-
- « Quand on s'éveille, on
bâille, on étend les bras, on est
plus agile, on a plus de vivacité
d'esprit. Comme le suc nerveux n'a pas
coulé dans les muscles durant le sommeil,
toutes les fibres sont languissantes, il faut
donc les contracter, pour ouvrir le passage du
sec nerveux qui s'est filtré dans le
cerveau, & pour l'appeler dans ces parties
» [1].
- Achille
François Thomas Le Vacher de la Feutrie
1767
-
- Le bâillement et ses
rythmes
-
- Le bâillement est un cycle
respiratoire paroxystique, associé
à une ouverture totale de la bouche,
comportant, durant 5 à 10 secondes, une
inspiration ample, une brève apnée
à thorax plein, une expiration passive.
Les yeux sont clos, la nuque se fléchit
en avant au début puis se
rétrofléchit à la fin.
Bâiller survient 5 à 10 fois par
jour physiologiquement, le matin après
l'éveil, associé à des
étirements ( on parle de pandiculations)
à l'approche du sommeil en soirée
sans étirement associé. A chaque
fois que l'attention se relâche, lors de
tâches monotones, des bâillements
peuvent survenir. Ces bâillements sont
associés au rythme veille sommeil.
L'éthologie nous indique que tous les
vertébrés, terrestres, sous-marins
et aériens, partagent ce comportement
lors des mêmes transitions
comportementales. D'autres bâillements, en
tous points morphologiquement identiques,
surviennent lors du jeûne ou
précèdent les prises alimentaires
et s'associent à la somnolence de la
satiété. Cette catégorie de
bâillements sont nettement plus
fréquents chez les carnivores, les
fructivores et les omnivores que chez les
herbivores. La brève durée
d'absorption d'une ration calorique
élevée permet aux carnivores, des
prédateurs, un luxe de sommeil interdit
aux herbivores. Les carnivores dorment plus
longtemps que les herbivores et ont une
proportion plus importante de sommeil paradoxal
[2-5].
-
- Neurophysiologie du
bâillement
-
- Les rythmes veille-sommeil,
faim-satiété, sont
générés par la structure
phylogénétiquement la plus
ancienne du système nerveux, le cerveau
reptilien. Sherrington [6] a
énoncé, en 1905, le paradigme
selon lequel seule l'activité motrice
extériorise l'activité du
système nerveux. Bâillements et
pandiculations extériorisent
l'activité des centres moteurs du tronc
cérébral (V, VII, IX, X, XI, XII)
et de la moelle cervicale C1-C4, sous la
commande du noyau paraventriculaire de
l'hypothalamus (PVN). Le PVN est un centre
d'intégration entre les systèmes
autonomes centraux et
périphériques, lieu des
régulations de la balance
métabolique (osmolarité,
énergie), de la pression
artérielle et de la fréquence
cardiaque, de la sexualité et de
l'éveil. Il reçoit des
afférences de l'hypothamus latéral
(neurones hypocrétinergiques), du noyau
supra-chiasmatique, de l'hypothalamus
antérieur (sensibilité aux rythmes
circadiens), du septum, de la
réticulée ascendante du tronc
cérébral, du locus coeruleus, du
fornix, de l'hippocampe, du noyau médial
du thalamus, du cortex orbito-frontal. Ses
efférences projettent vers les centres
autonomes du tronc cérébral
(noyaux des nerfs crâniens V, VII, IX, X,
XI, XII), le noyau ambigu, la
réticulée ascendante et le locus
coeruleus et peut-être le cortex
cingulaire par l'intermédiaire duquel il
contrôle les fonctions cardio-vasculaire,
respiratoire et sexuelle, entre autres. Le PVN
est sensible à l'osmolarité,
à la température centrale,
à des hormones circulantes
(ghréline, testostérone) tant par
sa vascularisation que par son contact avec le
liquide cérébro-spinal qui le
baigne latéralement. Bâillements et
pandiculations peuvent être
déclenchés par des injections
(apomorphine, hypocrétines, etc.) ou
disparaître après
électrolésion dans la zone
parvocellulaire du PVN. Un groupe de neurones
ocytocinergiques, situé dans cette zone
du PVN, projetant vers l'hippocampe, le tronc
cérébral (locus coeruleus) et la
moelle, contrôle les bâillements et
l'érection. La stimulation de ces
neurones par la dopamine ou ses agonistes, des
acides aminés excitateurs (NMDA),
l'ocytocine elle-même, déclenche
des bâillements alors que le GABA ou les
opioïdes inhibent bâillements et
érections. L'activité de ces
neurones dépend d'une enzyme, la «
nitric oxyde synthétase », qui
fabrique l'oxyde nitrique à l'origine de
la libération de l'ocytocine par un
mécanisme actuellement non
élucidé [7,8].
