- Paul Richer naît à Chartres le
17 février 1849, fils de
commerçants en draps et tissus. Sur le
chemin de l'école, il contournait tous
les jours la célèbre
cathédrale, dont les façades sont
ornées d'innombrables personnages
à même de stimuler l'imagination du
jeune Paul. La vue des tailleurs de pierres,
réparant l'édifice, n'est sans
doute pas pour rien dans le goût que P.
Richer manifestera pour la sculpture. Malicieux
et fort turbulent, ses parents furent obliger de
le changer plusieurs fois d'écoles, ses
bouffonneries exaspérant ses professeurs.
Las, ils se rangèrent à
l'idée de le placer dans une pension
disciplinaire, chez les frères maristes
à Montluçon en 1865. Un professeur
de dessin y remarqua ses aptitudes graphiques de
premier ordre et l'encouragea à se
perfectionner. Après le
baccalauréat obtenu en 1869, il commence
ses études de médecine quand
éclate la guerre avec la Prusse.
Affecté aux ambulances de
Dujardin-Baumetz, il eut le baptême du
sang à Loigny, en aidant à
l'amputation de cuisse du général
de Sonis. Conservé au musée du Val
de Grâce, son tableau « l'ambulance
de Loigny » immortalisera ses
émotions. Nommé externe juste
après la Commune, il dessinait toujours
chez ses patrons successifs Eugène
Bouchut, Jules Bucquoy, etc [33].
-
- Paul Richer interne de JM Charcot
en 1878
- © Extrait
de l'Album de l'internat de La
Salpêtrière conservé
à la Bibliothèque Charcot à
l'hôpital de la
Salpêtrière
- (Université
Pierre et Marie Curie, Paris)
-
- Marc Séé publie, en 1875,
« Recherches sur l'anatomie et la
physiologie du coeur », richement
illustré de dessins
réalisés par son externe. Quelle
amer déception pour P. Richer, lorsque le
livre paraît. Il s'aperçoit que
nulle part ne figure son nom comme illustrateur
de l'ouvrage. Désormais, il signera tous
ses dessins ! Le 23 décembre 1874, il est
nommé troisième à
l'internat, collègue de promotion de
Jules Déjérine et Maurice Letulle.
C'est ainsi qu'au cours d'un stage chez
Théophille Gallard, à
l'hôpital de la Pitié, il
décorera la salle de garde d'une fresque
au fusain, assurant sa renommée parmi ses
collègues et patrons. JM. Charcot
préside en 1874 la thèse de Henri
Meillet, intitulée « Des
déformations permanentes de la main au
point de vue sémiologique médicale
». L'auteur, ami de P. Richer, l'avait
sollicité pour illustrer son travail. JM.
Charcot fut subjugué par la beauté
des dessins et proposa immédiatement
à P. Richer de venir le rejoindre
à La Salpêtrière pour y
finir son internat [34].
-
- Encouragé par DM. Bourneville,
P. Richer s'engage, sous la direction de JM.
Charcot, dans sa thèse « Etude
descriptive de la grande attaque
hystérique, ou attaque
hystéro-épileptique et ses
principales variétés ».
Passant des heures innombrables dans les salles
de malades, il guettait un geste, une attitude,
une expression, transcrite rapidement sur le
papier. Au final, cette thèse, soutenue
en 1879, magnifiquement illustrée, lui
servit de base pour la publication, en 1881, de
son livre « Etudes cliniques sur
l'hystéro-épilepsie ou grande
hystérie ». En 1882, JM. Charcot le
nomme responsable de son laboratoire. Son
patron, ami d'artistes, collectionnait les
oeuvres d'art. Il trouva en P. Richer un amateur
d'art l'aidant à publier toute une
série de critiques scientifiques
d'oeuvres d'art, paraissant dans la Nouvelle
Iconographie de La Salpêtrière.
