiplier è
l'infini ces citations, mais ce n'est point
nécessaire, car à l'heure qu'il
est beaucoup de médecins ont
été témoins de ces
scènes colériques
post-encéphalitiques.
L'angoisse a été
signalée par Cruchet ("Pronostics et
Séquelles de l'E." Bull. Mém. de
la soc. méd. des hôpitaux de Paris,
T. XXXVII, p. 344, 1921), par Hohmann ("Enc. Its
psychotic Manifestations, etc,.Arch. of Neurol.
and Ps., T. VI, p. 295, 1921) et par bien
d'autres.
L'émotivité fut
également signalée par Hohmann
(op. cit.), Laignel-Lava.stine (op. cit.),
Rütimeyer ("Uber Post E. Störungen",
Schweiz med. Wochenschrift, p. 7, 1921),
etc.
L'asthénie a particulièrement
frappé Hess ("Folgezustancle der akuten
E.", Münch. Med. Wochenschr., T. 68, P.
481, 1921). Elle est mentionée par un
grand nombre d'autres médecins.
L'affaiblissement de l'intelligence portant
surtout sur la mémoire et la
capacité d'attention est notée par
Pecori (LE. a Roma, Ann. d'ig., T. 31, p. 32-57,
1921), Bianchi, Gino (Ipostumi mentali d'ell'
E., Giorn. di clin. med., T. II, p. 401, 1921),
Hesnard (Troubles psychiques de l'E., Gazette
hebd. de la Soc. méd. de Bordeaux, 1920,
p. 1070), Camp ("The Sequelae of E.", Journ. of
the Michigan State Med. Soc., T. XX, p. 314,
1921).
A propos de chaque symptôme, nous
avons cité quelques auteurs. Ces listes
pourraient être bien plus longues, car
c'est de façon tout-à-fait
générale que l'on a trouvé
ces séquelles psychiques dans
l'encéphalite épidémique.
Dans un très grand nombre de cas, on
trouve ces 6 symptômes
associés.
Nous rappelons encore que, parmi les
symptômes du mois de février 1920,
Blanche a présenté une perte des
règles qui s'est prolongée
très tardivement. Ce signe n'a rien de
pathognomonique pour l'encéphalite
épidémique, il pourrait tout aussi
bien être une suite de grippe; Notons
cependant qu'il a été
signalé à plusieurs reprises
à la suite de la maladie qui nous occupe
ici. De même, chez l'homme, on a
remarqué un affaiblissement de la libido
(Voir à ce propos: Hess (op. cit.),
Massé, , Séquelles motrices et
psychiques de l'E., Journ. de Méd. de
Bordeaux,. T. 92, p. 513, 1921, et Bianchi, M,
Quino, op. cit., etc.).
Les considérations
précédentes nous semblent
justifier le diagnostic d'encéphalite
épidémique.
Passons maintenant à.
l'étude du spasme facial et des autres
phénomènes qui l'ont
accompagné.
Nous diviserons cette discussion en trois
problèmes:
A) Quelle a été l'origine des
bâillements qui ont
précédé le spasme?
B) Quelle a été l'origine du
spasme facial, et s'agit-il bien d'un
spasme?
C) Quelle est l'origine des accès
dyspnéiques qui accompagne le spasme
facial?
A) On se souvient qu'entre février
1920 et mai 1921, Banche n'a
présenté aucun
phénomène anormal, si ce n'est: 1)
de l'insomnie persistante, 2) de
l'aménorrhée, 3) de
l'irritabilité pathologique. Puis,
brusquement, sans cause apparente, au
début de mai s'est installé un
besoin impérieux de bâiller.
Blanche y était obligée
jusqu'à 20 et 30 fois par minute.
Ces bâillements
étaient-ils d'origine
hystérique?
Ce phénomène est assez rare
dans la symptomatologie hystérique,
cependant Gilles de la Tourette, qui nous a
laissé une description très
minutieuse de l'hystérie, décrit
quelques cas présentant des
bâillements (Voir Gilles
de la Tourette, Traité sur
l'hystérie, T. II, p. 196-201. Gilles de
la Tourette, Huet et Guinou, Contribution
à l'étude des
bâillements hystériques,
Nouv. Icon. de la Salpétrière,
1890, p. 70. - Pitres, Leçons sur
l'hystérie, T. I, p. 345. - Couserrant,
Gazette des Hôpitaux, 1846, p. 375. -
Charcot, Leçons du mardi, 1888-1889, p. 1
et suiv. -Féré. Nouv. Icon, de la
Salpêtrière, 1888, T. I, p. 163),
lesquels se succédaient à quelques
secondes d'intervalle, pendant des heures.
Charcot (op. cit.) base surtout le diagnostic
des bâillements hystériques
sur leur rythme et leur cadence. Ce
symptôme paraît avoir fait
défaut dans le cas de Blanche, mais
Gilles de la Tourette distingue deux formes,
dont l'une paroxystique où les
bâillements surviennent les uns sur
les autres. C'est bien ce qu'a ressenti Blanche.
