-
- Dans les manuels de Physiologie Humaine et
Vétérinaire les plus importants,
la question « BAILLEMENT » est
à peine effleurée (cf. LUTTENBERGER,
1975). Sur sa signification, il est vrai que -
comme nous l'ont personnellement
communiqué deux Physiologistes connus -
on a, de temps à autre, « ohne
wirklich Befunde beizubringen, allerhand
phantasiert » (M. SCHNEIDER, 1950), «
doch weiss im Grunde eigentlich niemand, welche
Aufgabe es zu erfüllen hat » (OPITZ,
1950). Le neurologiste français J.
BARBIZET
(1958 a, b) a eu donc raison, lorsqu'il a
exprimé sur le bâillement l'opinion
suivante: - d'ailleurs partagée par
URBA-HOLMGREN
et al. (1977):
-
- Qui ne bâille enfant, homme ou
vieillard ? Et pourtant, celui qui, curieux d'en
savoir plus que la définition
donnée par les dictionnaires : «
profonde inspiration involontaire avec la bouche
largement ouverte », feuilletera les
manuels de physiologie ou de psychologie
contemporains à la recherche d'une
étude complète de cette
activité psychomotrice si courante, le
fera en vain (1958 a, p. 537).
-
- Encore plus sceptique paraît
être le chirurgien parisien Léon
DUFOURMENTEL (1946). Il écrit dans son
remarquable «Essai sur l'Art et la
Chirurgie »
-
- On en pourrait dire autant sur
l'interprétation de beaucoup de troubles:
quel malaise, quel besoin de l'organisme exprime
le bâillement ? Essayer de comprendre ce
réflexe ne suffit-il pas pour mettre
l'esprit en face des plus redoutables
problèmes de finalité, de
causalité ?... Précisons, car
c'est peu connu. » (pp. 215, 217),
-
- En fait, le problème ne parait pas
encore être résolu. Même
PEIPER
(1956), un des chercheurs les plus
éminents sur le bâillement,
n'aboutit qu'à cette réflexion
lapidaire : « Der Zweck des Gähnens
ist bis heute zweifelhaft » (p. 346),
-
- Malgré toutes ces opinions
négatives et même
décourageantes, nous voulons penser que
l'obscurité qui entoure ce
phénomène est déjà
un peu éclaircie par les observations
anatomo-physiologiques qui
précèdent. Si l'on veut le
comprendre réellement, il ne faut pas le
considérer comme un processus partiel,
limité à la seule « bouche
ouverte », mais il faut au contraire
inclure dans ce phénomène tous les
autres processus qui accompagnent si
fréquemment le bâillement.
-
- A cet égard, c'est surtout aux
neurologistes et psychiatres que nous devons de
nouvelles et importantes connaissances.
HAUPTMANN
(1920), MAYER
(1921) et tout particulièrement DUMPERT
(1921) ont clairement reconnu que
l'étirement de la musculature corporelle
volontaire fait partie intégralement du
tableau physiologique.
-
- Dans maints travaux physiologiques,
l'attention est attirée sur la
parenté de ces deux
phénomènes distincts. Ainsi,
LEWY (1921)
nous indique qu'il a trouvé la
description la plus exhaustive du
bâillement dans le Manuel de Physiologie
de LANDOIS
et ROSEMANN, où se trouve
mentionnée déjà sa
parenté avec l'étirement (cf. p.
162). De même, le physiologiste suisse
ABDERHALDEN (1946) fait remarquer: «Der
Gähnakt und das damit haufig verbundene
Räkeln... » (p. 146) (cf. ENGELHARDT,
1941; WALDYOGEL,
1945). Et finalement encore une grande voix
américaine : « The externe extension
of the muscles of the jaw is akin to the
stretching of the extremities.., bodystretching
is often accompanied or followed by yawning
» (Ashley MONTAGU,
1962, p. 732).
-
- Bâillement et étirement se
trouvent étroitement associés et
ne doivent donc pas être traités
séparément. Les deux
phénomènes ont d'ailleurs, dans la
vie de l'individu, formé originellement
une unité qui s'est dissociée
seulement chez l'adulte en ses deux composants
principaux. Le couple étirement
bâillement se manifeste en effet
très clairement surtout chez les
nourrissons et les très petits enfants (=
« sich dehnen, sich rekeln, sich rikeln
»). Dans les premiers mois et années
de la vie, la totalité du réflexe
bâillement-étirement est
conservée et déjà
observable chez les prématurés
(DUMPERT,
1921; PEIPER,
1932, 1956), « at birth » (BLANTON,
1917; LEWY,
1921; CRAMER,
1924; MOORE,
1942), et selon CHRISTOFFEL
(1951) déjà in utero. Il est
d'ailleurs instructif d'observer, un peu avant
ou pendant le réveil, les mouvements
musculaires et articulaires qui commencent
lentement, et intéressent successivement
les bras et les jambes, pour finalement englober
tout le corps jusqu'aux bouts des doigts et des
orteils dans ce bio-phénomène
complexe.