-
- Au cours d'un bâillement, le
diaphragme, les muscles de la mâchoire, du
visage, du cou et le diaphragme se contractent,
entraînant une ample inspiration. La
bouche (le bec ou la gueule) s'ouvre, montrant
les dents. Les voies respiratoires
supérieures sont largement
dilatées. Chez l'homme, le
diamètre du pharynx est, au paroxysme du
bâillement, quatre fois supérieur
à celui du repos. L'inspiration est
profonde et se fait par la bouche. Les trompes
d'Eustache se ferment, diminuant l'acuité
auditive. Les paupières se rapprochent,
une larme perle sur la joue par occlusion du
canal lacrymal [9,10].
-
- Finalité du
bâillement
-
- Les travaux de Provine ont
démontré l'absence de tout effet
d'oxygénation sanguine et
cérébrale lors d'un
bâillement, alors que cette
théorie, datant du XVIII°
siècle, est toujours colportée.
Aucune modification des gaz du sang n'a
été retrouvée. L'inhalation
d'une air enrichi en CO2 ne déclenche
aucun bâillement. Les poissons
bâillent, le foetus bâille
dès la douzième semaine de
grossesse. Dans ces deux exemples, les
bâillements apparaissent en milieu
liquidien impropre à l'oxygénation
gazeuse. Cette explication ancienne de la
fonction physiologique du bâillement ne
peut donc pas être admise [11,12].
Bien que la neurophysiologie du bâillement
soit largement élucidée, sa
finalité physiologique n'est pas
actuellement scientifiquement prouvée.
Rappelons qu'il en est de même pour le
sommeil.
-
- L'universalité du bâillement
chez tous les vertébrés (sauf
peut-être chez la girafe et les
cétacés) et en corollaire son
apparition précoce chez le foetus
démontrent pourtant une fonction
essentielle, maintenue paradoxalement
inchangée au cours de l'évolution.
La précocité ontogénique
correspond au stade de myélinisation des
structures du tronc cérébral alors
que le cortex ne sera myélinisé
qu'à partir de 22 semaines. Le
bâillement et la déglutition ainsi
que les premiers mouvements ventilatoires
apparaissent simultanément et
démontrent, pour l'échographiste,
la maturation fonctionnelle de ces structures.
La fréquence des bâillements
foetaux augmente progressivement pour atteindre
un maximum vers 24 semaines, avec plus de 50
à 60 bâillements par 24 heures,
fréquence physiologique la plus
élevée de toute la vie. On peut
envisager, pour ce bâillement foetal, une
fonction de stimulation de la production des
neurotrophines nécessaires à la
maturation du système nerveux
[13,14].
-
- Bâillements et pandiculations ouvrent
les voies respiratoires et renforcent le tonus
musculaire antigravitationnel. Toute
activité motrice génère un
rétrocontrôle (feedback) adaptatif.