"Lorsque la crise va survenir", écrit
Gilles de la Tourette, la malade accuse une
sensation de boule qui remonte de
l'épigastre; elle a des bourdonnements
d'oreille, des battements dans les tempes, puis
après un temps variable, éclatent
les bâillements, sous forme
d'accès." (Traité de l'Hys, T. II,
p. 199.) Charcot écrivait aussi: "Ce qui
est exagéré, c'est l'amplification
de l'écartement des mâchoires
porté à son maximum au ponit qu'il
peut se produire une luxation des
mâchoires et des phénomènes
inflammatoires du côté des
articulations temporo-maxillaires." (Clinique,
des maladies du syst. nerveux, publiée
par Guinon, T. I, p. 455.) Tous ces
caractères précités,
Blanche les a présentés. Elle n'a
pas eu de luxation, mais il est possible que sa
névralgie ait apparu à la suite
d'une inflammation de l'articulation maxillaire.
La pandiculation, quoique symtôme
accessoire, n'a pas fait défaut chez
notre malade. Peut-être est-elle en
rapport avec le tic respiratoire qui lui a
succédé.
Malgré la concordance de la
description de Gilles de la Tourette avec les
symptômes qu'a présentés
Blanche, nous hésitons encore à
taxer ses crises de bâillements de
symptômes hystériques. En effet, si
notre malade s'est toujours montrée
émotive, et ceci surtout depuis sa
maladie, elle n'a cependant pas le fond mental
de l'hystérique. Pendant son
séjour à l'asile de Clery, elle se
montre plutôt timide, mais n'est pas
maniérée. Elle ne cherche pas
à attirer l'attention sur elle, elle ne
se montre pas érotique, elle ne fait pas
de cachotteries avec les autres malades, elle ne
fait pas de farces aux infirmières, elle
n'invente pas de récits, ne
présente aucune extravagance, n'a pas de
stigmates hystériques, ne se montre ni
jalouse, ni farouche. Elle est au contraire
simple et franche, mais émotive. Pour
toutes ces raisons, nous éprouvons
quelque scrupule à mettre purement sur le
compte de l'hystérie la genèse de
ses bâillements. (On pourrait en
outre se demander si le bâillement
se rencontre bien dans l'hystérie, et
s'il n'est pas plutôt un tic au sens que
Meige donne à ce terme. Nous nous
proposons d'examiner cette question
ailleurs).
Ceux-ci seraient-ils une séquelle
éloignée de l'encéphalite,
un symptôme analogue aux myoclonies? Dans
toute la littérature que nous avons
parcourue concernant l'encéphalite
épidémique, nous n'avons vu citer
ce symptôme du bâillement
irrésistible et fréquent que dans
l'article de Sicard
et Paraf: "Fou-rire syncopal et
bâillements au cours de l'E."
(Bull. et Mém. de la Soc. des
hôpitaux de Paris, p. 232, 1921), et dans
l'article de Mayer (Physiol. und Pathol.
über das Gähnen, Zeitschr. f.
Biologie, T. 73, U. F. 55, p. 101), qui en
rapporte 4 cas survenus toujours dans des
encéphalites atypiques et frustes.
La physiologie du bâillement,
qui est relativement peu étudiée
ne nous renseigne guère davantage sur
l'étiologie des bâillements
de Blanche. Les travaux à ce sujet sont
peu nombreux. Nous ne connaissons guère
que ceux de Féré
"Note sur le bâillement", Soc. de
biologie, Séance du 1 VII 1905, et
"Epilepsie et épileptiques", Alcan 1890,
p. 68 et 69), puis le travail de Landauer ("Das
Sich-selbststrecken", Zeitschr. f. d. ges. N.
und P., T. 58), et enfin les travaux tout
récents de Hauptmann "Wie, wann und wozu
gahnen wir?" Südwestdeutsche Neurol. und
Irrenärzteversammlung VI, 1920) et surtout
de Lewy ("Uber das Gähnen, Zeitschr
für die Ges. Neurol. u. Psych., T. 71, p.
161).
De tous ces auteurs, il résulte que
les causes prédisposantes au
bâillement sont:
I Causes organiques.
1. Certains états
physiologiques.
a) Fatigue corporelle.
b) Etat hypnagogique du réveil
c) Etat de faim.
d) Immobilité prolongée.
2. Certains états pathologiques.
A) Lésions organiques du
systèrne nerveux central:
a) Apoplexie.
b) Epilepsie.
c) Encéphalite.
d) Lésions du cervelet.(?)
B) Maladies organiques en
général:
a) Anémie.
b) Cachexie.
c) Troubles de la circulation du
cerveau
II. Causes psychiques.
1. Causes normales.
a) Sentiment de sommeil et de fatigue.
b) Sentiment d'ennui, d'attente ou de
faim.
c) Volonté pure et simple de
bâiller.
2. Causes pathologiques.
a) Hystérie.
b) Psychopathie.
c) Suggestion.
d) Imitation.