-
- GAMPER
(1926) a fixé dans un film tout ce jeu
musculaire chez un enfant
arhinencéphalique, et l'a
désigné comme «
Rekel-Bewegungen ». Plus tard, C. et H.
SELBACH (1953)
parlent d'un « Rekel-Syndrom ».
LANDAUER (1920), LEWY (1921), Orro (1935) et
SEELIGMULLER (1940) ont aussi consacré
des études au « sich rekeln »
ou au « sich rakeln ». OTTO remarque
avec raison que « sich Kinder nicht rekeln,
sondern sich durchspannen... » (p. 305).
L'accent est mis par Otto sur le mot «
Durchspannung » (cf. HEINROTH, 1929, P.
336). Plus tard, le psychiatre bâlois
CHRISTOFFEL (1951) s'intéresse
extensivement au sujet « Gähnen und
Sich-Dehnen (Räkeln) »... « Em
Gähnen und Räkeln (wortverwandt mit
recken) von Brustkorb, Nacken und Armen »,
dit CHRISTOFFEL, « bilden eine
unwillkurliche Bewegungseinheir! » (p.
514). Dans le « Schweizerischen Idiotikon
», nous trouvons pour « räkeln
» les mots « rangen, ranggen, ranken
» et d'autres synonymes, qui ont trait tous
au « Sichrecken-und-Strecken » qui
accompagne le bâillement. Dans le Tome VI
(1909), on lit: « Geinen und ranggen. Er
geinet lut und rangget (ranket) sich » (p.
1115).
-
- Déjà bien avant, MUMFORD
(1897) parlait à ce sujet de «
mouvements de pagaie » The whole of this
movement (of a paddle) persists throughout life
associated with the act of yawning, which act is
thus found to be one of the most fundamental
limb movements in the human being (p. 298) (cf.
aussi PREYER, 1912; CHRISTOFFEL, 1951; PEIPER,
1956).
-
- Nous sommes par ailleurs tous les jours
témoins de ce phénomène
physiologique chez nos animaux domestiques, par
exmple le chien et le chat. On peut y suivre
tout le déroulement de la série de
mouvements, dont nous trouvons l'observation
détaillée dans LEWY, OTTO et
TEMBROCK (1964). On observe le bâillement
et l'étirement chez tous les
Vertébrés, et cela du Poisson
jusqu'à l'Homme (HEDIGER, 1955), comme
l'indiquent déjà entre autres
TRAUTMANN (1901) et DUMPERT, mais surtout les
recherches de HEMPELMANN (1926), HEINROTH (1924,
1929), HEDIGER, TEMBROCK, GUNDLACH (1968) et
LUTTENBERGER.
-
- De toutes façons, il est toujours
impressionnant d'observer comment par exemple
les petits poulets et les oiseaux ouvrent
largement le bec, combinant cet acte avec des
mouvements des pattes et des ailes. C'est
probablement par un besoin analogue que l'on
doit comprendre le chant du coq avec agitation
de ses ailes. Tous ces mouvements musculaires
semblent obéir à la même
nécessité physiologique (cf.
TRAUTMANN) que
HEINROTH (1929) a caractérisée par
le mot de «Sichflugeln» (oies,
canards) et GUNDLACH par celui de «
Sichschütteln » (sanglier). Il
paraît donc très vraisemblable que
dans la série animale l'acte de
bâillement et d'étirement
s'effectue dans les mêmes conditions et
sous les mêmes influences que chez
l'Homme. Tout comme C. et H. SELBACH,
le spécialiste de psychologie animale
TEMBROCK croit pouvoir réunir « die
Streck-und-Gähnbewegungen vielleicht als
Räkelsyndrom » (p. 170) (cf.
LUTTENBERGER). Nous trouvons de même
d'autres détails dans l'excellente
thèse de TRAUTMANN, soutenue à
Bordeaux (1901), qui nous fournit une
représentation et un historique
très documentés de tout le
complexe du bâillement et de
l'étirement chez l'Homme et les animaux
en remontant même jusqu'à
l'époque d'HIPPOCRATE.