Jean-Baptiste Charcot, le fils du maître,
fréquentait, enfant, le laboratoire de La
Salpêtrière où P. Richer lui
faisait découvrir des jouets
électriques, grande nouveauté
à cette époque. Son
témoignage nous est précieux. Il
nous apprend que P. Richer était
affecté de daltonisme, ce qui explique
qu'il ait préféré apprendre
la médecine plus que la peinture et que
son oeuvre soit uniquement composée de
croquis et dessins puis plus tard de gravures et
de sculptures, mais jamais de peintures. Comme
nous le précise P. Legendre, «
l'artiste a fini par l'emporter sur le
médecin ». Membre de
l'Académie de Médecine depuis
1898, il succède en 1903 à Mathias
Duval (1844-1907) à la chaire d'anatomie
artistique à l'Ecole des Beaux Art.
« Le professeur possédait avec une
égale maîtrise l'anatomie, la
physiologie, le dessin et le modelage ». Il
exécutera de nombreux monuments à
la gloire de la médecine française
: Pasteur et la découverte du charbon
à Chartres en 1903, hommage à JM.
Charcot et à l'hydrothérapie
à Lamalou dont le buste en bronze,
légué à la ville de Lamalou
les Bains en 1903 par Madame Charcot, fut fondu
pendant l'occupation par les Allemands
[35].
-
- Paul Richer Loigny,
la nuit du 2 décembre 1870 (Musée
des Invaides Paris)
-
- Dans la Nouvelle Iconographie de La
Salpêtrère, il accumule des
observations d'anatomie morphologique : Le
Bourrelet Sus rotulien (1886), Note sur le plis
fessier (1889). Son ouvrage artistique majeur
paraît en 1890, consacrant 500 pages
à « L'anatomie artistique,
description des formes extérieures du
corps humain ». Sous doute marqué
par les descriptions et préoccupations de
son collègue Charles Féré
sur les dégénérés,
il se passionne pour « les canons
scientifiques et artistiques » du corps
humain publiant en 1890 puis 1893: « Canon
des proportions du corps humain ». Le
directeur de La Salpêtrière, sur
l'insistance de JM. Charcot, avait fait
aménager au Chef de laboratoire, artiste,
un atelier dans les dépendances du
service où il se consacrait à
dessiner ses planches. C'est là que P.
Richer entreprit de modeler une collection de
statuettes destinées à
l'enseignement de la neurologie. Ses figurations
de la pathologie sont encore conservées
à la bibliothèque Charcot de La
Salpêtrière : une malade atteinte
de paralysie glossio-labio-laryngée, un
myopathique et une malade figée dans sa
maladie de Parkinson [36,37]. Nous ne
pouvons développer ici la carrière
de sculpteur de P. Richer mais proposons un
texte inédit, manuscrit de P. Richer,
développant sa philosophie de la
création artistique, trouvé dans
un carnet datant de 1898. Il y notait des
passages de livres qu'il avait lus afin de s'en
servir comme citations dans ses écrits
(collection privée Thomas-Scheller, Paris
6):
-
- extrait de
- Une
leçon de Charcot à La
Salpêtrière
- tableau de André
Brouillet 1887
-
- « La fièvre du beau, l'ardeur de
l'inspiration la chaleur de l'invention,
l'émotion, voluptueuse et intense de la
création artistique ne se retrouvent
à proprement parler que dans le premier
jet d'une oeuvre d'art, l'esquisse ou la
maquette. Dans l'exécution de l'oeuvre,
ces sentiments violents, et dont
l'exaspération empêche la
continuité prolongée, font place
à des sentiments plus doux mais non moins
profonds La joie de créer persiste mais
comme contenue cela domine tout le reste,
s'étend sur toute l'oeuvre. L'inspiration
et l'invention font place au choix
raisonné, au discernement conscient,
à la méthode scientifique, au
goût artistique. Il existe, à ce
moment, une grande différence entre la
peinture et la sculpture, pas si grande
cependant, qu'on le croirait au premier abord.