Pour Landaner, Hauptmann et Lewy, le
rôle biologique du bâillement
est de donner un coup de fouet à toute la
musculature de la respiration. Le réflexe
est probablement déclanché par un
besoin d'oxygène dans les poumons. On le
voit, cette physio-pathologie ne nous permet
guère de trouver une étiologie
précise aux crises de
bâillements de Blanche. A vrai dire
cette étiologie reste quelque peu
obscure, et nous sommes réduits à
de pures suppositions. On peut se demander si la
longue insomnie de Blanche n'en est pas la cause
essentielle. Cependant, le fait curieux est que,
malgré la persistance de l'insomnie, les
bâillements ont cessé. La
courte durée de ce symptôme
parlerait évidemment en faveur d'un
accident hystérique, à moins que
la névralgie faciale qui s'est
installée au moment de la cessation de ce
symptôme, soit suffisante pour expliquer
sa disparition.
On le voit, malgré l'analyse
détaillée de la symptomatologie de
notre malade, il n'est guère possible de
conclure de façon définitive.
Trois Possibilités demeurent: il s'agit
soit d'un accident psychopathique, soit d'un
accident post-encéphalitique, soit d'une
réaction physiologique à une
insomnie trop prlongée.
B) Quelle est l'origine du spasme facial?
S'agit-il seulement d'un tic comme on les
rencontre souvent à la suite des
encéphalites épidémiques?
Ceux-ci ont eu effet été
mentionnés par Cruchet (Pronostic et
Séquelles de I'E., op. cit.), Laignel-
Lavastine (op. cit.), Paterson and Spence (The
after effects of E. in children), etc.
Comme l'a remarqué Babinski à
la séance de la Société de
Neurologie du 5 mai 1921, les tics
débutent généralement au
facial supérieur, pour se
généraliser ensuite à toute
la face. Chez Blanche, au contraire, c'est le
facial inférieur qui est atteint. Est-ce
une raison pour écarter
l'hypothèse d'un trouble
post-encéphalitique? Non pas: à
cette même séance, Babinski
présente un cas où seul le facial
inférieur est atteint, et Massary
remarque qu'il en a également
rencontré un cas.
A en juger par la littérature, les
mouvements involontaires dans la région
buccale ne sont pas une si grande rareté.
Ils ont été rapportés entre
autres par Mlle Lévy et le Prof. Pierre
Marie (Voir "Deux nouveaux cas de mouvements
involontaires post-encéphalitiques
à localisation exclusivement
linguo-facio-masticatrice." Bull, et Mém.
de la Soc. des Hop. de Paris, 30 avril 1920, p.
646, p. 661), par Médea. ("Sur quelques
formes atypiques de l'E.", Atti della Soc.
Lombarda di Sc. med. e biol., 26 mars 1920), par
Roger, Aymes et Dumas ("Trismus persistant et
hémiatrophie linguale au cours d'une E.",
Marseille méd., p. 138-153), par Zagari
de Modène (E. grippale Reforma med.,
1920, p. 293) qui cite un cas assez analogue au
nôtre, mais accompagné de troubles
anesthésiques, par Renault ("Mouvements
cloniques rythmés de l'hémi-face
droite persistant dans le sommeil chez un enfant
de 71/2 ans", Encéphale 1921 p. 51),
Wexberg ("Uber Kau- und Schluckstörungen
bei E.", Zeitschr. f. die Ges. Neurol. Psych.,
T. 71, p. 210-233, 1921), Fremel ("Zur Frage des
subkortikalen Kau- und Schluckzentrums",
Monatsschr. f. Ohrenheilkunde und
Laryngorhynol., T. LV, p. ¤81, 1921), Adler
("Zuckungen im linksseitigen Mund winkel nach
E.", Vers. Dtech. Arzte, Prag, Sitzung 10 mars
1922), etc.
Les accidents spasmodiques de cette
région peuvent se classer soit parmi, les
tics soit parmi les spasmes (ces deux termes
sont compris ici dans le sens que leur ont
donné Meige et Feindel dans leur livre
sur "Les tics et leur traitement", Paris, Masson
1902). Dans le cas d" Blanche, avons-nous
vraiment à faire à un accident
postencépbaiitique? Si l'on entend par
là qu'il s'agit d'une lésion de
l'encéphale ou du
mésncéphale, alors nous pouvons
dire que non, car son spasme, comme nous le
verrons tout-à-l'heure, rentre dans les
spasmes névralgiques. Mais ce que peut
dire, c'est que l'encéphalite favorise la
névralgie. C'est du moins ce que nous
apprend Economo ("Considérations sur 1'E.
et ses différentes formesé, Arch.
Suisse de Neurol. et d.c Psych., T. VI, p. 276,
1920).