-
- Il est donc conforme à la
réalité physiologique de parler de
«GAHNRECK-REFLEX » (DUMPERT, GAMPER),
de « GAHN-STRECK-AKT » (LEWY), de
« GÄHNEN und SICHRÄKELN »
(SEELIGMULLER), de « YAWN-STRETCH-ACT
» (HEUSNER, 1946), de «
GÄHN-RAKELSYNKINESE » ou de «
SYNKINETISCHE EINHEIT DES
GÄHN-RäKELAUTOMATISMUS »
(CHRISTOFFEL), de « STRETCHING YAWNING
SYNDROM » (GESSA et al., 1967), ou
simplement d'un « REKEL- ou
RÄKEL-SYNDROM » (C. et H. SELBACH,
1953; TEMBROCK13). Même quand ce geste
banal n'est pas complètement
développé et tendrait ainsi
à avorter, il faut le considérer
quand même comme une entité
physiologique.
-
- Puisqu'il n'existe pas un terme
adéquat, ambivalent, dans les langues
vivantes actuelles, nous ferons volontiers appel
à une remarque du Pr. G. BELTRAMI, car,
selon l'éminent maître marseillais,
il doit exister une expression qui en un seul
mot comprend tout le déroulement du grand
réflexe bâillement
étirement: c'est le mot «
Pandiculation » (aujourd'hui connu
seulement d'une faible élite). Cette
expression, rappelée par G. BELTRAMI, a
été pour nous un mot-clef
révélateur. Tout d'abord, citons
ce passage d'un auteur italien, INSABATO (1928),
que nous donnons ici littéralement:
-
- La lingua Italiana non ha un vocabolo
proprio per significare quello stendimento delle
membra che si verifica spesso dopo il risveglio.
I latini hanno pandiculatio e pandiculari, i
quali vocaboli, come quello greco scofdinasmai,
significano propriamente extendere mcm bra cum
oscitatio'ae, ut faciunt qui e .romno surgunt la
quale definizione dinota che già
losservazione profana aveva abbinato due
fenomeni realmente associati dopo il risveglio,
e cioè to sbadiglio e gli stiramenti (p.
125).
-
- Il résulte de cette remarque du
neurologue de Bari, que la langue italienne,
elle aussi, se prive d'une expression qui
englobe en un seul mot bâillement et
étirement. Il est intéressant de
noter avec INSABATO qu'outre le mot latin «
pandiculatio », existe encore un vocable
grec qui, lui aussi, réunit
bâillement et étirement. Nous nous
occuperons d'abord du concept «pandiculatio
», ensuite du terme « axoptva'o/ust
» et ajouterons pour finir quelques
remarques d'ordre artistique.
-
-
- PANDICULATIO (Pandiculation) : Le mot
pandiculation ou pendiculation figure dans la
langue française déjà dans
les écrits d'Ambroise PARE (1560) (voir
MALGAIGNE, 1841, III, Chap. XVII, p. 115) et de
Laurent J0UBERT (1587, Chap. II, p. 12). «
L'Encyclopédie ou Dictionnaire
Raisonné des Sciences etc. (T. 11,
Neufchâtel, 1765) donne la
définition suivante : Pandiculation...
c'est un violent mouvement des solides qui
accompagne ordinairement l'action du
bâillement, & qu'on appelle aussi
autrement extension ». De même, dans
la première édition du Petit
Larousse (1856) se trouve mentionné ce
mot et précisément avec une
explication similaire Pandiculation : Action
d'étendre les bras en haut et d'allonger
les jambes en bâillant ».
-
- On rencontre d'ailleurs une formulation
semblable dans presque tous les ouvrages
encyclopédiques et dans les grands
dictionnaires de la langue française
jusqu'aux éditions les plus modernes de
LITTRE (1957, T. V) ou du Grand Larousse (1976,
T. 5).
-
- Nous avons évidemment consulté
aussi des dictionnaires anglais et espagnols
(EMERY et BREWSTER, 1927, DORLAND, 1965,
CARDENAL, 1952 et le Compact Edition of the
Oxford English Dictionary , 1971).
-
- A titre d'exemples, voici les
interprétations du DORLAND (
pandiculation The act of stretching and yawning
et celle de l' OXFORD DICTIONARY Pandiculation :
An instinctive movement, consisting in the
extension of the legs, the raising and
stretching of the arms, and the throwing back of
the head and trunk, accompanied by yawning...
sometimes loosely used for yawning).
-
- Des informations intéressantes sont
fournies également par les grands
glossaires latins. L'expression pandiculatio y
est invariablement conçue dans le sens
d'une association quasi- symbiotique du
bâillement et de l'étirement.
-
- Nous citerons quelques paradigmes
-
- - BALBUS DE JANUA (1506, 1re éd.,
Mayence, 1460, créé vers 1286) cf.