La puissante contraction musculaire du
bâillement et de la pandiculation
génère une information sensorielle
en retour, par les voies de la
sensibilité profonde, projetant sur le
locus coeruleus (boucles sensori-motrices
trijémino-cervico-spinales), la
réticulée ascendante du tronc
cérébral et l'hypothalamus
latéral. La théorie la plus
couramment admise actuellement propose
d'expliquer la fonction physiologique du
bâillement et des pandiculations comme un
rôle de stimulation des systèmes de
vigilance (système noradrénergique
et dopaminergique projetant vers le cortex) et
du tonus musculaire (système
hypothalamique hypocrétinergique),
engendrés par ce
rétrocontrôle. Les états de
veille et de sommeil correspondent à des
activités de circuits neuronaux
spécifiques. Bâillements et
pandiculations seraient alors un
mécanisme adaptatif déconnectant
un type de circuit neuronal et favorisant la
mise en fonction d'un autre réseau
(« reset » ou reconfiguration),
optimisant le changement comportemental
[15,16].
-
- Chaque inspiration profonde, et donc le
bâillement, est suivie d'une augmentation
du débit du liquide
cérébro-spinal au niveau du IVe
ventricule. L'étude de la
cinématique mandibulaire montre que
celle-ci s'associe à l'inspiration pour
modifier la circulation intra crânienne.
Lepp décrit « les mouvements
mandibulaires qui ont pour rôle de mettre
en action, selon les besoins, la pompe
musculo-veineuse ptérygoïdienne qui
fonctionne en haut de l'espace parapharyngien
antérieur ou préstylien. De cette
manière, la pompe paratubaire peut
s'intercaler dans le mécanisme
d'écoulement du sang veineux hors de
l'endocrâne et principalement via le sinus
canalis ovalis. Ainsi, la citerne
ptérygoïdienne, correspondant
à la pars caverna du plexus
ptérygoïdien et elle-même
prolongement extra crânien et
transovalaire du sinus caverneux, joue un
rôle important comme station
intermédaire d'accélération
pour l'écoulement en retour du sang
cérébral ». Le liquide
cérébro-spinal chemine lentement
vers ses aires de résorption vers le
système veineux, essentiellement au
niveau des granulations de Pacchioni,
excroissances leptoméningées
faisant saillies dans les sinus veineux
intra-crâniens. L'ample inspiration et
l'ouverture de bouche maximale, propres au
bâillement, accélèrent le
drainage veineux cérébral et
participeraient d'un mécanisme
d'accélération de la circulation
du liquide cérébro-spinal.
Déjà en 1912, Legendre et
Piéron avaient mis en évidence la
présence d'un facteur hypnogène
s'y accumulant pendant la veille. Cette
recherche de facteurs, humoraux et non
neuronaux, inducteurs du sommeil, vieille de
près de 100 ans, a fait passer en revue
plus de 50 molécules. Actuellement, il
est reconnu qu'une prostaglandine (PGD2) agit
comme une hormone d'activité locale,
produite par les méninges. Sa fixation
sur un récepteur spécifique est
suivie d'une transduction depuis la
leptoméninge vers le parenchyme
cérébral et active la fabrication
d'adénosine, celle-ci ayant un effet
inducteur du sommeil au niveau du noyau VLPO de
l'hypothalamus antérieur.
Bâillements et pandiculations pourraient
induire une accélération de la
clairance de PGD2 et réduire la
propension à l'endormissement
[17-19].
-
- A l'acmé d'un bâillement,
l'ouverture de la trompe d'Eustache aère
la caisse du tympan. Associée à
l'occlusion palpébrale, la baisse de
l'audition ainsi provoquée concourt
à une brève déconnexion
sensorielle de l'environnement du
bâilleur. Lors de pathologies
rhinopharyngées ou de variations
altitudinales (montagne, vols aériens),
le bâillement constitue un moyen
thérapeutique de
reperméabilisation tubaire assurant
l'amélioration des surdités de
transmission, inflammatoires ou fonctionnelles.