Cette névralgie est-elle uniquement
sous la dépendance de l'E.? Probablement
pas. Nous pensons qu'il faut encore incriminer
deux autres facteurs, à savoir
l'aménorrhée et la fatigue
musculaire. C'est un fait bien connu que la
perte des règles provoque souvent par
auto-intoxication des douleurs
névralgiques. La ménopause aussi
entraîne souvent après elle des
troubles de ce genre, et l'on s'étonne
vraiment que les auteurs modernes aient si peu
utilisé l'opothérapie pour
combattre ces maux. Les auteurs anciens avaient
attaché plus d'importance aux
corrélations de la névralgie
faciale et de l'aménorrhée. Voici
par exemple les constatations de Valleix
("Traité des névralgies", Paris,
Baillière, 1841, p. 139-140). Il constate
que dans 7 cas sur 10, la névralgie a
été précédée
de troubles menstruels. Dans le remarquable
livre de Cruchet ("Traité des torticolis
spasmodiques", Paris, Masson 1907 plus de 350
cas sont relatés, mais les indications
concernant l'aménorrhée sont si
rares qu'il est impossible de se baser sur eux
pour élever une statistique. Quoi qu'il
en soit, les auteurs modernes continuent
à citer des cas où les
névralgies ont suivi la perte des
règles. Oppenheim (Lehrbuch der
Nervenkrankh., T. J) cite la puberté, la
ménopause, la grossesse et la lactation
comme des facteurs favorisant la
névra1gie. Wertheim Salomonson, dans son
article "Neuralgie und Myalgie" (Handbuch von
Lewandowsky, T. II) lait les mêmes
constatations. Fernand Lévy, dans sa
belle thèse sur les névralgies
faciales (Paris, Librairie médicale,
Rousset, 1906) confirme l'opinion de Valleix. Il
cite (observ. No. 26) un cas intéressant
de névralgie prémenstruelle,
où la douleur disparaît avec
l'apparition des règles. Il cite encore
(p. 169) le cas d'une jeune fille souffrant de
migraines, chez laquelle la névralgie
disparut, dès que les règles
s'établirent avec une
périodicité
régulière. L'ouvrage de Cruchet
rapporte 46 cas de femmes. Dans 29 cas il n'est
fait aucune allusion aux règles, dans 6
cas on a noté qu'elles n'avaient rien
d'anormal, et dans 12 cas on signale que la
perte des règles a
précédé le spasme ou le
tic.
Tout ceci nous justifie de considérer
cette étiologie comme probable dans le
cas de Blanche. Mais chez elle, la localisation
de cette névralgie semble encore avoir
été déterminée. par
le fait du grand travail qu'ont accompli les
muscles faciaux durant les 15 jours où
elle n'a cessé de
bâiller.
La névralgie établie,
considérons maintenant si le spasme qui
lui est associé et qui l'a suivi de
très près, a bien les
caractères du spasme névralgique.
Pour cela il nous faut jeter un coup d'oeil sur
l'évolution de ce symptôme chez
Blanche.
La contraction tonico-clcnique et
douloureuse a duré environ deux mois.
Presque continue au début, elle s'est
substituée à une douleur par
accès, accompagnée de spasmes. Ces
douleurs étaient provoquées par
des émotions, des chocs, des bruits. Plus
tard encore l'élément douleur a
fait entièrement défaut, et le
spasme prit de plus en plus une allure
uniquement clonique.
Avant d'entrer plus avant dans la discussion
du symptôme définissons quelques
termes: le spasme, pour Cruchet, est une
contraction lente, tonique - contrairement au
tic qui est une contraction brusque tonique -
Cette définition se base uniquement sur
la nature du symptôme. Meige et Feindel,
au contraire, fondent leur définition sur
des caractères cliniques. Ils
réservent le nom de tic à une
contraction qui peut être aussi bien
tonique que clonique, mais qui a les
caractères suivants: "C'est un acte
coordonné, ou, comme on dit encore,
systématique, c'est-à-dire
orienté vers un but défini (op.
cit. p. 48). Et, en plus, les contractions se
produisent toujours chez des individus
émotifs,
déséquilibrés, qui font
preuve d'un certain infantilisme psychique." Ce
sont des caractères cliniques qui
différencient, pour Meige, le tic du
spasme. Chaque fois que, dans cette discussion,
nous emploierons le terme de tic, ce sera en lui
donnant le sens de Meige.
Revenons maintenant à notre
discussion, et demandons-nous si le spasme de
Blanche dépend uniquement de sa douleur
névralgique. Dès les
premières fois où nous vîmes
notre malade, il nous a semblé que cette
contraction des commissures labiales,
accompagnée d'une contraction du peaucier
et parfois même du
sterno-cleïdo-mastoïdien,
étaient un mouvement de défense
contre le bâillement. Lorsqu'on
propose cette explication à Blanche, elle
convient que les premières fois cela a pu
jouer un rôle, mais que maintenant ce
n'est plus le besoin de bâiller qui
provoque cette contraction. Il y aurait, en
supposant que cette étiologie soit
exacte, persistance par habitude, et il ne
s'agirait plus d'un spasme, mais bien d'un tic
au sens de Meige.
Cependant la douleur très forte, et
l'affirmation catégorique de Blanche qui
disait contracter ses muscles sous l'empire de
la douleur, sont des faits qui parlent contre
cette interprétation exclusive.
