- Abstract : Stretching and yawning
(the association has gone identified as
pandiculation) are neglected features among
categories of maintenance behavior. Arising in
the common ancestors of all vetebrates,
systematic and coordinated pandiculations occur
in a compound pattern of almost identical
general form among them, during the transition's
behaviors occuring with different cyclic life's
rhythms: sleep-arousal, feeding and
reproduction. This kinesis appears as one
undirected response to an inner stimulation,
underlying the homeostasis of these three
behaviors. By explaining the specific regulatory
strategies and the neural networks involved, it
is proposed that yawning is a part of
interoceptiveness by its capacity to increase
arousal. All the currently biological and
behavioral researchs have canceled the purpose
of oxygenation traditionally ascribed to
yawning.
-
- Pourquoi
bâillons-nous ? Revue des théories
d'Hippocrate à nos jours Walusinski O
2014
-
- Résumé: Bâiller
et s'étirer (l'association se nomme une
pandiculation) sont des comportements ayant
reçus peu d'attention alors qu'ils
témoignent de processus adaptatifs
d'homéostasie fondamentaux pour la Vie.
Déjà présentes chez les
vertébrés
phylogénétiquement les plus
anciens, les pandiculations
généralisées et
coordonnées se développent, de
façon morphologiquement semblable chez
tous les vertébrés, lors des
transitions comportementales, survenant de
façons récurrentes et cycliques au
cours des trois rythmes biologiques bases de la
Vie: l'alternance veille-sommeil, la
régulation de la satiété et
la sexualité. Cette activité
neuro-musculaire répond à une
stimulation interne, sans raison
extériorisée appréhendable,
mais nécessaire aux processus
d'homéostasie des ces trois
comportements. Après avoir
explicité les mécanismes
neurobiologiques activés et les circuits
neuronaux qui les sous tendent, il est
proposé d'interpréter
bâillements et pandiculations comme
participant de l'intéroception par leurs
capacités à stimuler
l'éveil et la perception consciente du
schéma corporel. Toutes les explorations
contemporaines ont infirmé le rôle
d'oxygénation cérébrale
traditionnellement attribué au
bâillement.
Introduction
- Commençons par un bref retour vers le
passé. Imaginez-vous le mardi 23 octobre
1888 (1). Vous êtes spectateur "d'une
consultation du mardi", conduite par Le
Maître de La Salpêtrière,
Jean-Martin
Charcot :
-
- « Nous allons aujourd'hui, en
commençant, procéder à
l'examen d'une malade qui est dans le service
depuis six mois [...]
- Mr Charcot (indiquant un siège
à la jeune malade):
- "-Mettez-vous là, mademoiselle, en
face de moi."
- (Aux auditeurs)
- "- Regardez-la et tâchez de ne pas
vous laisser influencer, suggestionner ou
intoxiquer, comme vous voudrez dire par ce que
vous allez voir et entendre."
-
- C'est un acte quelque peu imprudent, sans
doute, de la part d'un professeur, que de
commencer son cours en parlant du
bâillement et de présenter un cas
où le bâillement est le
phénomène le plus apparent. Car le
bâillement est contagieux, vous le savez,
au premier chef et rien que d'entendre prononcer
le mot de bâillement, qui, dans les
langues les plus diverses, vise à
l'imitation onomatopéïque de la
nature, sbadiglio (ital.); yawning (angl.);
gähnen (allem.), on se sent pris d'une
envie de bâiller presque invincible.
-
- Mais j'ose espérer qu'une fois
prévenus, nous saurons résister,
vous et moi, aux suggestions qui nous menacent.
Pendant que je dissertais, vous avez vu et
entendu notre malade déjà
bâiller plusieurs fois; chez elle,
veuillez le remarquer, le bâillement est,
en quelque sorte, rythmé, en ce sens
qu'il se reproduit à des intervalles
toujours à peu près de même
durée et assez courts, du reste
[...]
-
- A l'origine, en effet, il y a quatre ou cinq
mois, elle bâillait environ huit fois par
minutes (480 bâillements par heure, soit
7.200 en quinze heures de veille); aujourd'hui
le nombre des bâillements est
réduit à quatre dans le même
espace de temps, chaque bâillement occupe
individuellement un temps assez long
[...]