Par l'extrême ouverture
pharyngolaryngée, qui caractérise
les bâillements au niveau des voies
aériennes supérieures, les
bâillements participent à une forme
de relaxation de la musculature
pharyngolaryngée. Cette musculature
extrinsèque et intrinsèque du
larynx est particulièrement sensible au
stress émotionnel. Son hypercontraction
est le dénominateur commun de toutes les
formes de dysphonies et aphonies fonctionnelles
ou psychogènes. Le bâillement est
une thérapeutique efficace des surmenages
vocaux, en combattant l'élévation
excessive du larynx et la constriction de la
glotte qui les caractérisent. Ces
surmenages correspondent à un effort
tonico-spastique des muscles du larynx qui
provoque son ascension. Le bâillement
ouvre la glotte à son maximum et
repositionne le larynx au plus bas de sa course,
réduisant l'effort musculaire. Les
professeurs de chant enseignent à leurs
élèves des techniques de
bâillement provoqué, forme de
relaxation laryngée. C'est ainsi qu'il
n'est pas rare de voir des chanteurs
d'opéra bâiller avant d'entrer en
scène [10,21,22].
-
- Bâillements et pandiculations,
acteurs de l'intéroception et du
schéma corporel.
-
- L'école apprend aux enfants, suivant
la tradition aristotélicienne, que nous
disposons de cinq sens. Mais nous
bénéficions des informations d'un
sixième sens, l'intéroception,
englobant la proprioception, c'est à dire
la capacité de percevoir des stimuli
sensoriels internes à notre corps. Le
terme intéroception, ou
somesthésie végétative, a
aussi été proposé par
Sherrington [6]. L'éveil est
essentiel à la conscience. Celle-ci
nécessite la capacité
d'intégrer des informations sensorielles
informant du monde environnant, des sensations
du ressenti de notre état physique
interne, modulées par les émotions
et la mémoire. Les sensations
afférentes en provenance du
système musculo-squelettique convergent
par les voies spinothalamiques et
spinoréticulaires vers le thalamus, les
noyaux du raphé, et de là vers le
cortex sensitif pariétal ascendant. Le
thalamus et le noyau paraventriculaire de
l'hypothalamus participent d'un circuit envoyant
et recevant des influx du locus coeruleus, des
noyaux tubéro-mamillaires, toutes
structures responsables des réflexes
autonomiques. Les nerfs crâniens,
trijumeaux (V), faciaux (VII), pneumogastriques
(X) et les racines cervicales C1-C4, moteurs
et/ou sensitifs, convoient aussi des
somesthésies qui convergent vers le noyau
du tractus solitaire (NTS), interface des
informations périphériques,
nécessaire à la stimulation de la
réticulée ascendante du tronc
cérébral, du locus coeruleus en
particulier, source de l'activation des
systèmes d'éveil
(adrénergique au pont, dopaminergique aux
pédoncules, histaminergique à
l'hypothalamus, cholinergique au noyau
basifrontal de Meynert). Les neurones du NTS
projettent sur le noyau parabrachial qui,
lui-même, projette vers de multiples sites
du tronc cérébral, du
diencéphale, du thalamus. Ces structures
projettent, également, vers le secteur
des sensations viscérales de l'insula, de
l'amygdale et du cortex latéro-frontal,
surtout droit. C'est par ces circuits qu'une
activité homéostatique automatique
sous-corticale inconsciente parvient à
engendrer une représentation consciente.
L'intégration autonomique, somatique et
limbique permet ainsi d'extraire une perception
corporelle d'où peut émerger une
sensation de plaisir. Ainsi, les variations
d'état du tonus musculaire
périphérique antigravitationnel,
transmises par ces voies, déclenchent
bâillements et pandiculations qui, par les
puissantes contractions musculaires, activent
les systèmes de vigilance. Le ressenti de
l'activité musculo-squelettique provoque
une sensation de bien-être, d'acutisation
de la thymie nécessaire à la
représentation du schéma corporel,
lors de l'éveil par exemple, comme le
proposent les théories des
émotions de James-Lange ou de «
somatic marker hypothesis of consciousness
» de Damasio [23-27].
