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-
- LETTRE VI
- Je suis désespérée de
n'avoir pu assister à votre
première leçon, vous me le
pardonnez, belle Comtesse ! Une autre fois je
m'arrangerai de façon à m'y
trouver. Au reste, je veux attendre que vous
soyez un peu plus avancée. Aujourd'hui il
n'a été question que des migraines
et des maux d'estomac ; ce n'est encore
là que l'introduction à l'art des
vapeurs. Ne souriez point au mot d'art, c'est
très sérieusement que je
l'applique au manège des vapeurs.
-
- Vous n'aurez pas donné deux ou trois
cachets à votre petit abbé que
vous serez forcée de convenir qu'il n'y a
ni affectation, ni pédantisme dans mon
expression ; elle est technique. Quelle
méthode suit-on dans les leçons
que l'on vous donne ? Ne vous instruit-on pas du
temps, du lieu, de l'espèce, de la
variété et de l'à-propos
des symptômes vaporeux? Or, toute cette
instruction ne peut être bien faite sans
règles, sans principes. Il y en a donc ?
Où il y a règles et principes, il
y a de l'art.
-
- Concluons donc, en bonnes logiciennes, qu'il
est aussi raisonnable de dire l'art des vapeurs
que l'art de la toilette. Vous possédez
ce dernier supérieurement, et j'aime
à croire que vous jouez
déjà la migraine à ravir.
Convenez qu'elle est une ressource bien utile
à une femme. Une migraine déroute
les projets d'un mari, donne de
l'inquiétude à un amant,
réveille l'intérêt dans un
ami, chasse un ennuyeux qui assomme, rompt
l'entretien d'un sénat de caillettes qui
excèdent.
-
- Ah ! Comtesse, chère Comtesse !
l'excellente chose que la migraine ! C'est un
artifice divin lorsque l'on aime : alors elle
est presque de nécessité
habituelle. Règle générale,
elle doit servir de prétexte pour
éloigner tout importun assez hardi pour
venir rompre un tête-à-tête.
Les maux d'estomac ne sont pas non plus hors
d'uvre dans le maintien d une jolie femme.
La délicatesse est de notre essence. En
est-il un indice moins équivoque qu'un
estomac délabré? Que vous a dit
l'abbé sur cet objet ?
-
- Il doit vous avoir observé que c'est
surtout à table qu'il convient de se
plaindre de ce viscère. Je suis de son
avis : je n'ai jamais été à
un souper sans signifier que je n'avais pas
l'estomac crochetural. On ne tolère un
bon estomac que dans la classe de la
bourgeoisie. Il ne paraît pas
déplacé clans un financier. La
raison en est toute simple. Ces Messieurs sont
si près de la roture qu'on n'est pas
étonné de trouver en eux un
arrière-goût de terroir. Nous
sommes faites pour être esclaves de la
mode, nous le sommes en tout pays. En Chine on
nous mutile, on nous estropie pour nous faire un
petit pied ; en France on veut que nous ayons
l'estomac en délabre... Livrons-nous
à la bizarrerie de l'usage, nous nous en
trouverons encore mieux que les dames de
Pékin. Les maux qu'elles souffrent sont
réels, les nôtres ne sont que de
convention. Ne perdez jamais ce point de vue :
biens et maux, chez nous, tout n'est que
fiction. Je n'en excepte que la tendresse que
j'ai pour vous.
-
- LETTRE VII
- Deux heures pour l'immense chapitre des
bâillements, et prétendre l'avoir
épuisé ! Ah ! ma chère, le
petit abbé n'est qu'un sot, ou un
maître du dernier superficiel. Combien je
rabats sur son mérite ! Que peut-il vous
avoir appris dans ce court espace ? Il vous a
donné la légende des
bâillements les plus communs, les plus
journaliers. La belle théorie que la
sienne ! Bâillez, Madame, bâillez
toutes et quantes fois que vous vous ennuyez. Et
qui ignore que l'ennui est le père du
bâillement ? L'instance de la nature
suffit seul pour en instruire. Que l'on
ôte à une petite fille sa
poupée, qu'on l'empêche de jouer
à la madame avec le marmot qu'elle nomme
son petit mali, que fait la belle enfant ? Elle
pleure, s'ennuie et bâille. Il n'y a pas
jusqu'aux animaux qui ne soient avertis de la
présence de La philosophie des vapeurs
l'ennui par les bâillements.
