La narcolepsie se
caractérise par une somnolence diurne
excessive et par la survenue anormale de
manifestations empruntées au sommeil
paradoxal comme la cataplexie (accès de
faiblesse musculaire déclenchés
par les émotions), les hallucinations
hypnagogiques et les paralysies du sommeil.
Cette affection débute
généralement durant l'adolescence
et touche un individu sur 2000.
Notre groupe a montré que
l'hypocrétine-1 est indétectable
dans le liquide céphalorachidien de la
plupart des individus narcoleptiques alors
qu'elle est présente chez tous les
contrôles étudiés. De
même, le transcrit codant pour la
préprohypocrétine manque dans
l'hypothalamus latéral des patients
affectés par la narcolepsie. Ces
résultats font suite à la
démonstration que la narcolepsie canine
est due à la mutation du gène
codant pour le récepteur de
l'hypocrétine de type 2 (HCRTR2) et que,
chez la souris, la déficience du
gène codant pour la
préprohypocrétine induit la
survenue de symptômes narcoleptiques.
Les hypocrétines (ou orexines)
Ce sont des peptides décrits par De
Lecea et collaborateurs et Sakurai et
collaborateurs en 1998. Le transcrit codant pour
la préprohypocrétine de rat a
été isolé par
l'équipe de De Lecea grâce à
une technique de soustraction destinée
à identifier des gènes
préférentiellement exprimés
dans l'hypothalamus. Un clone
sélectivement présent dans
l'hypothalamus postérieur a ainsi
été isolé et s'est
avéré coder pour un
précurseur de polypeptide. À
partir des sites de clivage potentiels de ce
précurseur, on pouvait prédire
l'existence de deux peptides
dénommés hypocrétine-1 et
-2, nom dérivé d'hypothalamus et
de sécrétine dans la mesure
où ces peptides présentent une
faible homologie (contestée par d'autres
équipes) avec la sécrétine.
La localisation immunocytochimique de ce peptide
montre une distribution restreinte au sein de
l'hypothalamus et sa présence dans des
vésicules synaptiques. Son implication
potentielle dans la régulation du
comportement alimentaire était
suggérée par son expression
préférentielle dans l'hypothalamus
latéral, une région
impliquée dans le contrôle de
l'appétit.
De façon indépendante,
l'équipe de Sakurai identifia les
mêmes neuropeptides en recherchant des
ligands de récepteurs orphelins
couplés aux protéines-G et
exprimés par un assortiment de
lignées cellulaires. Ces peptides ont
été isolés en purifiant des
extraits cérébraux capables de
produire des réponses calciques dans la
lignée cellulaire transfectée
exprimant le récepteur orphelin HFGAN72
(qui s'est avéré être le
récepteur humain de l'hypocrétine
de type I). Les peptides ainsi identifiés
reçurent de ces auteurs la
dénomination d'orexine-A et -B,
d'après leurs propriétés
orexigènes (stimulatrices de
l'appétit) observées in vivo.
L'orexine-A et l'orexine-B sont respectivement
similaires à l'hypocrétine-1 et
I'hypocrétine-2 et deux récepteurs
couplés aux protéines-G (OXR I ou
HCRTR I, et OXR2 ou HCRTR2) furent
également décrits et
respectivement localisés sur les
chromosomes humains I p33 et 6cen. Le
récepteur de l'hypocrétine de type
I humain (officiellement HCRTR I sur GenBank)
présente une forte affinité (20
nM) pour l'hypocrétine-l, et une
affinité 10 à 100 fois plus faible
pour I'hypocrétine-2, tandis que le
récepteur de l'hypocrétine de type
2 humain (HCRTR2) présente une
affinité équivalente pour
I'hypocrétine-1 et -2. Dans ce travail,
les hypocrétines s'avéraient
capables de stimuler le comportement alimentaire
après injection
intra-cérébroventriculaire, ce qui
suggérait un rôle de premier plan
dans le contrôle de l'appétit.
Les neurones à hypocrétine
Les études neuroanatomiques
ultérieures confirmèrent le
caractère délimité de la
distribution des neurones exprimant
l'hypocrétine au sein de l'hypothalamus,
mais montrèrent des projections diffuses
au sein du système nerveux central avec,
en particulier, d'importantes projections vers
l'amygdale, le noyau accumbens, le septum, la
bande diagonale et tous les groupes de neurones
monoaminergiques - locus creruleus
(noradrénaline), noyau
tubéromamillaire (histamine), noyaux du
raphé (sérotonine) et substance
noire/aire tegmentale ventrale (dopamine). Ceci
suggérait l'implication de ces peptides
dans des régulations autres que celles du
comportement alimentaire.
Le récepteur HCRTRL est exprimé
préférentiellement par les
neurones monoaminergiques du locus coeruleus, du
raphé, de certaines régions de
l'hypothalamus, du thalamus, de l'amygdale et de
l'hippocampe (Trivedi et collaborateurs, 1998).
Le récepteur HCRTR2, muté dans la
narcolepsie canine, a été
décrit dans le cortex, le noyau accumbens
et certaines régions de l'hypothalamus,
du thalamus, de l'amygdale et de l'hippocampe,
dans le noyau tubéromamillaire, la
substance noire et l'aire tegmentale ventrale,
le raphé magnus et aussi, à de
plus faibles niveaux, dans de nombreuses
régions du tronc
cérébral.