Du CANOE, 1734, T. V, p. 91) :
«PANDICULARIUS, Joanni de Janua, Homo hians
& toto corpore oscitans, a pando
is»
- - HOLSTENIUS (1759, Regula Isaiae Abbatis
§ XXI) : «Ne pandicoleris inter
homines, & si acciderit tibi pandiculatio.
ne hies ore tuo, & deseret te»
- - FESTUS
(1880, p. 220, 1re éd. Milan, 1471) :
«Pandiculari dicuntur, qui toto corpore
oscitantes extenduntur, eo quod pandi fiunt
»
- - FORCELLINI et al. (1940, T. III, p. 557,
1re éd., Padoue l77l :
«PANDICULARIO, brachiorum extensio cum
oscitatione»
- - WALDE et HOFMANN (1954, T. 11, p 244, 1re
éd. Heidelberg, 1938) «PANDICULOR.
dehne, recke mich beim Gähnen»
-
- On trouve encore dans des publications plus
anciennes, mais parfois dans de plus
récentes, des définitions sur le
terme « pandiculatio »
-
- Ainsi par exemple chez AVICENNE (980-1037)
(cf. dans l'ordre chronologique: BULWER (1649,
II, IX, p 225); SYLVIUS (de le Boé),
1671, pp. 495, 601); BEUTLER (1685); HERMANN
(1720); DE G0RTER (1736, LXXIV, pp. 291/292);
GUNZIUS (1738, p. 37); BOERHAAVE (1744, 1746,
§ 638); v. HALLER (1755); BUGGE (1872):
BERTOLOTTI (1905) ; MOORE (1942); HEUSNER
(1946); CHRISTOFEL(1951).
-
- DE BOERHAAVE (1744, T. V/1, DCXXXVIII
(Oscitatio), p. 243, ligne 7 et e) une phrase
mérite certainement d'être
citée : «In altero stadio omnes fere
totius corporis musculi successive
expanduntur... pandiculatio fere semper coum
oscitatione conjungitur»
-
- Finalement, il est probable que la
référence la plus ancienne
où apparait le mot pandiculatio pour la
première fois est une des comédies
les plus connues de PLAUTE (vers 254 - 184 av.
J.C.), LES MENECHMES, où ce poète
comique latin s'exprime ainsi: MA. Ut
pandiculans oscitatur (voir: PLANTUS, 1899,
Menaechmi, V, 2, 80).
-
- SKORDINEMA (xopSivsiga ou
>Xop&vLag0s) : Alors que le terme
pandiculatio apparaît assez
fréquemment dans la littérature,
on ne peut certes en dire autant de son
homologue grec axopéiv'igcs. On ne
rencontre ce mot que dans les travaux modernes
d'lNSABATO (1928) et de CHRISTOFFEL (1951);mais
ce dernier admet qu'il ignorait ce mot.
-
- Malgré cela nos recherches
bibliographiques ont été
fructueuses. Le mot axopI,'siuo se trouve
déjà dans HIPPOCRATE et dans
GALIEN. Un document de Fosius (1588) nous
éclaire à ce sujet axopIvn/La est
paridiculatio totius corpores & cum
oscitatione extensio. Sic enim axopIi's1pcs
exponitur, ,SLO'.raaLs tLrTrx'Xaa,L7lS magna
corporis cum oscitatione extensio,
pandiculationem Latini dicunt. Et Galenus in
Exeg. axoptra'aL apud Hippocratem exponit
sarelvreéaL Xe1 ,za'Aur0, fLera xagfl,
hoc est extendi praecipueque cum oscitatione ...
Ubi scribit Galenus
csxopéoi'ca/Aóv tale quoddam esse
symptoma in omnibus musculis, quale in
oscitatione musculis inferioris maxillae
contingit... (p- 574).
-
- Les grandes traductions de KÜHN
(GALIEN, grec-latin) et LITTRE (HIPPOCRATE,
grec-français) appellent les remarques
suivantes: chez KUHN (1829) apparaissent les
deux vocables axopSii'nua et pandiculatio (n)
dans le T. 17/2, pp. 244-245; chez LITTRE dans
le T. 5, pp. 100-101 et 314-315 (1846) et dans
le T. 8, pp. 486487 (1853).
-
- Cela montre que le terme grec et le terme
latin doivent être pris comme synonymes :
voir à ce sujet en plus: DIETERICHIUS
(1661, p. 1395); LABBE (1679, p. 129);
SCHREVELIUS (1782, pp. 127 et 766, 1re
éd. Leyde, 1654); PHOTIUS (1823, p. 453,
1re éd. Leipzig, 1808); P0LLUX (1846. V,
p. 229/168 et 1900, V. p. 305/ 168, 1re
éd. Venise, 1502) : PAPE (1875, T. II, p.
