- extrait de
- Une
leçon de Charcot à La
Salpêtrière
- tableau de André
Brouillet 1887
-
- Bâillements
chez un épileptique
1888
- Nouvelle
Iconographie de La
Salpêtrière
- 1888;1(4):163-169
-
- Note
sur le bâillement Ch
Féré 1905
- Comptes-rendus de la
société de biologie (Paris)
1905;2:11-12
-
- Charles Samson Féré est
né le 13 juin 1852 à Auffay, en
Normandie, à 170 km à l'Ouest de
Paris. Unique enfant d'une famille de paysans
aisés, après des études au
lycée de Rouen, qualifié de «
capricieux » par un professeur, il obtint
son baccalauréat à 16 ans. Enclin
à une vie d'insouciance, ses nombreuses
activités ludiques avec des amis de son
âge le conduisirent à un premier
échec pour entrer à l'école
de médecine de Rouen. C'est alors qu'une
tuberculose pulmonaire se révéla
par une hémoptysie qui le marqua
profondément. Bien qu'apparemment la
guérison fut rapide, cet
événement terrorisant l'engagea
vers le travail assidu qui caractérise
tout le reste de sa vie [38].
-
- De 1870 à 1872, il débute ses
études de médecine à
l'Ecole de Rouen où il eut alors pour
professeur le chirurgien de l'Hôtel-Dieu,
Achille Flaubert (1813-1882), frère de
l'écrivain Gustave Flaubert. Puis il part
à Paris, mais déraciné,
émotif et timide, il ne réussit le
concours de l'internat qu'en 1877 à sa
cinquième tentative. Il sera durablement
marqué par son stage, en 1879, chez Paul
Broca (1824-1880), fondateur de la
société d'anthropologie, et
descripteur de la localisation de l'aphasie.
D'abord attiré vers la chirurgie, ses
premières publications traitent des
« hernies abdominales chez les enfants
à la mamelle » (1879), des fractures
du bassin (1880), du cancer de la vessie
(1881).
-
-
- Portrait de Charles
Féré par Moïna Binet
mère de A. Binet ( © Musée
Flaubert à Rouen)
-
- En 1881, il devient l'interne de JM. Charcot
qui le fascine aussitôt. L'année
même de la création de la chaire de
neurologie en 1882, il soutient sa thèse,
présidée par JM. Charcot : «
Contribution à l'étude des
troubles fonctionnels de la vision par
lésions cérébrales,
amblyopie croisée et hémianopsie
», y appliquant la méthode
anatomo-clinique, en référence
à son maître. Celui-ci le nomme peu
après chef de laboratoire
[39].
-
- P. Le Gendre écrit : « Un
préparateur était chargé
spécialement des autopsies, Ch.
Féré, dit le grand
Féré, parce que sa haute stature,
sa carrure imposante, éveillaient le
souvenir de ce paysan patriote qui, pendant la
guerre de cent ans, occit moult anglois à
coups de maillet. Ce grand diable cachait sous
sa rudesse phlegmatique une raillerie narquoise
et les assistants ne s'ennuyaient pas, quand il
découvrait «chez Morgagni »
quelque erreur de diagnostic faite par un des
chefs de service, même le sien. Auteur
d'une excellente anatomie médicale des
centres nerveux (1886), il montrait son flair
clinique le jour où, croisant mon chef
(H. Legrand du Saulle) le voyant marcher
lourdement et l'entendant parler avec une langue
pâteuse et des lèvres
sèches, il lui dit à brûle
pourpoint: « Monsieur Legrand, cherchez
donc le sucre dans vos urines » et celui-ci
de riposter en riant: « j'ai trop peur d'en
trouver; cela m'obligerait à m'en priver
et je l'adore » [40].
Réputé extraordinairement timide,
Charles Féré avait des
difficultés d'élocution, notamment
en public, où il se
révélait hyperémotif. JM.