Meige écrit: «Le diagnostic
entre le spasme et le tic devient surtout d'une
difficulté extrême lorsque les
mouvements convulsifs siègent sur la
face. C'est là, de l'aveu du professeur
Erb, un des problèmes les plus
délicats de la neuropathologie. (op. cit.
p. 473). Brissaud disait également: "Je
renonce à faire le diagnostic quand
l'étiologie est muette." Ces
considérations nous ont poussé
à faire une étude plus approfondie
de ce cas, et nous nous sommes demandé si
d'autres signes militaient pour le diagnostic de
tic.
Le tic semble avoir trois étiologies
assez distinctes: 1) le tic hystérique,
très rare, de l'aveu même des
hommes les plus compétent tels Meige,
Feindel et Cruchet. Ce tic est d'origine
psychogène, i1 généralement
engendré par une idée. Il est
comme presque tous les autres symptômes
hystériques, l'expression symbolique d'un
désir ou d'une idée
délirante. (Voir à ce sujet le
travail récent et fort intéressant
de Ferenczi "Psychanalytische Betrachtungen
über den Tic", Intern. Zeitsechr. f. Psa.,
1921, p. 33 à 62, et le beau travail de
Westermann-Holstign, From the analysis of a
patient with cramp of the spinal accessory,
Intern. Journ. of Psa., T. III, p. 139). 2) Le
tic peut être une habitude prise à
la suite d'un mouvement de défense contre
une irritation. C'est l'étiologie que
nous avons discutée tout-à-l'heure
à propos des mouvements de défense
contre le bâillement. 3) Le tic
peut survenir par simple irritation chez des
individus très suggestibles. Cette
troisième étiologie a-t-elle
joué un rôle chez Blanche? Nous
l'avons interrogée soigneusement, ainsi
que son entourage. Personne ne se souvenait
avoir vu quelqu'un atteint d'un spasme
semblable. Cependant, le père adoptif de
notre malade nous dit qu'il est mort dans le
village, il y a quelques années, une
aliénée qui souvent poursuivait
les enfants. Cette aliénée avait
fait un séjour à Cery, et l'on
avait marqué dans son observation qu'elle
avait "des syncopes avec des serrements de
gencives". Cette constatation trop vague ne nous
permet pas de voir là une cause
étiologique du tic de Blanche.
Si nous confrontons maintenant les
possibilités du tic et du spasme, nous
voyons que la balance penche de ce dernier
côté. Cruchet signale bien que la
contraction névralgique est clonique et
rapide; chez Blanche, elle dure 15 à 20
secondes. Elle semble presqu'être un
intermédiaire entre le spasme
névralgique et la grimace de la
névralgie faciale. Zimmern
écrivait ("Sur quelques
particularités de la névralgie
faciale, et son traitement par
l'électricité", Arch. de Neurol.,
1903, T. I, p. 239-240): "Dans le type
léger de la névralgie faciale, les
troubles moteurs n'existent pas, et il ne
faudrait pas se laisser induire en erreur et
prendre pour un tic (spasme au sens de Meige) la
grimace que fait le malade au moment du
paroxysme, grimace provoquée uniquement
par la douleur." Verger ("Essai de
classification de quelques névralgies
faciales par les injections de cocaine loco
dolenti", Rev. méd. 1904, p. 79) critique
fortement cette manière de voir et admet
que grimaces et tics sont des mouvements
réflexes, et qu'ils présentent une
infinité de formes de passage.
Chez Blanche, on a l'impression d'un spasme
qui serait ralenti parce que la malade cherche
à prolonger la contraction qui apaise sa
douleur. En tous les cas, le caractère de
la douleur qui va jusqu'à lui faire
soutenir sa musculature avec la main pour
apaiser la contraction, est bien de nature
névralgique. Entre les contractions, la
musculature ne présente rien d'anormal,
pas même à l'examen
électrique, ce qui nous fait
écarter toute idée de spasme
franc.
Une question pourtant s'impose. Le spasme
douloureux au début, est-il encore un
spasme aujourd'hui où il ne s'accompagne
plus de douleur?. Nous ne le pensons pas. Il
s'agit aujourd'hui d'un tic, au sens de Meige.
La malade avait pris l'habitude de relever le
coin de sa bouche, et cette habitude persiste.
Cela est fréquent. Meige et Feindel nous
disent: "l n'est pas douteux que, dans bien des
cas, une réaction motrice franchement
spasmodique puisse déterminer la forme et
la localisation d'un tic" (op. cit. p. 94).
Nous avons vu plus haut que Blanche n'avait
pas le caractère d'une hystérique,
par contre elle répond bien à
l'état mental du tiqueur, tel que Meige
et Feindel l'ont décrit. Elle est une
dégénérée. Sa
mère déjà est très
nerveuse, son père inconnu était
probablement un individu taré.