La touche de peinture est définitive
tandis que le travail du sculpteur sur la glaise
qui obéit si facilement à son
doigt doit plus ou moins disparaître dans
l'exécution en matière
définitive, bronze ou marbre. La touche
du peintre n'est comparable dans le
métier de sculpteur qu'à un coup
de ciseau de l'artiste qui achève son
marbre. Et comme le coup de ciseau, l'oeuvre
achevée disparaît de la perfection
de la forme, de même dans un tableau
terminé la peinture apparaît comme
d'une coulée sans trace du travail
même du pinceau. Voyez Léonard de
Vinci. Quelle émotion bien
différente de l'ardeur qui le secoue au
début, gagne l'artiste qui achève
son oeuvre, au fur et à mesure que se
produisent les degrés successifs de cet
achèvement alors qu'il voit se
présenter et se compléter l'image
d'abord indécise et incorrecte de
l'esquisse. Ce n'est plus la fin de la
composition, l'ardeur de l'invention mais c'est
la douce émotion qui naît d'une
perfection qui se complète
progressivement. Et sûrement,
l'émoi du pontonnier qui touche au port,
l'émoi du but entrevu qui s'approche,
mieux que cela, l'émoi de l'amant, qui la
fureur de ses sens calmés,
pénètre l'âme de sa bien
aimée qui se révèle peu
à peu et dont l'image morale se
complète et s'achève à ses
yeux charmés, dans un immatériel
éblouissement. Mais un bonheur ne va pas
sans mélange. Autant la joie de
l'esquisse est sans intimation parce qu'aveugle,
autant le bonheur de l'oeuvre fut de
réflexion laisse de prise à l'
incertitude et au découragement. Quel
désespoir si cette pierre
précieuse, ce diamant pur objet de tous
les soins, n'était qu'un vil morceau de
verre. Quel décevant mirage si tant
d'efforts n'aboutissaient qu'à l'erreur.
De là les hésitations dont bien
peu de grands maîtres sont exempts mais
que domineront bientôt la foi en leur
génie ou plutôt la force aveugle
qui les pousse à créer. L'artiste
crée comme l'herbe pousse, comme l'oiseau
chante, comme la fleur embaume ..... »
- P. Richer termina sa carrière comme
inspecteur général de
l'enseignement du dessin, bien extraordinaire
parcours pour un neurologue. Sa retraite
n'entama pas son énergie ne cessant de
produire gravures, médailles et statues,
notamment celle de Alfred Vulpian, toujours
visible aux abords de la faculté de
médecine de Paris [33]. Il
s'éteignit à 84 ans, seul de nos
quatre disciples de JM Charcot,
étudiés ici, à vivre
vieux.
-
- Monument Pasteur, Dr Roux et le
charbon. Chartres
-
- Références
- 33°) Anonyme. Biographies
médicales. 1930;36:65-76.
-
- 34°) Gilles de la Tourette G. Le Dr
Paul Richer. Le Progrès Médical.
1898;8:10.
-
- 35°) Prioux R. Paul Richer.
Thèse pour le doctorat en
médecine. Paris. 1947 n°548.
-
- 36°) Charcot JB. Paul Richer. Le
Progrès Médical.
1934:615-618.
-
- 37°) Charcot JB. Paul Richer. Paris
Médical. 1934;92:316-320.
-
- monument JM. Charcot à
Lamalou les Bains par P. Richer
-
- statuette
représentant une maladie de Parkinson P.
Richer 1895
-
- Augustine
Gleizes (1861) une hystérique à La
Salpêtrière
-
- auteur de la thèse: "Des
déformations permananetes de la main au
point de vue sémiologique
médicale"
- Illustrée par Paul Richer
et l'introduisant auprès de JM.
Charcot.
-
- Stèle en hommage à
Valentin Magnan (1835-1916)
- Hôpital Saint Anne Paris
inaugurée le 17 mars 1908
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