-
- Ainsi vont les choses du matin au soir, sans
interruption aucune. Si bien que le sommeil seul
met trêve aux bâillements; il fut un
temps, vous le reconnaîtrez sur le
tracé, où ceux-ci étaient
tellement précipités, que les
respirations normales n'avaient, pour ainsi
dire, pas le temps de se produire, et que le
bâillement, par conséquent,
était le seul mode de respirer que la
malade eût à son service. Il fut un
temps également où la toux, la
toux nerveuse, alternait avec le
bâillement et l'on peut suivre sur le
schéma du tracé du 15 août,
l'alternance en quelque sorte
mathématiquement régulière
de la toux et du bâillement. Aujourd'hui
la toux a complètement cessé, et
le bâillement régne seul,
exclusivement.
-
- Pour ce qui est du bâillement
considéré en soi, il ne
diffère chez la malade, en rien
d'essentiel, du bâillement physiologique.
Vous savez ce qu'est celui-ci: ce n'est autre
chose qu'une longue et profonde inspiration,
presque convulsive, pendant laquelle il se
produit un écartement considérable
de la mâchoire, souvent avec flux de
salive et sécrétion de larmes,
phénomènes sur lesquels Darwin
insiste particulièrement, et suivi d'une
expiration également prolongée et
bruyante. Physiologiquement, on assure que c'est
un acte automatique nécessite par un
certain degré d'anoxémie, un
besoin d'hématose des centres nerveux.
Tantôt le bâillement est simple,
tantôt il est suivi ou s'accompagne de
pandiculations, c'est-à-dire de
contractions musculaires presque
générales ».
-
- JM Charcot va continuer son exposé en
indiquant que sa jeune patiente de 17 ans a des
crises épileptiques
généralisées, une anosmie
complète, une amputation bitemporsale des
champs visuels. Gilles de la Tourette, reprenant
cette observation dans la Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, en 1890,
précise qu'elle a une
aménorrhée depuis près d'un
an, sans indiquer si une galactorrhée
avait été recherchée.
-
- JM Charcot poursuit: « Vous avez sans
doute prévu, après ce que je viens
de vous dire, que nous sommes ici dans le
domaine de l'hystérie ».
-
- Charcot pouvait-il se tromper ?
- S'il est permis, 120 ans plus tard, de
critiquer le maître, JM Charcot avait
très probablement devant lui une jeune
fille porteuse d'une adénome hypophysaire
à prolactine comprimant son chiasma
optique et son hypothalamus. JM Charcot avait-il
également raison d'attribuer ces
bâillements à une
nécessité physiologique
liée à une hypoxie ?
-
- L'hématose est-elle modifiée
par le bâillement ?
- L'observation éthologique d'un
bâillement montre une véritable
stéréotypie comportementale (2):
un bâillement dure une dizaine de secondes
au cours desquelles se succèdent toujours
dans la même chronologie:
-
- - une inspiration ample, lente et profonde
par une bouche largement ouverte. A cet instant,
le tractus pharyngo-laryngé quadruple son
diamètre par rapport au repos.
L'inspiration d'air est essentiellement buccale.
Les équidés qui ne respirent que
par le nez, bâillent néanmoins en
inspirant par la bouche.
- - un bref arrêt des flux ventilatoires
à thorax plein, l'acmé, souvent
associé à des mouvements
d'étirements des membres, joliment
nommés pandiculations, et une occlusion
des yeux. La trompe d'Eustache s'ouvre,
entraînant une brève baisse de
l'audition. Le cardia s'ouvre
simultanément, provoquant un appel d'air
intra-gastrique responsable d'une impression de
plénitude abdominale.
- - une expiration passive, bruyante, plus ou
moins lente, accompagnée d'une relaxation
de tous les muscles concernés. La bouche
se referme et le larynx reprend sa place
initiale. Une sensation de bien-être se
répand.