Charcot sensible à la qualité de
son travail et à son abnégation,
lui avait donné toute son affection mais
comprenant son handicap, il le découragea
de préparer l'agrégation et
l'orienta vers le concours des médecins
aliénistes des hôpitaux de Paris
qu'il réussit en 1884.
-
- En charge des aliénés et des
épileptiques à La
Salpêtrière, il est
simultanément médecin au service
des aliénés de la
Préfecture de Police où il dirige
des travaux de criminologie comme la
thèse de A. Planès (1886) : «
Quelques considérations sur la folie
à Paris observée à
l'infirmerie spéciale du
dépôt de la Préfecture de
police ». Il y fréquente Alphonse
Bertillon (1853-1914) qui l'initie à
l'anthropométrie et le fait admettre
à la société
d'Anthropologie [41].
- En 1887, il rejoint l'hospice de
Bicêtre comme médecin en chef et y
demeura jusqu'à la fin de sa
carrière. C'est là qu'il rencontre
et fréquente le couple Dejérine.
Trois après-midis par semaine, il donne
des consultations à son domicile du 37
Boulevard St Michel à Paris. D'une
extrême discrétion, aucune trace de
sa vie privée n'existe.
-
- Probablement marié, affectionnant la
solitude, il n'eut jamais d'enfant, menant une
vie simple, disant lui-même : « c'est
s'enrichir que de sacrifier le luxe et les
besoins inutiles ». L'acharnement au
travail, ce qui l'avait fait choisir par JM.
Charcot, apparaît comme un exutoire
à ses difficultés relationnelles
et ses propres propos le décrivent :
« dans la vie normale, la douleur moral et
l'ennui sont souvent le point de départ
des travaux les plus utiles à l'individu
et à l'espèce ». Manifestant
un goût prononcé pour les
recherches scientifiques, il dit qu'elles sont
« la source inépuisable de
distraction et de consolation dans les
épreuves de la vie ». Il
révèle ainsi un état
affectif dépressif qui, paradoxalement,
l'a mobilisé dans une dynamique de
l'action et de la réflexion à
valeur compensatoire. Parfois une migraine
arrêtait son travail quelques heures
[42]. Dans la biographie de JM. Charcot
qu'il rédigea pour la Revue de Deux
Mondes (1894), il dépeint son
maître dans des termes qui le
décrivent lui parfaitement : « Ses
qualités maîtresses étaient
la discipline et la persévérance;
pas un jour sans travail, pas une étude
abordée sans être poussée
jusqu'au bout ». Jules Séglas dira
« il n'est pas une des branches des
sciences médicales vers laquelle ne se
soit tournée un moment sa
curiosité » [41].
-
- autographe 1881
-
- Qu'on ouvre un livre d'histoire de la
psychiatrie, de la psychologie, de l'hypnose,
sur la prostitution, sur l'eugénisme, sur
le darwinisme, d'anthropologie, de criminologie,
des maladies dans l'art ou des sciences
humaines, le nom de Ch. Féré
apparaît, témoignant de
l'étendue de ses champs
d'intérêt et de la
variété de ses publications. En
1883, il est élu à La
Société
Médico-Psychologique, et adhère,
en 1885, à Londres à la Society
for Psychological Research. Il crée
simultanément, en France, La
Société de Psychologie
Physiologique que JM. Charcot et Pierre Janet
(1859-1947) président. Cet élan
témoigne de son adhésion à
la philosophie positiviste d'Auguste Comte,
imitant en cela DM. Bourneville, P. Richer et
JM. Charcot. Léon Daudet lui en tiendra
rigueur comme il apparaît dans «
Devant la douleur » (1915): «
lui-même était un joli exemple de
primaire, tatoué de connaissances
anatomo-pathologiques, de dévot du
néant, de servant du matérialisme
»; puis fustigeant l'orientation
idéologique rationaliste, Léon
Daudet ajoute « Les maniaques à la
Bourneville et à la Féré
pondaient, pour les bibliothèques
évolutionnistes qui pullulaient à
cette époque, des ouvrages pédants
et diffus où s'étalait leur
fanatisme ».