887); STEPHANUS (1954, T. VIII, p. 434, 1re
éd. Paris, 1572); HESYCHIUS (1965, T. IV,
p. 49, 1re éd. Venise, 1514).
-
- Dans BOISACQ (1916), nous trouvons la
remarque axopSu'aaeas » = s'étirer
en bâillant (p. 878). Et pour terminer,
voici une définition tirée du
remarquable Greek-English-Lexicon de LIDDELL et
SCOTT (1973) : axopi'e'caal, stretch one's
limbs, yawn, gape, properly of men or dogs half
roused from sleep » (p. 1614).
-
- REMARQUES D'ORDRE ARTISTIQUE
-
- a) Dans le domaine artistique plastique, on
trouve représentées le plus
souvent des phases partielles de notre grand
réflexe
bâillement-étirement, et surtout le
bâillement proprement dit.
-
- Ainsi BARBIZET (1958 a) met en
épigraphe l'image d'un homme
bâillant au maximum, « le
Bâilleur » de Pieter BREUGHEL (vers
1525/30 - 1569).
-
- Dans une oeuvre de Carl SPITZWEG
(1808-1885), on voit le bâillement, mais
aussi une phase d'étirement des bras en
trois images différentes (= «
Stallknecht », « Schildwache »,
« Einsiedler »). Egalement chez Edgar
DEGAS (1834-1917), une de ses « Repasseuses
» bâille, avec le bras gauche
étiré.
-
- Cependant, les représentations
artistiques de l'ensemble Bâillement-
Etirement nous semblent très rares.
Inspiré par le travail de C. et H.
SELBACH (1953), nous avons pu tout de même
trouver deux tableaux où en fait
apparaît l'ensemble classique du
phénomène. Les artistes y montrent
chacun un personnage en train de bâiller,
dans une position d'extension
considérable, l'un sur les orteils,
l'autre en position assise, avec hyperextension
du dos, les bras étant largement
étendus en général, les
poings fermés ou ouverts et les orteils
écartés. Voir: Honoré
DAUMIER (1808-1879), planche 304, « Sire!
Lisbonne est prise... », in : « La
Caricature », N° 145, éd. du 15
août 1833); voir aussi Wilhelm BUSCH
(1832-1908), « Die Fromme Helene »,
Chap. III, « Vetter Franz », Fig. 4,
1872. Ces images sont reproduites ici.
- b) D'autre part, le mime bien connu Marcel
MARCEAU (1923-2007), au cours de ses
tournées, a toujours l'habitude de
figurer tout le phénomène
physiologique du bâillement et de
l'étirement. Il le fait pour ainsi dire
par instinct, et notamment dans sa
représentation théâtrale
« Les Porteurs d'Eau » (avec Gilles
SEGAL) (Observation et interview personnelles,
Hambourg, 1954).
-
- En résumé, nous
espérons que les considérations
qui précèdent pourront contribuer
à faire mieux comprendre l'ensemble du
réflexe, et notamment les
corrélations « symbiotiques »
de ses phases. Il s'agit en effet
indubitablement de deux activités
physiologiques associées, comme le
prouvent aussi les observations de nos Anciens
depuis l'Antiquité, qui, eux, avaient
l'avantage de se servir d'un mot unique, en grec
ou en latin, pour exprimer l'ensemble du
phénomène; tandis que nous,
aujourd'hui, en général, avons
besoin pour cela de deux expressions distinctes,
le bâillement et l'étirement. On ne
peut que regretter que les deux mots «
ffxopIvnrn » et « pandiculatio »
paraissent définitivement tombés
en désuétude.
-
- En fait, et pire encore, nous sommes
aujourd'hui privés de l'observation
«clinique » de l'ensemble du
réflexe, par suite des interdits de la
bienséance que nous impose la
civilisation moderne.
-
- Il s'agit pourtant là d'un
phénomène physiologique
répondant certainement à une
utilité, et le fait d'avoir à le
« contrôler » -
c'est-à-dire à le contrarier - est
très probablement nuisible à la
santé de l'individu. N.B. : Tout comme le
sont, chez le Chien ou le Chat, les «
interdictions » expérimentales des
réflexes conditionnés de PAVLOV...