Comment les neurones à
hypocrétine-orexine peuvent-ils
êtres impliqués dans la physiologie
du sommeil et dans la narcolepsie ?
L'administration
intra-cérébro-ventriculaire
d'hypocrétine-1 induit l'éveil
chez le rat adulte. Il est admis que le cycle
veille/sommeil dépend d'interactions
réciproques entre systèmes
monoaminergiques et cholinergiques au niveau du
tronc cérébral. Les projections
des neurones à hypocrétine sur les
groupes monoaminergiques pourraient ainsi
être responsables des effets de ces
peptides sur le sommeil et la vigilance. Les
neurones du locus creruleus
(noradrénaline), du noyau
tubéromamillaire (histamine) et du
raphé (sérotonine) sont actifs
durant la veille et cette activité
diminue pendant le sommeil lent pour
disparaître presque complètement en
sommeil paradoxal. Les projections excitatrices
des neurones à hypocrétine vers le
locus creruleus, le noyau
tubéromamiliaire et le raphé
pourraient ainsi contrôler
l'activité des systèmes
monoaminergiques durant le cycle veille/sommeil
et l'enregistrement in vivo de l'activité
des neurones à hypocrétine sera
nécessaire pour répondre à
cette question. Certains arguments
suggèrent que les projections vers le
locus creruleus jouent un rôle primordial
dans la régulation de la vigilance, mais
le fait que HCRTR I mais pas HCRTR2 (le
récepteur muté dans la narcolepsie
canine) soit exprimé dans le locus
creruleus irait à l'encontre de cette
proposition. Étant donné
l'implication de ces systèmes dans le
mode d'action des substances favorisant
l'éveil, la localisation
préférentielle de HCRTR2 dans le
noyau tubéromamillaire et les cellules
dopaminergiques peut constituer un
élément important dans la
régulation de la vigilance, mais sur ce
point, nous manquons actuellement de
données fonctionnelles. Enfin,
l'existence de projections abondantes et la
localisation de HCRTR2 dans les régions
limbiques et dans le noyau accumbens pourraient
expliquer la cataplexie, qui se
caractérise par la survenue
d'épisodes d'abolition du tonus
musculaire déclenchés par les
émotions agréables. Cependant,
étant donné le caractère
diffus des projections des neurones à
hypocrétine, les incertitudes concernant
la distribution des récepteurs et le
manque de données publiées
démontrant des effets sur le sommeil
d'une projection donnée, toute autre
tentative de faire correspondre la physiologie
de ce système et la physiopathologie de
la narcolepsie est actuellement
spéculative.
La maladie
Par opposition à la narcolepsie
canine, à transmission autosomale
récessive et au modèle de souris
knockout pour le gène codant pour
l'hypocrétine, la transmission
génétique de la narcolepsie
humaine est complexe. La narcolepsie humaine
n'est qu'exceptionnellement associée
à des mutations des gènes
hypocrétines. Seul, un cas d'enfant ayant
débuté la maladie à
l'âge très précoce de six
mois, a été décrit. Chez
l'adulte, la narcolepsie est fortement
associée à HLA-DQB I *0602,
suggérant la possibilité d'un
mécanisme auto-immun. Les études
génétiques dans la région
du complexe HLA indiquent que HLA-DQB I est un
facteur de susceptibilité majeur, mais
les tentatives pour mettre en évidence un
mécanisme auto-immun dans la narcolepsie
n'ont pas abouti. Le fait que des études
post-mortem récentes indiquent que les
cellules hypocrétines manquent chez les
patients narcoleptiques suggère le
réexamen de cette hypothèse :
seuls quelques milliers de neurones de
l'hypothalamus latéral expriment
l'hypoC:rétine. Une destruction rapide de
ces neurones par un processus auto-immun
pourrait aisément rendre compte des
caractéristiques cliniques de cette
affection. Dans la mesure où ces cellules
exprimant l'hypocrétine constituent un
groupe réduit et impossible à
distinguer par d'autres critères, leur
destruction pourrait avoir échappé
aux analyses neuropathologiques
effectuées antérieurement.
L'absence d'hypocrétine-1 dans le
liquide céphalorachidien de la plupart
des patients narcoleptiques peut avoir des
applications dans le domaine diagnostic et
thérapeutique. Tous les traitements
actuellement disponibles pour la narcolepsie
agissent en aval, sur la transmission
monoaminergique. Le rétablissement des
fonctions neurotransmettrices de
l'hypocrétine agirait sur les
symptômes des patients narcoleptiques plus
efficacement que les amphétaminiques ou
les antidépresseurs. Les
hypocrétines ne traversent pas la
barrière
hématoencéphalique, mais le
développement d'agonistes des
récepteurs de l'hypocrétine
résoudrait ce problème, à
condition qu'ils soient dépourvus
d'effets secondaires rédhibitoires. La
pharmacologie des hypocrétines trouverait
d'autres applications, comme l'utilisation
d'antagonistes en tant qu'hypnotiques ou
d'agonistes du récepteur de
l'hypocrétine de type I comme
antidépresseurs.
Références (cliquez
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