Blanche a des réactions
tout-à-fait enfantines. On la
déplace de dortoir parce qu'on a besoin
d'un lit dans la division d'observation: elle
interprète cela comme une punition et
pleure toute la journée. Livrée
à elle-même, elle s'ennuie. Elle
est émotive, elle a peu de volonté
et réalise tout à fait cette
constatation de Brissaud: "Les tiqueurs dont
l'intervention volontaire pourrait
empêcher la convulsion, sont par malheur
de ceux chez lesquels la volonté est le
plus débile, des cérébraux,
des faible" (Communication au congrès des
médecins aliénistes et
neurologistes de France, Limoges 1901). Elle
sait que c'est son tic qui l'empêche de
travailler, mais elle ne veut pas se soumettre
à une gymnastique régulière
parce que cela l'énerve de faire un
effort suivi. Elle passe facilement du rire aux
pleurs, elle a une irrascibilité prompte
et fugace, une attention qu'elle n'arrive pas
à concentrer, elle se laisse
obséder par l'idée de sa maladie,
ou par cette idée que personne ne
l'aime.
D'autre part le tic lui-même peut
être légèrement
modifié par la volonté. Il
disparaît complètement pendant le
sommeil, et lorsqu'il débute, on peut le
faire cesser en commandant énergiquement
à Blanche certains mouvements de
gymnastique respiratoire. Le fait qu'il est
souvent déclanché par une
émotion, par le passage du
médecin, etc., ne saurait être un
élément de diagnostic, car le
spasme névralgique, de l'aveu même
de Cruchet et d'autres auteurs encore, se
déclanche souvent à la suite d'une
émotion.
"Beaucoup d'affections des plus nettement
organiques peuvent être
exagérées sous l'influence des
émotions morales, sans que l'état
mental soit lui-même
intéressé en rien." Cruchet,
«Traité des torticolis
spasmodiques», op. cit. p. 301).
Mais il est certain que, en dérivant
l'attention de Blanche sur un sujet qui
l'intéresse, on diminue ses mouvements
involontaires.
D'autre part, la forme même de la
contraction musculaire a varié. Pendant
les premiers temps où notre malade a
séjourné à Cery, son tic
comprenait une série de mouvements,
à savoir la contraction d'une ou des deux
commissures des lèvres, la contraction
des masséters, du peaucier du coup et
parfois du sternocleïdomastoïdien, le
tout accompagné de dyspnée.
Aujourd'hui, il y a dissociation de ces
mouvements. Il m'est arrivé
fréquemment de voir Blanche tirer en haut
le coin gauche de la bouche, sans qu'il y ait
d'autres contractions synchrones ou
déclanchées par ce premier tic.
Maintenant ce n'est qu'à l'occasion de
vives émotions, ou de moments de
désespoir, ou de colère, qu'elle
déclanche l'ensemble des mouvements
involontaires.
Avant de passer au point suivant, disons
encore quelques mots de nos tentatives de
thérapeutique. Un traitement à la
scopolamine accompagnée de luminal est
resté presque sans effet. La malade
s'énervait de la diplopie causée
par la hyoscine. Le traitement électrique
l'a améliorée temporairement.
L'hypnose a aussi été
pratiquée sans succès par le Dr.
Bonjour, mais ceci n'a rien d'étonnant.
Meige et Feindel écrivent: "Les
tentatives hypnotiques échouent
généralement. Elles ne peuvent en
effet réussir que si le tiqueur est un
hystérique avéré, et c'est
l'extrême rareté."
Le traitement par la gymnastique
l'énervait également et, en somme,
c'est du traitement opothérapique (2 fois
XV gouttes de Fluidovarine) que nous avons
été le plus satisfait (Il est
intéressant de rapprocher cette
constatation de l'observation de Cotton: "A case
of spasmodic torticolis treated with thyroid
extract", British Med. Journal, 24 VII, 1897, p.
1216). Il s'agit d'un homme de 37 ans qui,
après quatre attaques d'influenza, a
été atteint d'un tic
névralgique guéri par l'extrait de
thyroïde.
Elle prend ce remède depuis quinze
jours. Son tic diminue, mais n'a pas
cessé. Il est juste de dire que Blanche
s'énerve beaucoup à l'idée
qu'elle va bientôt devoir quitter notre
asile.
C) Le troisième symptôme
à examiner est le spasme respiratoire,
contraction tonico-clonique de la musculature
intercostale. S'agit-il d'une séquelle
d'encéphalite léthargique? Une
séquelle semblable est en effet assez
fréquente et souvent tardive. Nous avons
soigné à l'asile de Cery un
garçon âgé dé 9 ans,
qui a fait une encéphalite atypique en
1920. Ii présente depuis lors une
altération du caractère et garde
divers tics, entr 'autres celui de souffler
fortement tour à tour par la narine
gauche, puis par la narine droite. En mai 1921,
il devient grossier et commence une
polypnée avec forte expectoration.
La polypnée, comme suite
d'encéphalite, a également
été signalée par Baumel (Un
cas d'E., Soc. des Sc. méd. de
Montpellier et du Languedoc, 12 III 1920),
Economo (Uber E., Wien Med. Woch., T. LXXI, P.
1231_1328, 1921), Laignel- Lavastime (Forme
neuro-végétative de l'E., Bull, et
Mém. de la Soc. méd. des
Hôp. de Paris, T. XXXVII, p. 1192, 1921),
Krankbach (Monatssch.r. f. Ps. und Neurol., p.
189-201, 1921) et Fremel (op. cit.).
