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- On appelle Veille l'aptitude qui se
trouve dans les organes pour exercer librement
les sensations & les mouvemens volontaires;
& on nomme Sommeil, l'inaptitude
à ces mêmes exercices, & le
repos quoique les organes soient sains.
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- L'ame pendant le sommeil, ou ne pense
absolument à rien qui puisse être
retenu dans la mémoire, & qui soit
connu, où elle est uniquement
occupée des espèces reçues
dans le sensorium commun, dont les vives
représentations produisent alors en elle
des perceptions parfaitement semblables à
celles que produisent les impressions des objets
extérieurs sur les organes des sens. Ces
représentations sont nommées
Songes, & elles font que tandis que
tout le reste du siège principal des sens
& des mouvements volontaires est en repos,
il reste cependant quelque partie ouverte, qui
est arrosée d'esprits & qui veille.
Quelquefois ces affections de l'ame sont
accompagnées de quelques mouvements
volontaires, de sorte que les organes de la
parole, & plusieurs membres, ou tous, sont
conduits au gré de ces perceptions. C'est
par-là qu'on explique les
somnanbules.
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- Mais pendant le sommeil le coeur continue
à se mouvoir, la distribution des humeurs
se fait également dans le corps humain,
de même que la circulation, le mouvement
péristaltique de l'estomac, des
intestins, des sphincters; la respiration enfin
s'éxécute de même. Cet
arrangement de certaines parties en repos &
d'autres en mouvement, a rendu difficile la
connoissance de la cause méchanique du
sommeil.
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- Ainsi, pour la développer, nous
considérons toutes les causes & tous
les phénomènes du sommeil & de
la veille, & nous les parcourerons dans tous
les genres d'animaux; car cette condition
produite par les mêmes causes, constante
dans toutes, sera cause du sommeil.
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- Le sommeil est une suite naturelle de la
veille & du travail. En effet, pendant la
veille le mouvement presque continuel des
muscles soumis à la volonté, le
service des sens, les affections de l'ame,
fournissent continuellement de nouveaux
aiguillons aux nerfs, aux veines & au coeur.
Le sang par ce grand mouvement & ces
frottements est irrité & change sa
nature douce en pourriture alcalescente; la
partie la plus fluide du sang & les esprits
mêmes les plus fins se dissipent
plutôt qu'ils ne se réparent; c'est
pourquoi non seulement le corps s'affoiblit
& se fatigue peu à peu, mais encore
la trop longue veille cause une certaine ardeur
fébrile, l'acrimonie des humeurs &
enfin l'accablement. Aux approches de la nuit,
on sent peu à peu un engourdissement dans
les muscles longs & dans leurs tendons, une
inaptitude aux pensées sérieuses
& un amour pour le repos de l'esprit et du
corps. Alors les forces qui soutenoient le
corps, s'abbatent, les yeux se ferment
involontairement, la machoire inférieure
reste pendante, on est
nécessairement forcé à
bailler, la tête s'incline en
devant, l'action des objets extérieurs
nous affecte moins, & enfin les idées
& les pensées se troublent, & le
délire succède; le passage de cet
état au sommeil est peu connu, cependant
cet état le précède
toujours. Le défaut des esprits que le
mouvement musculaire & l'exercice des autres
sens a consommé d'une façon
quelconque, & dont il est très
probable qu'il s'exhale une très grande
partie, paroît être la cause
naturelle du sommeil naturel, commun à
tous les animaux.
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- Le défaut de toute irritation dans la
tête & dans le corps, la
tranquilité parfaite de l'esprit &
des sens extérieurs la nuit enfin
concourent beaucoup au sommeil.
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- De plus, tout ce qui affoiblit les forces,
les grandes pertes de sang, la saignée,
les remèdes rafraichissans, le pavot, le
froid même de l'air extérieur, tout
ce qui détourne le sang de la tête,
comme les bains des jambes, la grande
quantité des aliments renfermés
dans l'estomac, occasionnent & augmentent le
sommeil. D'autres substances par leur force
affoiblissent & diminuent tout le mouvement
des esprits, non seulement dans le cerveau, mais
encore dans l'estomac, dans les intestins, dans
le coeur, comme l'opium & peut-être
les autres narcotiques.
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- Mais tout tout ce qui est chaud, tout ce qui
oblige le sang de se porter plus vîte au
cerveau, le vin, les spiritueux de tout genre,
surtout leurs vapeurs les particules des
aliments qui passent avec peine, les
différentes fièvres aigues &
malignes, produisent aussi le sommeil, ou
l'empêchent de revenir, comme
l'embonpoint, toutes ces causes paroissent
s'accorder en ce que le sang ramassé dans
la tête, comprime le cerveau &
intercepte le chemin des esprits dans les
nerfs.
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- Il y a aussi des causes méchaniques
qui produisent le sommeil, telle que la
compression de la dure mère & du
cerveau, telle qu'elle puisse être
produite par l'épanchement du sang, par
quelque pièce d'os, & par la grande
quantité d'eau dans les ventricules du
cerveau.
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- Le sommeil est donc produit ou par un simple
défaut dans la quantité & la
mobilité des esprits ou par la
compression des nerfs, & toujours par
l'affoiblissement des tuyaux nerveux par
lesquels les esprits animaux s'écoulent
de leur source, du sensorium commun, dans toutes
les parties du corps.
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- Les causes de veille confirment cette
théorie. Car tout ce qui produit une
abondance d'esprits, & surtout les boissons
aromatiques, qui envoient à la tête
des particules stimulantes, subtiles , & qui
excitent un peu le mouvement du sang dans le
cerveau, détrempent le sang & font
qu'il se sépare plus d'esprits dans un
tems donné; toutes ces causes
éloignent du sommeil.