-
- L'activité musculaire des muscles
respiratoires (diaphragme, intercostaux
scalènes) ne diffèrent en rien de
celle d'une inspiration très ample alors
que l'importance de l'ouverture
pharyngo-laryngée accompagnée d'un
abaissement du cartilage thyroïde et de
l'os hyoïde est propre au bâillement.
La contraction, simultanée à
l'inspiration, des muscles du cou provoque une
extension de celui-ci, portant la tête en
arrière. Les mouvements de la tête
font partie intégrante du cycle
ouverture/fermeture de la bouche
nécessaire à la mastication,
à la déglutition, à
l'élocution, au chant comme au
bâillement (3,4). D'un point de vue
phylogénique, chez toutes les
espèces, ce couplage fonctionnel a une
valeur adaptative, sélectionnée,
car elle assure une meilleure capacité
à saisir des proies mais aussi à
se défendre et à combattre. Les
afférences sensori-motrices oro-faciales
(trijumeau) sont nécessaires au
contrôle de la motricité
cervico-céphalique, c'est à dire
que l'activité fonctionnelle mandibulaire
est une association de mouvements
synchronisés de la nuque et de la
mâchoire dans lesquels interviennent les
articulations temporo-maxillaires, le rachis
cervical et sa musculature (5).
-
- L'action des muscles masséters et
cervicaux est synchronisée par une
commande motrice commune, automatique,
générée par le tronc
cérébral, "Central pattern
generating circuits" (6) où
siègent les noyaux moteurs des paires
crâniennes V, VII, IX, X, XI, XII et par
les racines cervicales C1-C4 commandant le
diaphragme. Un réseau d'interneurones
couple ce centre moteur au complexe
pré-Bötzinger, véritable
pace-maker de la ventilation, situé en
position ventrale par rapport au noyau ambigu,
en regard de l'émergence du
douzième nerf crânien. Le signal
rythmique qu'il émet est distribué
selon un schéma spatio-temporel
précis aux motoneurones bulbaires et
spinaux assurant l'innervation motrice des
muscles des voies aériennes
supérieures et des muscles respiratoires.
Ces mécanismes neurophysiologiques
interviennent de façon identique durant
un bâillement, en y couplant une
activité motrice cervico-faciale
complète (7,8).
-
-
- Conséquences du
bâillement
- La profonde inspiration du bâillement,
comme le fait aussi un soupir, ouvre les
bronchioles et les alvéoles
périphériques, contribuant
à une redistribution du surfactant.
-
- JM Charcot évoque comme cause du
bâillement « un besoin
d'hématose des centres nerveux ».
N'est-il pas surprenant qu'un tel esprit curieux
et observateur, n'ait pas mis en doute cette
notion datant de la physiologie de Johannes de
Gorter, en 1736, (professeur de médecine
à Harderwijken, Pays Bas) dans son livre
De perspiratione insensibili: « In quibus
hominibus tardior sanguinis versus cerebrum
fluxus, frequens solit fieri oscitatio et
pandiculatio, uti in somnolentia, otio, et
initio vigiliarum ad discutiendurn somnum »
(9).
-
- Est-ce concevable ? Le bâillement
comporte à son acmé une
apnée, peu propice à
l'oxygènation cérébrale.
Les apnées volontaires ou involontaires
ne sont pas suivies d'un bâillement,
"récupérateur". Les poissons
bâillent, le foetus bâille
dès la 12° semaine de grossesse.
Dans ces deux observations, l'ouverture buccale
s'accompagne d'une inhalation liquidienne!
Voyons-nous bâiller le marathonien? Enfin,
la preuve de l'inadéquation de cette
hypothèse a été
formellement apportée par Provine, Tate,
Geldmacher en 1987 (10). Faisant inhaler
à des sujets, un air surchargé en
CO2 (3 - 5%, pour une norme <0,5%), ils ont
montré un accroissement de leur
fréquence ventilatoire mais pas de leurs
bâillements. A contrario, ils ont fait
inhaler de l'oxygène pure sans inhiber
des bâillements spontanés, survenus
à leur fréquence habituelle. Le
bâillement n'est donc pas un comportement
(réflexe?) physiologique
d'amélioration de l'oxygénation
cérébrale.
-
- Quelle est la finalité du
bâillement ?