-
- Autres bâillements
-
- L'éthologie décrit plusieurs
autres circonstances de bâillements.
Celles-ci ne sont plus universelles chez tous
les vertébrés mais s'observent
chez ceux vivant en groupes sociaux. Alors que
les bâillements précédemment
décrits témoignent de
l'activité du cerveau « reptilien
», ceux que nous allons passer en revue,
témoignent de l'activité du
système limbique, ou cerveau
paléomammalien.
-
- Le bâillement et la
sexualité
- Deputte a montré que, chez le
Macaque, le mâle dominant, porteur de
canines plus longues que celles de ses
congénères, bâille avant
chaque accouplement. Ce type de
bâillements et ce statut de dominant
disparaissent après castration et sont
restaurés par des injections de
testostérone. On peut interpréter
ce comportement comme une manière
d'afficher son statut au sein du groupe. On le
retrouve assez similaire chez l'hippopotame et
certains poissons agressifs qui bâillent
avant de combattre un conspécifique. Dans
l'espèce humaine, il semble exister, pour
le psychologue néerlandais W. Seuntjens,
une pandiculation féminine
témoignant de l'expression
comportementale d'un désir sexuel comme
de nombreux exemples dans la littérature
et les arts en témoignent
[28,29].
-
- Le bâillement et
l'anxiété
- L'éthologie décrit des
comportements qu'on peut qualifier de
dérivatifs, « displacement
activities » en anglais. Par exemple, des
chimpanzés regroupés dans une cage
trop exiguë, vont bâiller de
façon répétitives comme
pour éviter de s'agresser. Les
vétérinaires remarquent que les
chiens, en attente avant leur consultation ou
pendant leur examen, bâillent de
façon répétitive. Chez
l'homme, certains sportifs bâillent avant
une compétition, avant de sauter en
parachute. Dans toutes ces circonstances de
stress (adrénergique), le
bâillement témoigne de la contre
stimulation du système parasympathique
(ocytocynergique et cholinergique) afin
d'apporter une détente, une
homéostasie comportementale. Les
professeurs de yoga utilisent couramment des
bâillements induits afin d'apprendre
à leurs élèves à se
relaxer [30,31].
-
- La réplication ou « contagion
» du bâillement
-
- De nombreuses attitudes comportementales
sont mimées involontairement. Des
émotions négatives (la peur,
l'angoisse) ou positives (le rire) se
transmettent de façon « contagieuse
». JM Charcot avait inventé le
meilleur terme pour les décrire,
l'échokinésie. La maladie de
Gilles de la Tourette fournit un exemple d'un
excès pathologique de cette
faculté innée que seuls l'Homme et
les grands singes possèdent. Elle
témoigne de l'activité corticale,
notre cerveau néomammalien. Pour
être sensible au bâillement
d'autrui, il est nécessaire d'être
dans un état particulier, peu
stimulé intellectuellement mais
éveillé. Cette transmission est
involontaire tant de la part de
l'émetteur que du receveur. Il n'est pas
nécessaire de connaître l'autre. La
vue n'est pas la modalité exclusive de
déclenchement car les aveugles sont
également sensibles. Même la simple
suggestion par la parole ou la lecture peuvent
déclencher des bâillements.