-
- Dès que Zéphirine n'est plus
sur mes genoux, que je cesse de la couvrir de
baisers, elle devient triste, chagrine et
bâilleuse. Si les bêtes ont, comme
nous, le tact du bâillement, elles ont
aussi le talent de le provoquer. (Ceci ne doit
s'entendre que des bêtes à figure
humaine). Combien de gens de notre connaissance
le possèdent à un degré
éminent ! Mais, chut, je ne veux point me
livrer à la médisance, je
préfère vous démontrer
qu'on ne peut faire un pas, dans la
société, sans rencontrer l'escorte
des bâillements ; elle a droit de
présence dans toutes les maisons : la
vôtre n'en est pas plus exempte que la
mienne.
-
- Pour ne pas m'accuser de vous injurier sans
fondement, de grâce, suivez-moi un peu
dans les détails. Je vous suppose dans
votre cabinet d'assemblée, attendant
l'heure de la cohue, vous tuez le temps, vous
vous occupez à filer, ou à faire
du filet, n'importe; vous êtes
maritalement vis-à-vis de M. le comte ;
il vous regarde travailler par contenance, ou
bien il parcourt une brochure qu'il quitte d'une
minute à l'autre pour vous adresser un
monosyllabe ; vous lui répondez avec le
même laconisme. Jusque-là tout est
dans l'ordre. Pour finir le tableau, il n'est
plus question que de vous voir bâiller
l'un et l'autre à l'envi. J'en aurais la
douce satisfaction si le bruit des voitures qui
s'arrêtent à votre porte ne vous
avertissait de suspendre ces gentillesses du
tête-à-tête marital.
-
- À la lueur de vingt bougies
répétées dans six glaces,
je vois entrer deux femmes qui doivent
être l'âme de votre cercle : l'une
est la comtesse d Estinasse, vieille joueuse,
qu'accompagne Dolbi, son tailleur ordinaire au
Pharaon ; l'autre est la duchesse de Termille,
jolie tricheuse, la terreur de tous les joueurs
intéressés, et la coqueluche de
ces agréables qui se font un
mérite de se laisser dépouiller
sous l'espoir d'avancer leurs affaires. Les
battants ne cessent de s'ouvrir : vingt
personnes arrivent successivement. Toutes sont
lestes, enjouées, sémillantes.
Quelle soirée délicieuse vous
allez passer, Comtesse ! Ah ! vous n'êtes
pas assez neuve pour ignorer que plus une
assemblée est brillante et nombreuse,
plus il y a à parier pour les
bâillements. Ces enfants de l'ennui sont
étranges ; ils se plaisent infiniment
dans la bonne compagnie. Ils n'ont pas tort :
ils y font plus de victimes que partout
ailleurs. Et de fait, quand, dans ce que nous
appelons la bonne compagnie, nous avons
épuisé l'article des nouvelles du
jour et des modes, effleuré le chapitre
de la calomnie, tari celui de la
médisance, quelle ressource nous
reste-t-il ? Celle de bâiller.
Bâillez donc, Comtesse, surtout quand vous
jouez un triste Wisck avec des partenaires qui
conservent toute la morgue anglaise.