- Afin d'apporter une hypothèse plus
validée du rôle physiologique, il
apparaît utile de survoler des
données fournies par la
phylogenèse et l'ontogenèse.
-
- Phylogenèse du
bâillement
- L'éthologie agrée
l'idée que la plupart des
vertébrés bâillent qu'ils
soient poïkilothermes ou
homéothermes, des mondes sous-marins,
terrestres ou aériens, herbivores,
fructivores, insectivores ou carnivores.
L'existence de bâillements chez les
reptiles confirme l'origine
phylogénétiquement ancienne de ce
comportement (11). Sa survivance, sans variation
évolutive, indique son importance d'un
point de vue fonctionnel. Les organismes
vivants, en particulier les
vertébrés, exhibent des
comportements variés, essentiels à
leur survie, caractérisés par leur
récurrence cyclique (12). Il en va ainsi
pour les trois comportements fondamentaux de la
vie et de sa transmission: la vigilance
(être apte à survivre face aux
prédateurs alors que le sommeil est
indispensable à l'homéostasie du
cerveau), l'alimentation (capter de
l'énergie), la sexualité
(transmettre la vie). Les bâillements et
les pandiculations, en restant morphologiquement
identiques, apparaissent associés
à chaque état transitionnel des
rythmes infradiens, circadiens, ultradiens qui
caractérisent ces comportements.
-
- Les transitions comportementales des animaux
ne résultent pas d'une adaptation passive
aux conditions d'environnement mais
obéissent à des stimuli internes
caractérisant les adaptations
homéostasiques
générées, en particulier,
par l'hypothalamus (noyaux suprachiasmatiques,
noyaux paraventriculaires). Ces horloges
biologiques internes autorisent une
adéquation précise entre besoins
métaboliques (satiété),
survie de l'espèce (accouplement) et
conditions d'environnement (adaptation tonique
à la pesanteur et motricité). Les
bâillements et les pandiculations sont
associés aux transitions entre des
états d'éveil et de sommeil, lors
de l'installation de la faim ou de la
satiété, lors de l'installation ou
de la disparition d'états
émotionnels secondaires à une vie
en groupes sociaux hiérarchisés
(11).
-
- Nous avons vu que bâillements et
pandiculations extériorisent
l'activité des centres moteurs du tronc
cérébral (V, VII, IX, X, XI, XII)
et de la moelle. Celle-ci est commandée
par le noyau paraventriculaire de l'hypothalamus
(PVN). Le PVN est un centre d'intégration
entre les systèmes autonomes central et
périphérique. Il intervient,
notamment, dans la balance métabolique
(osmolarité, énergie), la pression
artérielle et la fréquence
cardiaque, la sexualité.
Bâillements et pandiculations peuvent
être déclenchés par des
injections (apomorphine, hypocrétines,
etc) ou disparaître après
électrolésion dans la zone
parvo-cellulaire du PVN. Un groupe de neurones
ocytocinergiques, situés dans cette zone
du PVN, projetant vers l'hippocampe, le tronc
cérébral (locus coeruleus) et la
moelle, contrôlent les bâillements
et l'érection. La stimulation de ces
neurones par la dopamine ou ses agonistes, des
acides aminés excitateurs (NMDA),
l'ocytocine elle-même, déclenche
des bâillements et des érections,
alors que le GABA ou les opioïdes inhibent
bâillements et érections (13).
-
- Sommeil, satiété,
sexualité et
bâillements
- Par opposition à l'éveil, le
sommeil est un état comportemental
caractérisé par un
désengagement sensoriel avec
l'environnement et les perceptions internes
(intéroception). Des cycles successifs de
90 minutes se renouvellent au cours d'une nuit
de sommeil, avec succession de sommeil lent
(prédominant en début de nuit) et
de sommeil paradoxal (prédominant en fin
de nuit). Celui-ci est caractérisé
par une activité corticale comparable
à l'éveil, accompagnée
d'une hypotonie musculaire
périphérique avec collapsus
relatifs des voies respiratoires
supérieures, une instabilité des
processus végétatifs autonomes
rappelant l'état poïkilotherme.