Dans le cas de Blanche s'agit-il bien d'une
polypnée post-encéphalitique?
Peut-être. Nombreux sont les cas
décrits où l'encéphalite
épidémique évolue en
présentant de temps à autre,
à plusieurs mois d'intervalle, des
recrudescences. Il n'est pas impossible que chez
notre. malade, les bâillements, la
névralgie, la polypnée, soient une
série d'accidents
post-encéphalitiques survenus à
l'occasion d'une de ces recrudescences. Quoique
la malade ne se soit pas alitée à
ce moment, il est possible qu'elle ait fait une
petite poussée fébrile qui aura
passé inaperçue, et nous ne
croyons pas qu'il faille écarter
tout-à-fait cette hypothèse..
d'autant plus que ces recrudescences paraissent
survenir surtout dans des cas
d'encéphalite dont le début a
été insidieux.
Cependant une seconde explication de cette
polypnée nous parait tout aussi
plausible. En examinant de près le spasme
de Blanche, on voit que notre malade retient sa
respiration pendant les quelques secondes (15
à 20) où elle contracte sa
musculature faciale. Il en résulte que,
par compensation, elle présente une
certaine polypnée durant laquelle il lui
arrive souvent de contracter les
sternocleïdo-mastoïdiens, ce qui
probablement rétrécit la
trachée, ralentit et amplifie le rythme
respiratoire. Ce qui parlerait en faveur de
cette hypothèse, c'est que la
polypnée suit toujours le spasme facial.
Mais maintenant que le spasme s'est
transformé en tic, la contraction est
probablement moins intense qu'au debut et, par
suite, le tic facial se produit souvent sans
être suivi de polypnée.
Avant de terminer, notons encore qu'avec le
spasme et le tic, s'est accentuée
l'altération du caractère qui
avait débuté en février
1920. Rien d'étonnant à cela.
Plusieurs causes ont pu y contribuer: 1. Les
conséquences de l'encéphalite. 2.
L'énervement que produit le tic. On sait
que l'apparition d'un tic s'accompagne souvent
d'un changement du caractère. Ces
changements ont surtout été
étudiés dans l'importante
thèse de Maurice Musselli (Troubles
mentaux en rapport avec les migraines faciales
et céphalées.) Bordeaux 1914. Cet
auteur a bien montré leur analogie avec
les troubles que l'on observe dans
l'épilepsie. Chez Blanche aussi, nous
avons été frappés par les
symptôme suivants: colères
brusques, généralement suivies
d'amnésies, attention très
diminuée mémoire
défectueuse. Je rappelle que
Féré avait noté la
fréquence de bâillements
chez les épileptiques. Peut-être
même que les vertiges que nous avons
observés ces derniers temps chez Blanche
sont à rapprocher d'une affection
épileptique, mais en tous cas elle n'a
présenté ni crises typiques ni
ralentissement de la parole. Elle n'a pas non
plus le langage embrouillé et
entortillé de la démence
épileptique. En sorte que je n'ai
rappelé ces analogies de symptômes
que pour leur intérêt, et non pour
poser un diagnostic. 3. L'asthénie
croissante, produite par l'insomnie.
Résumons ce cas
embrouillé:
En Février 1921, une
encéphalite suite de grippe qui laisse
après elle comme séquelles: 1. de
l'insomnie, 2. une altération du
caractère, 3. de
l'aménorrhée. En mai 1921
apparaissent des bâillements dont
la nature n'a pas pu être fixée de
façon définitive. Puis survient
une névralgie vraisemblablement
provoquée par l'aménorrhée.
La névralgie à son tour provoque
un spasme qui bientôt se transforme en un
simple tic. Cet ensemble d'accidents nerveux ne
fait qu'accroître l'altération du
caractère.
Il nous a semblé qu'un cas aussi
complexe et aussi riche méritait
d'être exposé et
discuté.
extrait de
A Cursing
Brain, the histories of Tourette
Syndrome
Howard I.
Kushner
Harvard University Press
1999
page 69-71
Yet, in 1923, when faced with explaining and
treating convulsive tics, Saussure rejected
Ferenczi's analysis in favor of an eclectic
approach that combined organic (infectious)
factors with the role of inherited infantile
constitutions. Saussure was particularly
influenced by the accumulated evidence that tics
were one of the common sequels to infectious
encephalitis. At the midpoint of the
encephalitis pandemic, 1923, one person out of
every 1,000 in Europe and North America was
infected and more than 20 million had died.
Often those who survived reported strange
uncontrolled movements including tics.
Saussure's conclusions were formed by his
treatment of a twentyone-year-old ticcing
patient named Blanche. Born in July 1899 to an
"extremely neurotic" mother and "an unknown
father," Blanche, at eighteen months, was
adopted by a farm family. The adoptive family
included a grandmother, mother, father, and
three girls who were all younger than Blanche.
Although the grandmother was often overbearing,
Blanche's adoptive parents were very
affectionate and her stepsisters accepted
Blanche as if she were a natural member of the
family. Blanche was an academically good and
well-behaved student; at home she was
affectionate and industrious. When Blanche was
twenty, she was hired as a servant in the home
of Madame M. in a nearby town.