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- Les soins pénibles, les
méditations attentives &
passionnées, les douleurs du corps &
de l'esprit & toutes les choses qui ne
laissent pas les esprits en repos dans le
sensorium commun, & s'opposent à
l'affaissement des nerfs, entretiennent la
veille. Les premières causes produisent
donc l'abondance des esprits, celles-ci en
augmentent le mouvement. Ce que nous avons dit,
rentre donc dans ceci, c'est à dire,
qu'on peut placer la cause du sommeil dans
l'affaisssement des nerfs qui viennent du
sensorium commun.
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- Le sommeil a-t-il donc son siège dans
les ventricules du cerveau ? L'empire plus
étendu du sommeil dans les animaux qui
n'ont point de ventricules au cerveau,
s'opposent à cette opinion. Les fonctions
vitales se continuent-elles toujours pendant le
sommeil, parce qu'alors le cerveau est le seul
affecté, sans que le cervelet le soit
pendant ce tems ? Quelle est la cause de cette
diversité qui fait que les fonctions
animales sont en repos pendant le sommeil,
tandis que les vitales ne sont pas interrompues
? Il n'y a pas d'autres causes que celles dont
nous vous avons déjà parlé,
çavoir que les mouvements sont
préservés du repos par des
aiguillons perpétuels, & par des
causes qui les forcent sans cesse.
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- L'effet du sommeil est de modérer
tous les mouvements dans le corps humain. Car
alors il n'y a plus que le coeur qui pousse les
humeurs; tous les mouvements des muscles, des
nerfs sensitifs, produits par les passions de
l'ame & par la volonté, qui
excitoient avec le coeur, pendant la veille, le
cours du sang & des esprits, n'ont plus lieu
alors; le coeur passe peu à peu de ses
pulsations plus fréquentes & presque
fièvreuses au mouvement lent du matin; la
respiration devient plus petite & moins
fréquente; le mouvement
péristaltique de l'estomac & des
intestins & en même tems la faim, la
coction des alimens, la marche des
excrémens, sont ralentis; les humeurs
fines sont poussées plus lentement, les
humeurs paresseuses s'accumulent; la graisse
répandue se réunit; l'humeur
visqueuse de la nutrition se colle aux fibres
& aux cavités qui lui sont propres;
il se perd moins d'esprit, le frottement du sang
diminue; la transpiration est moins abondante.
Ainsi pendant que d'un côté la
sécrétion du liquide nerveux
continue à se faire & qu'il ne s'en
perd point, ce fluide s'amasse peu à peu
dans le cerveau, il distend des nerfs
affaissés, il les remplit, & au
moindre aiguillon, les sens internes &
externes se rétablissent dans leurs
fonctions & la veille se rétablit. Un
sommeil trop long dispose à tous les
effets d'une circulation lente, l'embompoint,
à l'assoupissement, à la
cachexie& à la grande perte de
mémoire.
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- Pourquoi
baille-t-on, lorsqu'on a envie de
dormir ? C'est pour débarrasser le poumon
par lequel le sang passe plus lentement. A quoi
bon s'étendre ? C'est pour vaincre par
l'impulsion des esprits la contraction naturelle
des muscles, qui tous ont un peu fléchi
toutes les articulations, & pour
rétablir en conséquence la force
des muscles extenseurs.
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- Qu'est-ce qui a donné lieu à
l'opinion sur le mouvement du coeur, plus fort
pendant le sommeil & la transpiration plus
abondante ? Elle est produite par la chaleur
qu'occasionnent les couvertures, par le moyen
desquelles la transpiration étant
retenue, elle amolit & relâche la
peau. On a froid lorsqu'on se couche tout
habillé, & les animaux qui dorment
pendant longtems, ont un très grand
froid, comme les rats des montagnes, les
hérissons. Pourquoi tous les animaux
sommeillent-ils après avoir mangé
? Cela n'est pas causé par la compression
de l'aorte ou la plus grande quantité de
sang qui est poussée au cerveau, car les
animaux qui n'ont presque pas de cerveau,
s'endorment aussi après avoir
mangé; mais cela vient de la force de
l'aiguillon que le chyle & l'air exercent
dans l'estomac & les intestins.
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- En effet, la force des esprits et du sang se
détermine dans cet endroit, comme il
arrive dans toutes les espèces
d'irritations, ainsi le cerveau en a beaucoup
moins. Mais encore les particules des aliments
les moins méables, passent difficilement
dans le cerveau, compriment la moëlle &
rendent le sommeil moins doux. Y-a-t-il des
songes perpétuels & qui n'aient lieu
que dans le sommeil? Sont-ils si naturels
à l'ame & succèdent-ils aux
sensations, si bien que l'ame ne soit jamais
sans penser ? Il ne le paroît pas. Nous
rapportons plutôt les songes à une
espèce de maladie, & à quelque
cause stimulante qui dérange le sensorium
de son repos parfait. C'est pourquoi le sommeil,
dans lequel il n'y a point de songes, ou du
moins desquels on ne se souvient pas,
répare beaucoup. C'est aussi pourquoi les
songes n'ont ordinairement pas lieu dans le
premier sommeil, parce qu'alors les esprits sont
fort épuisés, mais ils reviennent
le matin, quand les esprits sont en partie
réparés. C'est de-là que
les embarras, les idées fortes
reçues dans la mémoire, les
aliments durs & leur quantité, la
situation moins favorable, causent des songes;
car ils ont coutume de naître de quelque
sensation, à laquelle, selon les loix de
l'association des idées, se joint un
nombre entier d'espèces relatives.
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