L'éveil spontané survient
préférentiellement lors du
début de la remontée de la
température corporelle (rythme
circadien), en fin d'une période de
sommeil paradoxal (14). La transition vers
l'éveil comporte une reprise des
processus sensoriels, facilitée par
l'activité corticale rapide de cette
phase de sommeil, et s'accompagne d'une reprise
du tonus musculaire tant au niveau squelettique
qu'au niveau des voies aériennes
supérieures. Bâillements et
pandiculations ouvrent les voies respiratoires
et renforcent le tonus musculaire
antigravifique. Toute activité motrice
génère un
rétro-contrôle (feedback)
adaptatif. La puissante contraction musculaire
du bâillement et de la pandiculation
génère une information sensorielle
en retour, par les voies de la
sensibilité profonde, projetant sur le
locus coeruleus (boucles sensori-motrices
trijémino-cervico-spinales), la
réticulée ascendante du tronc
cérébral et l'hypothalamus
latéral. Il est proposé
d'expliquer la finalité de ces
comportements comme une stimulation des
systèmes d'éveil (système
noradrénergique et dopaminergique
projettant vers le cortex) et un renforcement du
tonus musculaire (système hypothalamique
hypocrétinergique), engendrée par
ce rétro-contrôle (15).
-
- La ghréline est un ligand
endogène pour les récepteurs
à l'hormone de croissance (GH) et
apparaît comme un peptide inducteur de la
faim et de la recherche de nourriture. La
ghréline, les hypocrétines (ou
orexines) et le neuropeptide Y (NPY) forment un
circuit hypothalamique de régulation de
la satiété. Hypocrétines et
NPY sont également impliqués dans
la régulation de l'éveil. La
ghréline inhibe le sommeil tant profond
que paradoxal en fonction de la
luminosité. Il est facile de concevoir
que la recherche de nourriture nécessite
un éveil adapté.
L'expérimentation chez le rat indique que
l'injection de gréhline stimule
l'éveil, le "grooming" (auto et
hétéro-nettoyage) et semble
induire des bâillements, en période
nocturne, c'est à dire d'activité
pour le rat, alors que la ghréline
injectée au lever du jour induit le
sommeil. La ghréline est donc un peptide
candidat dans l'induction des bâillements
associés à la
satiété, rythmée par le
cycle éveil-sommeil (16).
-
- Les stéroïdes sexuels modulent
l'activité de l'ocytocine et de la
dopamine au niveau du PVN. Chez le rat ou le
singe macaque, les bâillements
disparaissent après castration et sont
restaurés par des injections de
testotérone exogène. Les
bâillements sont décrits, en
éthologie, comme plus fréquents
ches les mâles alpha des groupes de
macaques. Les oestrogènes inhibent les
bâillements induits par l'apomorphine
alors que la progestérone favorise
d'abord des bâillements puis le sommeil.
On peut ainsi envisager que les
bâillements répétés
bien connus par les femmes enceintes au premier
trimestre de leur grossesse, et toutes les
occurences de bâillements liés
à la sexualité résultent de
l'interaction des stéroïdes sexuels
au niveau du PVN (17,18,19).
-
- Ontogenèse
- Les gènes homéotiques (Hox),
gènes architectes, délivrent une
information positionnelle. Ils
représentent quatre groupes de
gênes codant pour la transcription de
facteurs (les protéines Hox)
impliqués dans l'orchestration de la mise
en place de l'axe rostro-caudal de l'organisme,
incluant la segmentation du tronc
cérébral et du diencéphale
d'une part, la formation des membres
supérieurs d'autres part. Ils commandent
l'individualisation du massif facial et du
cerveau à partir d'une structure
embryonnaire commune, l'ectoblaste. Le
pôle céphalique comporte une
segmentation encéphalo-faciale et
encéphalo-cervicale avec une
correspondance topographique stricte: les
structures naso-frontales et
prémaxillaires sont liées aux
hémipshères; les structures
maxillo-mandibulaires et cervicales
antérieures sont unies au tronc
cérébral et à ses nerfs
(20).