-
- Appartenant au courant anticlérical
de son époque, il pense que le travail
est une nécessité biologique
féconde et non un châtiment.
Ergonome avant l'heure, il expérimente,
sur lui-même, avec l'ergographe de Angelo
Mosso (1846-1910), l'influence du travail
musculaire, de ses rythmes, des conditions
d'environnement. Il tente de prouver que «
les excitations périphériques et
les phénomènes psychiques qui en
sont la conséquence, c'est à dire
les émotions, s'accompagnent de
manifestations motrices ». Il publiera ses
résultats et réflexions dans
divers livres « Sensation et mouvement
» en 1887, « La pathologie des
émotions » en 1892, et «
Travail et plaisir » en 1904.
-
- En 1886, parait Le Magnétisme animal,
rédigé avec A. Binet. Après
un long survol historique rappelant
l'interdiction pour charlatanisme des
magnétiseurs sous le roi Louis XVI, ils
présentent la suggestion comme une
thérapeutique utile, plébiscitant
ainsi la « médecine d'imagination
» autrefois condamnée,
véritable manifeste républicain
positiviste face à l'obscurantisme
réactionnaire loué par Léon
Daudet [42,43].
-
- Charles Féré,
interne de JM. Charcot à La
Salpêtrière en
1881
- © Extrait
de l'Album de l'internat de La
Salpêtrière conservé
à la Bibliothèque Charcot à
l'hôpital de la
Salpêtrière
- (Université
Pierre et Marie Curie,
Paris)
-
- Après que la philosophie de Pierre
Cabanis a jeté les bases de
l'évolutionnisme et de la
psychopathologie, les aliénistes comme
Philippe Pinel, le plus souvent libres penseurs,
croyaient en l'amélioration du malade
mental par «
régénérescence ». Les
aliénistes, à la fonction reconnue
par la loi du 30 juin 1838, comme elle
reconnaît le droit des
aliénés à être
traités comme des malades, ont alors
chercher à délimiter des tableaux
cliniques des différents troubles
mentaux. Mais, en cette fin du XIXè
siècle, une quête de trouver la
cause de la folie se développe dans la
lignée de Benedict Augustin Morel
(1806-1873), aliéniste chrétien
prosélyte. Auteur controversé d'un
« Traité des
dégénérescences
intellectuelles, physiques et morales de
l'espèce humaine », il
élabore le concept nouveau de «
Folie héréditaire ».
Inspirés du Darwinisme, les concepts de
« sélection naturelle » et
« d'hérédité morbide
», vont renouveler les explications
physiopathologiques de la folie. Comme bien
d'autres, le républicain Ch.
Féré va adhérer à
cette école, président en 1895 La
Société de Biologie, marqué
qu'il est par sa participation aux « diners
Lamarck » [44].
-
- Farouche partisan de l'utilisation des
concepts de l'évolutionnisme organiciste
dans l'analyse des sociétés
humaines d'origine spincerienne, il va se lancer
dans des expériences de
tératologie sur les volailles ! (Note sur
l'évolution d'organes d'embryons de
poulet greffes sous la peau d'oiseaux adultes
par Ch. Féré et A. Elias. Paris :
Masson, 1898. 10p)
- Sans doute marqué par les pathologies
secondaires à l'alcoolisme,
observées dans sa Normandie natale, il
publie en 1888, «
Dégénérescence et
criminalité » où sa position
paradoxale aboutit à des propos ambigus :
« Les criminels et les délinquants
sont des anormaux aussi bien du point de vue
psychique qu'au point de vue physique ». Le
chapitre 10 a un titre qui fait peur : «
Les nuisibles ». Oubliant son adolescence,
son discours est moralisateur : «
l'oisiveté n'est pas plus légitime
que l'incendie » .... « Le nuisible
par défaut de production est aussi bien
la conséquence nécessaire de ses
antécédents que
l'aliéné ou le criminel. Les
impotents, les aliénés, criminels
ou décadents de tour ordre, doivent
être considérés comme des
déchet de l'adaptation, des invalides de
la civilisation ».