Le bâillement est en effet aujourd'hui
permis seulement dans le « stillen
Kammerlein » (SEELIGMULLER, 1940) (cf.
aussi DUMPERT, 1921, p. 94; OTTO, 1935; BURGER,
1953; P.J.V., 1955; KIRCH, 1981). Les animaux
à cet égard sont plus libres et
vivent plus naturellement que nous.
-
- Pour en revenir à la question de
l'interprétation physiologique de ces
phénomènes, et du bâillement
en particulier, nous rappellerons à
nouveau qu'il s'agit d'un problème
essentiellement lié à
l'hémodynamique veineuse.
-
- Tous ces mécanismes d'impulsion
musculo-veineuse auxiliaire ont certainement
pour tâche de remettre en mouvement la
circulation veineuse ralentie ou stagnante.
D'après BRAUNE, ils travaillent comme
« cours d'aspiration et de refoulement
» qui selon les besoins sont mis en action
successivement, à la manière d'une
« tonischen Welle, die in rostrokaudaler
Richtung über den ganzen Körper
hinwegläuft, Beuger und Strecker mehr oder
weniger gleichzeitig erfassend »
(WALDVOGEL, 1945, p. 329).
-
- Il est vrai que E. ZUCKERKAUDL (1876) et
BRAUNE (1884) ont déjà inclus dans
leurs concepts l'activité
hémodynamique de ces machines de pompage
musculo-veineuses et notamment du plexus
ptérygoidien, mais curieusement ils ne
l'ont pas encore mise en relation avec le
bâillement.
-
- C'est d'autant plus surpenant que BRAUNE,
sur la base de deux figures instructives a
essayé d'expliquer les effets moteurs
auxiliaires de ces mouvements
d'étirement. Voici d'ailleurs son propre
texte
-
- Es ist also anzunehmen, dass derartige
Streckunen und Dehnungen des Rumpfes und der
Extremitäten beschleunigend auf die durch
hokkendes Sitzen gestörte Venenzirkulation
wirken, und zwar neben der Wirkung der Muskeln
und Faszïen durch die ailgemeine Spannung
der grossen Venenschläuche. Es braucht wohi
nicht besonders erwàhnt zu werden, dass
natürlich bei der einen Körperstellung
neben der Venenanspannung eine
Inspirationsstellung des Thorax auftritt, die
ihren Einfluss auf die Venenzirkulation
ebenfalls geltend macht; dass bei der anderen
Stellung mit erschlafftem Venensystem der Thorax
sich in Expirationsstellun befinder (1875. Texte
et Tables I et II).
-
- Nous pensons aussi qu'au point de vue
fonctionnel, les mouvements spontanés
survenant pendant le sommeil, ainsi que le
croisement instinctif des jambes et d'autres
mouvements encore répondent
également à des
nécessités hémodynamiques.
Il est d'ailleurs bien surprenant que LANDAUER
lui aussi (1920) dans un travail spécial
sur le problème de l'étirement, ne
mentionne nulle part ses relations avec le
bâillement, ni avec l'hémodynamique
veineuse.
-
- C'est seulement et pour la première
fois DUMPERT (1921) qui nous a
révélé par ses observations
remarquables (faites aussi sur lui-même !)
les corrélations hémodynamiques
entre le bâillement et l'étirement
et spécialement insisté sur le
rôle des plexus veineux
rétromaxillaires. Ses conceptions ont eu
d'importantes répercussions dans la
littérature : Voir notamment ENGELHARDT
(1941). GAMPER (1926) écrit à
propos de DUMPERT: « Seine Deutung des
Gähnaktes vervolgt zweifellos die richtige
Bahn... sie ist voll anzuerkennen » (pp.
79/80). Le neurochirurgien américain
HEUSNER (1946) écrit que « Of all
hypotheses advanced that of DUMPERT (1921) is by
far the most elaborate » (p. 164). Ses
raisonnements sont d'ailleurs tellement
séduisants que nous croyons devoir en
citer des extraits
-
- « Die Hauptkomponenren unseres grossen
Gähn-Reck-Reflexes sind also das Recken der
Körpermuskularur, die riefe
lnspirarionsbewegung und die Gähnstellung
de Mutides ( Nicht die tiefe Inspiration ist das
Wesentliche des Gàähnaktes, sondern
das Recken (HAUPTMANN, 1920, p. 781). Sie deuten
unmissverständlich auf einen
physiologischen Hauptzweck hin. Seit BRAUNE
wissen wir, dass durch das Recken einer der
machtigsten Faktoren zut Ruckbeforderung des
Venenblutes zum Herzen in Aktion gesetzt wird.