-
- Au début du troisième mois,
l'embryon devient un foetus grâce à
l'apparition des premières
séquences motrices orales et
pharyngées sous la dépendance de
la myélinisation du tronc
cérébral. Les mouvements des joues
et de la langue participent à la
formation du palais par l'initiation de
mouvements de traction
antéro-postérieurs alors que les
valves palatales primordiales sont
orientées verticalement.
L'activité motrice de la langue et de la
bouche est constamment accompagnée de
mouvements du cou comme l'illustrent les
échographies qui, dès 12 à
15 semaines de grossesse, visualisent succions,
déglutitions, bâillements et
pandiculations. L'activité
oro-pharyngée se coordonne ainsi avec les
régulations respiratoire, cardiaque et
digestive de même localisation
neuro-anatomique. L'extension du processus de
myélinisation au néocortex
temporal et frontal se complète
jusqu'à 22 à 24 semaines. Le tronc
cérébral, lecerveau reptilien,
devient fonctionnel avant le cortex. Succions,
déglutitions, bâillements et
pandiculations ont donc une importance dans le
développement fonctionnel du
système nerveux alors que la puissante
contraction musculaire qu'ils
représentent a un coût
métabolique élevé.
-
- Une hypothèse structurale suppose un
accroissement d'activation et de recrutement des
neurotrophines qui génèrent toute
une cascade de nouvelles synapses, de nouveaux
circuits neuronaux au niveau
diencéphalique et du tronc
cérébral. Ce mécanisme de
développement,
activité-dépendant, a clairement
été identifié comme un des
processus affectant la maturation fonctionnelle
précoce des systèmes sensoriels et
moteurs. Ce phénomène
d'activité-dépendance est un
processus ubiquitaire de maturation
cérébrale par lequel le
développement d'une région, d'une
structure participe au développement
d'autres régions, d'autres structures
(6).
-
- La phylogenèse suggère que le
repos nocturne des poïkilothermes a
probablement évolué vers le
sommeil paradoxal (REM sleep) qui est
caractérisé par une hypotonie
musculaire périphérique
commandée par des noyaux situés
à la partie dorsale du tronc
cérébral, situé
rostralement par rapport au pont (21).
L'étude du sommeil tant du foetus humain
qu'animal, indique que la première forme
de sommeil a des caractéristiques de
sommeil actif ou agité qui
représente une forme immature de sommeil
paradoxal et est encore très
prépondérant à la
naissance. Siegel (22) a montré que plus
le cerveau est immature à la naissance,
plus il existe de sommeil paradoxal. Les
mécanismes commandant le sommeil
paradoxal sont les premiers fonctionnels et les
seuls actifs initialement en raison de la seule
myélinisation du tronc
cérébral et du diencéphale.
Ensuite le sommeil lent apparaît quand les
structures thalamo-corticales deviennent
matures. Il apparaît donc que le
contrôle de l'activité neuronale
exercée par le sommeil paradoxal
participe du mécanisme, activité
dépendant, de maturation fonctionnelle du
cortex. Il peut être inféré
qu'au tout début de la vie foetale, le
sommeil paradoxal (et le bâillement?)
dirige l'évolution de la maturation
corticale par sa stimulation neuronale. De la
vie prénatale à la vie postnatale,
un pattern comportemental montre un
développement parallèle de
l'apparition du sommeil paradoxal et du
bâillement. C'est ainsi que la
durée du sommeil paradoxal décline
de 50% du temps de sommeil, chez le
nouveau-né à une à deux
heures chez l'adulte, que le nombre de
bâillements passe de 30 à 50 par
jour chez le nouveau né à moins de
20 par jour chez l'adulte. Cette diminution
intervient essentiellement de la naissance
à la fin de la puberté (23).