In February 1920 Blanche suffered from mild
flu, which left her extremely fatigued. She
began to have nightmares in which she saw an old
dead woman wearing a nightcap, who, despite the
fact that her eyes were closed, stared at
Blanche through the window. After these
nightmares Blanche became extremely frightened
and began to display "psychomotor agitations,"
consisting of convulsion of her limbs and trunk.
She hallucinated that she was surrounded by
men's heads, which were detached from their
bodies. Blanche reported that people were
following her, and she also babbled throughout
the night. Madame M. called a doctor who sent
Blanche home to her adoptive parents.
Once home, Blanche's hallucinations
disappeared, but her motor movements persisted.
She was generally agitated and could not sleep
at night. During the day, however, Blanche could
not stay awake and would fall into "a leaden
sleep." After three weeks, she seemed to improve
and, although her insomnia persisted, Blanche
returned to Madame M.'s, where she worked
without interuption until May 1921. "The
insomnia led to an alteration in her personality
which manifested itself above all by
irritability and by a diminution of her memory."
During this entire time she also experienced
menstrual cessation (amenorrhea). In early May,
upon learning that Madame M.'s son had injured
his leg in a motorcycle accident, Blanche began
"to tremble like a leaf" and continued to do so
for an entire day. Several days later she began
to yawn about every three minutes,
sometimes even more frequently. This new symptom
was accompanied by an intense desire to sleep,
especially during the day. The yawns were
preceded by a feeling of constriction of her
throat and chest, which produced a very strong
pain in the joints of her jaw. Blanche soon
developed other tics including increasingly
frequent facial, neck, head, and mouth spasms.
During some of her spasms, Blanche would cease
breathing for a few seconds and then would
breathe rapidly, as if in an attempt to
counteract her involuntary yawning.
Atrocious pain accompanied these spasms. The
pain seemed to diminish by August, but she
developed coprolalia and other involuntary
vocalizations. Hypnotism was attempted, but it
had no effect on Blanche's coprolalia or motor
tics. On December 17, 1920, Blanche's parents
sent her to the asylum at Cery-Lausanne where
she was placed under Saussure's care.
Saussure first turned to psychoanalysis, but
quickly ruled out hysteria. In fact, beyond her
tics, Saussure was most struck by Blanche's
difficulties with memory, especially because
prior to her illness, Blanche had been reported
to have demonstrated exceptional memory skills.
Additionally, Saussure found that Blanche's
symptoms seemed exacerbated by stress. For
instance, when she was allowed a brief leave
from the asylum to visit her adoptive family,
Blanche became extremely agitated, especially
after she learned that her savings had been used
to pay for her stay in the asylum. After Blanche
returned to the asylum, her tics had diminished,
but her personality seemed permanently altered.
She frequently got into arguments with other
patients, became more anxious, believed she had
been abandoned by everyone, and cried at the
slightest provocation. Any stress increased her
involuntary movements. Finally, Blanche's
menstrual periods remained irregular and she
reported gastric pains after eating. Blanche was
released from the asylum in July 1922 and never
was heard from again. If Saussure subsequently
examined Blanche, he failed to report the
results.
Saussure was convinced that Blanche's
behaviors "did not constitute the symptomatology
of a known psychosis,' but "to the contrary,
this symptomatology recalled all at once the
alterations of character which had been
described following epidemic encephalitjs."ll
Saussure was reluctant to attach all of
Blanche's symptoms to encephalitis. Rather, he
believed that Blanche's illness should be viewed
in the context of cofactors set in motion by the
encephalitis. He concluded that the encephalitis
had provided the soil for Blanche's congenitally
weak will, giving rise to her ticcing symptoms.
The encephalitis accounted for fatigue and pain.
Blanche's initial yawning was a reaction
to both of these, especially the lower jaw pain
to which yawning was a direct reaction.
But after the pain abated, Blanche's
yawning continued, now as a habit, as "a
tic in the sense of Meige." Other tics followed
because Blanche was, in Saussure's words, a
"dégénérée as
described by Meige and Feindel... Her mother was
extremely nervous, her unknown father was
probably defective." Saussure was convinced that
Blanche's reactions were infantile. For
instance, she cried for an entire day when her
bed was moved from the observation area to a
different part of the hospital. Blanche found
reading boring. "She is emotive," reported
Saussure, and "has little will power."
Neither Saussure's loyalty to psychoanalysis
nor his familiarity with both Freud's and
Ferenczi's views persuaded him that a
psychoanalytic explanation of Blanche's
behaviors was appropriate. Perhaps this explains
why in his introduction to Saussure's La
Méthode Psychanalytique, Freud distanced
himself from Saussure's interpretations: "Since
Dr. de Saussure has said in his preface that I
have corrected his work, I must add a
qualification; my influence has only made itself
felt in a few corrections and comments and I
have in no way sought to encroach upon the
author's independence. In the first, the
theoretical part of the work, I should have
expounded a number of things differently from
him ... Above all, I should have treated the
Oedipus complex far more exhaustively. "