Auch mit dem Offnen des Mundes ist em Recken der
KauZungen- und Rachenmuskulatur verbunden,
wodurch auf die tiefen Venengefiechte, besonders
in der Flugelgaumengrube, die BEAUINESChe
Wirkung erzieit wird. (« Gahnen ist em auf
Brustkorb, Pharynx, Larynx, Gesicht reduziertes
Recken HAUPTMANN, 1920,, p. 781). Die Analyse
der einzeinen Komponenten unseres grossen
Reflexes weist also darauf hin, dass seine
Hauptwirkung auf einer Förderung des
venàsen Blutkreislaufes, bescsnders einer
besseren Durchbiutung des Gehirns beruht (der
stockende venöse Abfluss kommt, namentlich
wenn die Arme mit gereckt werden, wieder besser
in Gang, HAUPTMANN, 1920, p. 781). Durch die
Gähninspiration wird das venöse Blut
aus dem Gehirn abgesaugt, wobei Reckbewegungen
der Kopf- und Haismuskulatur diesen Vorgang noch
weiter fördern. Der Gähn-ReckReflex
ist em primärer Automatismus der einen
elementaren, indirekten Gefässreflex
darsteht und dem das ganze Blutgefasssystem
subordiniert ist. Er passt sich immer den
jeweiligen Bedürfnissen des Körpers
an. Man gahnt bzw. reckt sich immer dann, wenn
einerseits eine mangelhafte Hirndurchblutung
besteht, die sich mit dem Wachbewustsein bzw.
mit der Aufmerksamkeit nicht verträgt und
wenn andererseits der Organismus gegen die
Beeinträchtigung des Bewustseins reagiert.
Das Gähnen und das SichRecken ist also eine
zweckmässige Reaktion, die reflektorisch
eine Umsteilung des Blutkreislaufes,
insbesondere eine bessere Durchbiutung des
Gehirns herbeizuführen sucht. Dieser ais
Gefàssrefiex zu deutende grosse
GähnReck-Reflex stellt sich besonders am
Morgen, kurz vor oder während des
Aufstehens em, wenn die grosse Umsrellung des
Blutkreislaufes beim Ubergang vom Schlaf- zum
Wachzustand notwendig wird. Dabei erfolgen die
Gähn- und Reckbewegungen nicht etwa
simultan, sondern vielmehr sukzessive. Das
Gähnen allein betrachtet, stellt nur die
Abortivform eines grossen Gàhn-Reck.
Reflexes dar, weiches aber wegen semer
besonderen Wirkung auf die Gehirndurchblutung
gerade für den Erwachsenen charakreristisch
ist (DUMPERT, 1921 pp. 82-95).
-
- Ces conceptions de DUMPERT sur la nature du
bâillement sont basées, c'est
étonnant, sur de simples
hypothèses de travail. Bien qu'il ne
dispose pas de données ou de
résultats de recherche scientifique
authentiques, il a pu, de façon purement
empirique, tirer de ses observations des
conclusions apparemment pertinentes. Il
appartient à coup sûr, à
côté de HAUPTMANN et de MAYER, aux
premiers auteurs qui ont rassemblé
bâillement et étirement, et qui ont
pour la première fois lié
fonctionnellement au bâillement proprement
dit, les plexus veineux rétromaxillaires,
faisant ressortir surtout la signification
physiologique de l'hémodynamique
veineuse.
-
- D'autres auteurs ont, eux aussi, fait
entrevoir ces relations, mais de façon
beaucoup plus vague et
indéterminée que les
démonstrations convaincantes de
DUMPERT.
-
- En tout cas nous pouvons, par nos
constatations anatomiques et physiologiques,
confirmer les appréciations de DUMPERT,
et nous faisons suivre ci-après notre
propre conception de la signification
physiologique du phénomène
bâillement-étirement :
-
- RESUME
-
- Il faut tout d'abord se convaincre que dans
l'automatisme bâillement étirement,
il s'agit avant tout d'un
phénomène d'hémodynamique
veineuse. Le bâillement proprement dit,
c'est-à-dire le mouvement instinctif et
involontaire d'ouverture progressive de la
bouche jusqu'à son maximum possible ne
représente fréquemment qu'une
phase initiale partielle d'un ensemble d'actes
automatiques ( échappant à la
volonté) qui constitue en
réalité une syncinèse de
bâillement et d'étirement beaucoup
plus compliquée et étendue.
-
- Au cours du déroulement de cet acte
involontaire, l'ensemble de la musculature
squelettique, et par degrés successifs,
vient aussi s'inclure en effet (mais pas
toujours) dans ce processus biologique. Ces
contractions et relâchements musculaires
sont capables d'exercer mécaniquement un
effet accélérateur relativement
considérable sur la circulation veineuse,
de sorte qu'on pourrait parler en fait de
l'existence d'un « réflexe
élémentaire indirect vasculaire
» gouverné par le
névraxe.