-
- Autres conséquences physiologiqes
des bâillements et pandiculations
- La pandiculation et le bâillement
provoquent, à l'acmé de l'ample
inspiration, une augmentation de la pression
intra-thoracique, suivie d'une dépression
rapide, lors de l'expiration qui la suit. Il en
résulte un blocage du retour veineux et
lymphatique suivi d'un flux
accéléré. Il n'existe
actuellement aucune donnée sur les
conséquences immunitaires du drainage
lymphatique du canal thoracique vers la veine
cave, ainsi favorisé (24). Par contre, au
niveau cérébral, la variation
rapide et notable de la pression veineuse,
accélère la circulation du liquide
céphalo-rachidien. Les battements
cardiaques et les mouvements respiratoires
transmettent des variations de pressions dans
les ventricules cérébraux. Chaque
inspiration profonde est suivie d'une
augmentation du débit du LCR au niveau du
IV° ventricule (25,26). L'étude de
la cinématique mandibulaire montre que
celle-ci s'associe à l'inspiration pour
modifier la circulation intra-crânienne.
Lepp (27) décrit: « les mouvements
mandibulaires qui ont le rôle de mettre en
action selon les besoins la pompe
musculo-veineuse ptérygoïdienne qui
fonctionne en haut de l'espace parapharyngien
antérieur ou préstylien. De cette
manière, la pompe paratubaire peut
s'intercaler dans le mécanisme
d'écoulement du sang veineux hors de
l'endocrâne et principalement via le sinus
canalis ovalis. Ainsi, la citerne
ptérygoïdienne joue un rôle
important comme station intermédaire
d'accélération pour
l'écoulement en retour du sang
cérébral (...). On pourrait avec
raison considérer la cinématique
mandibulaire conjointement avec le muscle
ptérygoïdien latéral comme un
veino-moteur, d'autant plus que les deux
ensembles représentent en fait le
démarreur proprement dit pour la mise en
marche de l'action de pompage musculo-veineux
alterné de la pars cavernosa du plexus
ptérygoïdien. Elle est
évidemment particulièrement
efficace lors de l'acte de bâillement ,
lorsque la bouche atteint son ouverture maxima
».
-
- Il apparaît ainsi que l'ample
inspiration et l'ouverture de bouche maximale
accélère la circulation du LCR.
Déjà en 1912, Legendre et
Piéron (28) ont mis en évidence la
présence d'un facteur hypnogène
dans le LCR et s'y accumulant pendant la veille.
Cette recherche de facteurs, humoraux et non
neuronaux, inducteurs du sommeil, vieille de
près de 100 ans, a fait passer en revue
plus de 50 molécules. Actuellement, une
prostaglandine PGD2 agit comme une hormone
d'activité locale, produite par les
méninges. Sa fixation sur un
récepteur spécifique est suivie
d'une transduction depuis la leptoméninge
vers la parenchyme cérébral en
activant la fabrication d'adénosine,
celle-ci ayant un effet inducteur du sommeil au
niveau du noyau VLPO de l'hypothalamus
antérieur. Il se peut donc que
bâillements et pandiculations, en
induisant une accélération de la
clairance de PGD2, réduisent la
propension à l'endormissement. En
conséquence, l'augmentation de la
clairance de l'adénosine, facteur
réputé somnogène,
interviendrait dans l'effet stimulant de
l'éveil du bâillement (29).
-
- Conclusions
- Comme le suggérait déjà
E. Claparède en 1924, « le
bâillement n'est qu'une portion d'un
réflexe plus général
d'étirement » (30).
Bâillements et pandiculations ne modifient
pas les taux de l'oxygène et du gaz
carbonique circulants. Bâillements et
pandiculations sont des comportements moteurs,
phylogénétiquement
archaïques, remarquablement
conservée au cours de l'Evolution,
apparaissant ontogénétiquement
simultanément au premier type de sommeil
avec hypotonie évoluant vers le sommeil
paradoxal. Les états d'éveil et de
sommeil correspondent à des
activités de circuits neuronaux
spécifiques. Bâillements et
pandiculations peuvent être
interprétés comme un
mécanisme adaptatif déconnectant
un type de circuit neuronal et favorisant la
mise en fonction d'un autre réseau
("reset" ou reconfiguration), optimisant le
changement comportemental (31).
- Bâillements et pandiculations
apparaissent comme des comportements universels
plus proche d'une stéréotypie
émotionnelle que d'un réflexe.
D'origine diencéphalique, ils
extériorisent des processus
d'homéostasie des systèmes
d'éveil, de la satiété et
de la sexualité.
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