Jusqu'à ces dernières
années, neurologues et neuropsychologues
s'étaient fort peu
intéressés à la base
cérébrale de l'intelligence
sociale et des interactions sociales, impliquant
l'acquisition de la connaissance sociale, la
perception et le traitement des signaux sociaux
ainsi que la représentation des
états mentaux. Des travaux récents
ont montré que des déficits dans
l'intelligence sociale pouvaient survenir
indépendamment des déficits dans
les autres secteurs de la cognition. C'est ainsi
que sont nées la théorie de
l'esprit et la recherche sur l'empathie.
La théorie de l'esprit désigne
la capacité de comprendre et de
prévoir le comportement d'autrui en lui
attribuant des états mentaux
indépendants, comme des croyances et des
désirs. Des épreuves ont
été élaborées pour
mettre en évidence divers niveaux de
complexité de cette faculté
particulière. Les tâches de premier
niveau (fausse croyance) demandent au patient de
dissocier ce que pense un personnage par rapport
à ce que le patient sait ou à ce
que pense un autre personnage. Elles sont
réussies par l'enfant autour de
4 ans. Les tests de second niveau explorent
la croyance à propos de la croyance et
sont réussis à l'âge de
6-7 ans. Enfin, les tests dits de faux pas
demandent au sujet d'analyser une maladresse
sociale et ne sont réussis qu'à
l'âge de 9-11 ans. Des perturbations
de la théorie de l'esprit ont
été observées,
indépendamment de toute perturbation des
fonctions exécutives dans certaines
lésions frontales, touchant notamment le
cortex orbitofrontal et
l'hémisphère droit [1].
L'exploration par l'imagerie
cérébrale montre que trois aires
sont associées aux tâches explorant
la théorie de l'esprit : le cortex
paracingulaire antérieur, la
circonvolution temporale supérieure et
les pôles temporaux, connus pour leur
rôle dans la mémoire
épisodique et autobiographique
[2]. La circonvolution temporale
supérieure droite serait impliquée
dans la compréhension de la
causalité, de l'intentionnalité
ainsi que la détection du
caractère émotionnel de la mimique
faciale.
L'empathie est définie par la
capacité à partager les
émotions avec autrui, ce qui constitue un
puissant moyen de communication
interindividuelle et un élément
essentiel de la relation thérapeutique.
Bien que proche, elle se distingue
néanmoins de la théorie de
l'esprit, plus spécifiquement cognitive.
Elle se ferait par l'intermédiaire d'un
système de représentation de
l'action qui implique des neurones dits
« miroirs » situés au
niveau d'un circuit composé du gyrus
temporal supérieur, du cortex frontal
inférieur et du cortex pariétal
postérieur [3]. L'équipe
de Damasio [4] vient de montrer que
certaines lésions
cérébrales provoquent un
déficit de l'intelligence sociale
(ensemble des compétences
émotionnelles et sociales qui permettent
aux individus de répondre aux demandes de
la vie quotidienne et d'être efficaces
dans leur vie personnelle et sociale). Reprenant
l'hypothèse des marqueurs somatiques qui
spécifie qu'un certain nombre de
structures et d'opérations liées
aux émotions détermine les
capacités de prise de décision,
ils ont mis en évidence une baisse du
quotient émotionnel, des capacités
de prise de décision et du fonctionnement
social chez des sujets présentant des
lésions d'un circuit impliquant
l'amygdale, le cortex orbitofrontal et le cortex
insulaire de l'hémisphère droit.
Ces données suggèrent que les
systèmes neuronaux qui sous-tendent la
mise en activation et la prise de
décision seraient étroitement
intriqués avec ceux qui supportent
l'intelligence sociale et
émotionnelle.
La contagiosité du bâillement
est un autre phénomène social. Une
étude qui vient de lui être
consacrée suggère qu'il s'agirait
d'une manifestation d'empathie, impliquant la
conscience de soi et l'attribution de
l'état mental des autres [5]. La
susceptibilité à la
contagiosité du bâillement serait
liée positivement à la
reconnaissance de l'image de soi ainsi
qu'à la théorie de l'esprit et
négativement aux traits de la
personnalité schizotypique. Les
recherches actuelles montrent que la perception
des mouvements et des actions
réalisées par autrui, ainsi que
l'imagerie mentale de l'action partagent avec la
génération de l'action
intentionnelle l'implication d'un ensemble de
régions cérébrales.
À noter le très intéressant
site sur le bâillement, à ne pas
consulter toutefois à une heure trop
tardive [6].
1. Morris RG, Bramham J, Rowe A. Social
cognition following prefrontal cortex lesions.
In : Brne M, Ribbert H, Schiefenhövel
W, eds. The social brain. Evolution and
pathology. Chichester : John Wiley &
Sons, 2003.
2. Gallagher HL, Frith C. Functional
imaging theory of mind. Cognitive Sci
2003 ; 7 : 77-83.
3. Meltzoff AN, Decety J. What imitation
tells us about social cognition: a rapprochement
between developmental psychology and cognitive
neuroscience. Philos Trans R Soc Lond Biol Sci
2003 ; 358 : 491-500.
4. Carr
L, Iaconini M, Dubeau MC, Mazziota JC, Lenzi GL.
Neural mechanisms of empathy in human: a relay
from neural systems for imitation to limbic
areas. Proc Natl Acad Sci USA 2003 ;
1000 : 5497-502.
5. Plarek
SM, Critton SR, Myers TE, Gallup GG.
Contagious yawning: the role of self-awareness
ans mental state attribution. Cogn Brain Res
2003 ; 17 : 223-7.