-
- Vous savez où la trouver puisque je
vous fais lier partie avec la vieille
d'Estinasse, le silencieux Chabrinont et le
glacial baron de la ***. Quittez-vous le jeu
pour être à la conversation, vous
ne pourrez vous dispenser de bâiller. Vous
entendez discourir le persifleur
Desmazières, c'en est assez. Aux seuls
mouvements des lèvres de
l'agréable de ***, on pressent le
bâillement. Est-il jamais sorti autre
chose que des fadeurs de cette bouche
emmiellée ? Les saillies de Richard, le
fermier, doivent faire la même impression
: elles sont tellement encrassées que ce
serait folie d'en chercher le brillant. Pour les
bons mots du président de Tolbigny, ils
sont aussi vieux que le code sur lequel il a
pâli. Le bon homme vous permet d'en
bâiller, sans s'en formaliser. La coquette
d'Arfeuille n'a pas cette
générosité ; elle ne
pardonne pas les symptômes de l'ennui
quand elle disserte. La pauvre femme n'a que ce
travers : ménagez-la. Que votre
éventail l'empêche de remarquer le
dérangement de vos jolis traits. Un peu
moins de ménagement pour la dévote
Servine : toujours parler du cher directeur, ne
chanter que lui, et exiger qu'on l'entende de
sang-froid ! Dites-lui, en bâillant et
rebâillant, que, pour une âme
pieuse, elle n'est guère charitable. Si
ce dernier bâillement fait éclat,
rejetez-le sur les vapeurs qui vous tourmentent.
À ce mot, on lèvera le
siège, et, tout en s'en allant, les uns
vous plaindront de bonne foi, d'autres crieront
que vous vous donnez un ridicule, le plus grand
nombre conviendra qu'il vous sied : ce sont les
gens sensés, et moi à leur
tête, parce que personne ne prend plus
d'intérêt à votre avancement
vaporeux.
-
-
- Lettre VIII
- Que la marquise est changeante ! Vous le
direz, ma très chère, voyant que
je ne vous tiens pas parole sure les
bâillements. Je vous avais promis de
revenir sur cet article, nous devions le
traité à fond ; voilà
quelles étaient mes promesses, n'est-ce
pas ? J'en tombe d'accord ; mais souvenez vous
du proverbe que nous avons joué il y a
peu : promettre & tenir son deux. Je joue
aujourd'hui. Il devait être question des
bâillements, il n'en sera rien. La
réflexion approuve cette variation de ma
part. J'ai réfléchi que plus vous
vous répandrez, Plus votre
expérience vous apprendra à
bâiller. Ne consultez aussi qu'elle pour
les engourdissements et les assoupissements.
C'est de symptômes de sombres vapeurs sans
si étroitement unis avec les
bâillements, que qui connais ces derniers,
ne tarde pas à être
familiarisé avec les premiers.
Êtes-vous curieuse d'en faire une prompte
épreuve ? partez sur le champ pour
Versailles, je vous suis garante que vous
n'aurez pas respiré l'air quatre minutes
sans vous apercevoir que bâillements,
engourdissements et assouplissements ont les
honneurs du Louvre. Dans l'il de
buf, quoiqu'il y fasse à peine
clair, il y a assez de jours pour distinguer
nos symptômes, malgré le soin que
le courtisan prends de les mâter par une
pétulance purement grimacière.
Même allure de grimaces dans la galerie.
Vous êtes une bonne femme, si vous vous
laissez prendre à l'air affairé de
nos talons rouges. L'heure empressement ne dupe
que la bonhomie : c'est un masque qui tombe
comme l'écorce d'un arbre qui
dépérit. J'ai retenu cette
comparaison judicieuse, que je ne m'approprie
pas ; elle appartient à Chardal, homme de
Cour par nécessité, agronome par
goût ou pas manie : il ne
répète que cela À toutes
les fins de quartier.
-
-
- Nouveau
traité du rhumatisme et des vapeurs
Dumounlin M 1703
- Dissertation sur les
vapeurs et les pertes de sang. Hunauld P
1756
- Traité des
affections vaporeuses des deux sexes P Pomme
1757
- Traité des
affections vaporeuses du sexe J Raulin
1758
- De la
santé des gens de lettres Tissot S
1769
- Nouveau
Traité des Vapeurs ou Traité des
maladies des nerfs Pressavin JB
1770
- La philosophie des
vapeurs Paumerelle Cl 1774
- Traité des
maladies nerveuses hypochondriaques et
hystériques Robert Whytt
1777
- De l'influence des
affections de l'âme dans les maladies
nerveuses des femmes Chauvot de
Beauchêne EP 1781
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