-
- Par ce mécanisme s'instaurent des
effets de pompage musculo-veineux
s'exerçant en direction rostro-caudale
par mise en action successive de tous ses «
cours veineux périphériques »
qui se trouvent incorporés tant dans le
système musculaire masticateur que dans
le système musculaire locomoteur tout
d'abord la pompe musculo-veineuse
parapharyngienne enchâssée dans la
région paratubaire, qui est mise en
mouvement par la cinématique mandibulaire
et surtout par le muscle
ptérygoïdien latéral. Ensuite
suivent tous les autres dispositifs
musculo-veineux auxiliaires répartis dans
l'économie, qui sont mis en action par
les divers mouvements d'étirement selon
un ordre bien déterminé et
préétabli. Cette syncinèse
musculo-veineuse produit une impulsion
énergique sur le sang veineux ralenti ou
en stagnation, et induit ainsi une
accélération du courant veineux
dans son retour vers le cour.
-
- On comprend que par l'acte de
bâillement et d'étirement, ce n'est
pas seulement la circulation de retour vers le
cour qui est activée, mais aussi
l'écoulement du sang veineux hors du
crâne, et avec lui toute la circulation
cérébrale.
-
- Ainsi, les mouvements mandibulaires, par
exemple lors de la mastication ou en parlant,
etc. (chez l'homme les muscles masticateurs sont
devenus aussi des « muscles de la parole
» SCHIEFFERDECKER, 1919; PUFF, 1968; cf.
aussi BULWER, 1649) accomplissent
déjà normalement un travail
hémodynamique analogue à celui de
l'appareil de locomotion. On conçoit donc
qu'en cas de ralentissement ou de stagnation, ou
chaque fois que le sujet passe d'un état
statique à un état dynamique,
alors tous ces « coeurs
périphériques »
intégrés dans le système
ubiquitaire de pompes aspirantes et foulantes
musculo-veineuses pourront déclencher par
voie réflexe et par paliers successifs
une activité hémodynamique
considérable. La signification
physiologique des grands automatismes de
bâillement et d'étirement
paraît donc être destinée
à faire cesser rapidement et efficacement
non seulement une stagnation trop
prolongée du courant veineux, mais aussi
à assurer le retour veineux et
précisément à partir de la
circulation intracrânienne.
-
- En ce qui concerne spécialement le
bâillement proprement dit, c'est moins la
respiration profonde que les mouvements
mandibulaires qui ont le rôle de mettre en
action selon les besoins la pompe
musculo-veineuse ptérygoïdienne qui
fonctionne en haut de l'espace parapharyngien
antérieur ou préstylien. De cette
manière, la pompe paratubaire peut
s'intercaler dans le mécanisme
d'écoulement du sang veineux hors de
l'endocrâne et principalement via le sinus
canalis ovalis.
-
- Ainsi la citerne ptérygoïdienne,
correspondant à la pars cavernosa du
plexus ptérygoïdien et
elle-même prolongement extracrânien
et transovalaire du sinus caverneux, joue un
rôle important comme station
intermédiaire
d'accélération pour
l'écoulement de retour au cour du sang
cérébral, pour ainsi dire comme
voie de suppléance à
côté de la voie principale
d'écoulement de sortie par les veines
jugulaires. En d'autres termes, on pourrait avec
raison considérer la cinématique
mandibulaire conjointement avec le muscle
ptérygoïdien latéral comme un
veino-moteur, d'autant plus que les deux
ensemble représentent en fait le
démarreur proprement dit pour la mise en
marche de l'action de pompage musculo-veineux
alterné de la pars cavernosa du plexus
ptérygoïdien. Elle est
évidemment particulièrement
efficace lors de l'acte de bâillement
isolé ou proprement dit,
c'est-à-dire surtout lorsque la bouche
atteint son ouverture maxima. Cependant,
répétons-le, le bâillement
lui-même n'est souvent que l'initiation
d'une réaction motrice musculo-veineuse
en chaîne, étendue aux membres et
à toute la musculature squelettique sous
forme d'ondes toniques propagées en
direction rostro-caudale jusqu'au bout des
doigts et des orteils.
-
- Voilà, à notre avis, les bases
anatomo-physiologiques d'un
phénomène hémodynamique
musculo-veineux qui constitue le grand
automatisme de bâillement et
d'étirement désigné
autrefois globalement par nos Anciens sous les
termes uniques de «pandiculatio » ou
«skordinema »
(uxop8ívwia).
-
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