L'enfant ne devient sensible au bâillement
d'autrui qu'après quatre ans environ. Les
personnes atteintes d'autisme n'y sont pas
sensibles. Les enquêtes en population
générale indiquent qu'environ 75%
de la population est sensible. Des études
comportant des questionnaires de
personnalité ont prouvé que les
personnalités schizoïdes et
alexythymiques étaient insensibles aux
bâillements des autres. Dès les
années 60, des publicitaires avaient
noté que les personnes très
faciles à convaincre étaient les
plus sensibles à la réplication du
bâillement. Tous ces arguments et les
explorations contemporaines d'imagerie
fonctionnelle cérébrale permettent
d'associer susceptibilité à la
réplication du bâillement et
capacité d'empathie d'une part, à
la capacité de posséder ce que les
anglo-saxons nomment « une théorie
de l'esprit » et une capacité
d'introspection d'autre part. Ainsi, plus une
personne est douée d'empathie plus elle
est sensible aux bâillements des autres.
La réplication du bâillement
apparaît donc comme une
spécificité des hominidés,
forme d'empathie instinctive involontaire,
apparue tardivement au cours de
l'évolution, témoignant,
peut-être, d'un avantage sélectif
autorisant une synchronisation efficace des
niveaux de vigilance [32,33].
-
- En conclusion, bâillements et
pandiculations sont des comportements universels
chez les vertébrés, plus proches
d'une stéréotypie
émotionnelle que d'un réflexe.
Comportements d'origine diencéphalique,
transitionnels entre deux états, ils
extériorisent des processus circadiens
d'homéostasie des systèmes
veille-sommeil, faim-satiété. Dans
« son bricolage », l'évolution
les a recyclés pour les adapter aux
régulations émotionnelles chez
quelques vertébrés, et en moyen de
communication, involontaire, non verbale, chez
les hominidés. On peut voir là une
bonne illustration des théories
phénoménologiques du philosophe
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961)
[34,35].
-
-
- Bibliographie
-
- 1°) Le
Vacher de la Feutrie Th, De La Marcellerie.
Dictionnaire de Chirurgie. Chez J. Lacombe,
Paris, 1767;1:162-165.
-
- 2°) Baenninger
R. Some comparative aspects of yawning in
Betta sleepnes; Homo Sapiens; Pantera leo and
Papio sphinx. J.Comp. Psycho.
1987;101:349-354.
-
- 3°) Deputte
BL Revue sur le comportement de
bâillement chez les
vertébrés Bull interne
société française pour
l'étude du comportement
animal.1974;1:26-35
-
- 4°) Giganti
F, Zilli I, Aboudan S, Salzarulo P. Sleep,
sleepiness and yawning. Front Neurol Neurosci.
2010;28:42-46.
-
- 5°) Walusinski
O, Deputte BL Le bâillement :
phylogenèse, éthologie,
nosogénie La Revue Neurologique (Paris)
2004;160(11):1011-1021
-
- 6°) Sherrington
Ch. The integrative action of the nervous
system. New Haven. Yale University Press. 1905.
411 p.
-
- 7°) Collins
GT, Eguibar JR. Neurophamacology of yawning.
Front Neurol Neurosci. 2010;28:90-106.
-
- 8°) Sato-Suzuki
I, Kita I, Oguri M, Arita H Stereotyped
yawning responses induced by electrical and
chemical stimulation of paraventricular nucleus
of the rat Journal of Neurophysiology,
1998;80(5)2765-2775
-
- 9°) Barbizet
J Le bâillement Le Concours
Médical 1958;80(5):537-548
-
- 10°) Laskiewicz
A Yawning with regard to the respiratoty
organs and the ear. Acta Oto laryngologica
(Stockholm) 1953;43(2-3):267-270
-
- 11°) Provine
RR, Tate BC Yawning: no effect of 3-5% CO2,
100% O2, and exercise Behav Neural Biol
1987;48(3):382-93.
-
- 12°) Provine
RR, Hamernik HB, Curchack BB Yawning :
relation to sleeping and stretching in humans.
Ethology 1987;76:152-160
-
- 13°) Walusinski
O. Fetal yawning. Front Neurol Neurosci.
2010;28:32-41.