-
- Lors du Congrès international
d'anthropologie criminelle, à Paris en
août 1889, il est du comité
d'organisation avec Benjamin Ball, Jules Falret,
Jospeh Magnan. Fasciné comme son
maître JM. Charcot, par les figures de
dégénérés, du
névrosé chronique, de l'alcoolique
abâtardi, tant par sa pratique clinique
que dans leurs recherches en histoire de l'art,
Ch. Féré participe à une
montée de la psychiatrie tragique et
noire, toute en menace pour la
société. Il entame le combat pour
tordre le cou à ce fléau social
décrit dans « La famille
névropathique » en 1894
[45].
-
- L'hérédité devient une
explication tant de l'organisation sociale que
de la responsabilité humaine. Toutes les
observations cliniques de JM. Charcot comme de
ses élèves retracent aussi bien
que possible les antécédents
familiaux mentaux de leurs malades, ajoutant des
commentaires sur « la constitution maladive
héritée ». Ch.
Féré en vient à admirer la
possibilité d'intervenir chirurgicalement
afin d'éviter toute possibilité de
reproduction dans « L'instinct sexuel,
évolution et dissolution » Alcan
1899 p 53. Cette tentation eugénique nous
surprend. Si elle a largement influencé
les réflexions politiques, Ch.
Féré a, en fait, principalement
oeuvré pour une réponse
médico-sociale prophylactique au sein de
la famille, de l'école et de
l'armée, tant pour la pathologie mentale
que pour la syphilis ou la tuberculose en
composant « Le traitement des
aliénés dans les familles »
en 1905.
-
- Charles Féré acquit une
réputation européenne,
publié en Angleterre dans Brain, dans La
Revue de la société de
médecine mentale de Belgique.
Créateur du mot autoscopie, ses livres
ont été traduits en 7 langues et
si Hysteria, Epilepsy and the Spasmodic Neuroses
a été publié en 1897
à New York, « Scientific and
Esoteric Studies in Sexual Degeneration in
Mankind and in Animals » et « The
Sexual Urge. How It Grows or Wanes » sont
parus, eux, en 1932, soit 25 ans après
son décès, survenu à 55
ans, au terme d'une rapide évolution d'un
probable cancer. [45].
-
-
-
- 38°) Carbonel F. Le Dr
Féré, une vie, une oeuvre, de la
médecine aux sciences sociales
L'information psychiatrique. 2006;82:59-69.
-
- 39°) Letulle M. Féré
(1852-1907. La Presse médicale.
1907;35:281-282
-
- 40°) Legendre P. Du quartier latin
à l'Académie. Paris. Maloine Ed.
1930.538p.
-
- 41°) Séglas J. Ch
Féré. L'informateur des
aliénistes edes neurologues.
1907;2:151-154.
-
- 42°) Capelle I. Charles Samson
Féré (1852-1907)
élève de Charcot et
aliéniste de Bicêtre "travailleur
infatigable et patient". Thèse pour le
doctorat en médecine. Caen.
1998;n°36:126p.
-
- 43°) Féré Ch. La
Médecine d'imagination. Le Progès
Médical. 1884;n°16.
-
- 44°) Richard N. Des dîners
Lamarck au monument, la construction d'une
mémoire. in Laurent G. Jean-Baptiste
Lamarck. Paris, CTHS Ed. 1997.631-647.
-
- 45°) Courtin R. Charles
Féré (1852-1907), médecin
de Bicêtre et la «
Néopsychologie ». Paris.
Connaissances et savoirs Ed. 2007.227p.
-
- Dessin anonyme la visite Salle St
Reine. Charcot avec sa canne observe une malade
présentée par Bourneville
tenant son thermomètre; Raymond
et Brissaud,
Charles Féré
et sa serviette
- La surveillante est Mlle de Tirpenne
avec ses papillottes
-
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