-
- 14°) Smith
E.O. Yawning: An Evolutionary Perspective.
Human evolution. 1999;14:191-198.
-
- 15°) Baenninger R, Greco M. Some
antecedents and consequences of yawning.
Psychological Record. 1991;41:453-460.
-
- 16°) Lehmann
H. Yawning: a homeostatic reflexe and its
psychological signifance. Bull Menninger Clinic.
1979;43:123-126
-
- 17°) Bouyssou
M, Tricoire J. Experimental detection of a
cervical arousal mechanism of yawning, enhancing
intracerebral (CSF) fluid pressure. J Dental
Res. 1985;64:721
-
- 18°) Lepp
FH. Remarques sur la signification physiologique
du bâillement. Bull Group Int Rech Sci
Stomatol Odontol. 1982.25:251-290.
-
- 19°) Schroth G,
Klose U. Cerebrospinal fluid flow:
Physiology of respiration-related pulsations.
Neuroradiology. 1992;35:10-15.
-
- 20°) Legendre
R, Piéron H. De la
propriété hypnotoxique des humeurs
développée au cours de la veille
prolongée. CR. Soc. Biol. Paris.
1912;72:210-212.
-
- 21°) Xu
JH, Ikeda Y, Komiyama S. Bio-feedback and
the yawning breath pattern in voice therapy: a
clinical trial. Auris Nasus Larynx.
1991;18:67-77.
-
- 22°) Beyaert
CA, Hill JM, Lewis BK, Kaufman MP. Effect on
airway caliber of stimulation of the
hypothalamic locomotor region. J Appl Physiol.
1998;84:1388-1394.
-
- 23°) Walusinski
O. Yawning: Unsuspected avenue for a better
understanding of arousal and interoception. Med
Hypotheses. 2006;67(1):6-10.
-
- 24°) James W. Writings 1878-1899. New
York. The Library of America. 1212 p.
-
- 25°) Damasio AR. Somatic markers and
the guidance of behavior: theory and preliminary
testing. In: Levin HS et al., Ed. In Frontal
lobe function and dysfunction. Oxford University
Press. 1991:217&endash;229
-
- 26°) Cameron OG. Visceral Sensory
Neuroscience, Interoception. New York. Oxford
University Press. 2002. 359 p.
-
- 27°) Cardinali DP, Pandi-Perumal SR.
Neuroendocrine Correlates of Sleep/Walkfulness.
New York. Springer. 2006. 627p.
-
- 28°) Seuntjens
W. The hidden sexuality of the yawn and the
future of chasmology. Front Neurol Neurosci.
2010;28:55-62.
-
- 29°) DeputteBL,
Johnson J, Hempel M, Scheffler G Behavioral
effects of an antiandrogen in adult male rhesus
Macaques. Hormones and behavior
1994;28:155-164.
-
- 30°) Maestripieri
D, Schino G, Aureli F, Troisi P. A modest
proposal: displacement activities as an
indicator of emotions in primates. Anim Behav
1992;44:967-979
-
- 31°) Perez-Christiaens N. Une
thérapeutique naturelle: le
bâillement. Paris. Chiron ed. 1980. 102
p.
-
- 32°) Nahab
FB, Hattori N, Saad ZS, Hallett M Contagious
yawning and the frontal lobe: An fMRI study
Human Brain Mapping 2009;30:1744-1751
-
- 33°) Senju
A. Developmental and comparative
perspectives of contagious yawning. Front Neurol
Neurosci. 2010;28:113-119.
-
- 34°) Merleau-Ponty M.
Phénoménologie de la perception:
thèse pour le doctorat ès-lettres
présentée à la
Faculté des lettres de
l'Université de Paris. Gallimard Ed.
1945.531 p.
-
- 35°) Guggisberg
AG, Mathis J et al. Why do we yawn ?
Neurosci Biobehav Rev 2010;34:1267-1276
|