Il s'agit d'un homme de 48 ans, qui
présente une paralysie pseudobulbaire
corticale depuis 3 mois. Le début a
été brusque, puisque les troubles
se sont installés en une nuit.
Cette forme corticale de la paralysie
pseudobulbaire est singulière par bien
des côtés :
1- La paralysie pseudobulbaire est
isolée : elle est en effet limitée
aux muscles de la face, de la langue, du
pharynx, du larynx et aux masticateurs. Les
membres sont indemnes de toute paralysie : il
n'existe qu'une hyperréflectivité
tendineuse diffuse; il n'y a ni mictions
impérieuses, ni troubles psychiques.
2- La paralysie porte uniquement sur la
motilité volontaire, mais ici elle est
absolue. Les mouvements
élémentaires et les mouvements
associés, qui constituent les fonctions
sont supprimés. Le malade ne peut
volontairement ni plisser le front, ni fermer
le, paupières les mouvements des
lèvres, de la mâchoire
inférieure, de la langue sont très
réduits les cordes vocales sont
paralysées. Cette paralysie
labio-linguo-pharyngo-laryngo-masticatrice rend
impossible la parole et la mastication. Si les
mouvements volontaires sont supprimés, il
n'en est pas de même des mouvements
automatiques et réflexes; alors que
l'occlusion volontaire des paupières est
impossible, on observe de temps à autre
un clignement réflexe; on peut d'ailleurs
le provoquer aisément en mettant en
oeuvre les réflexes
naso-oculo-cornéo-palpébraux; de
même les paupières se ferment
pendant le sommeil. La mimique
psycho-syncinétique est conservée
(bâillement, rire et pleurer
réflexes); le réflexe
massétérin existe; la
déglutition réflexe se produit
lorsque les aliments arrivent dans
l'arrière-gorge.
3- Enfin, troisième point
intéressant, il existe une atonie
musculaire : le visage est atone, les traits
tombants. La mâchoire est tombante ; la
dépressibilité
rétromaxillaire est exagerée. Les
muscles présentent une
hypoexcitabilité mécanique.
L'atonie, l'hypoexcitabilité
mécanique des muscles expliquent à
notre sens l'absence de rire et de pleurer
spasmodiques.
mise à jour
du
15 août
2002
Rev
Neurol
1959;101:168-171
Le
syndrome unilatéral de l'opercule
rolandique avec atteinte contralatérale
du territoire des V, VII, IX, X, XI et XIIe
nerfs craniens
Th. Alajouanine, G. Boudin, B.
Pertuiset, B Pépin
La constatation d'une paralysie dans le
territoire de plusieurs nerfs craniens, d'un
même côté, conduit en
règle générale à
explorer la fosse postérieure et les
orifices de la base du crâne. Il est
pourtant des cas dans lesquels la
lésion est d'origine corticale,
située dans l'opercule rolandique
controlatéral.
Le groupement symptomatique qui est alors
réalisé peut, du fait de son
étendue, de ses caractères et
de ses lacunes, être rattaché
à une origine
hémisphérique. Deux
observations illustreront la
réalité de ce syndrome
operculaire unilatéral.
Obs. 1. - M. Marcel P....
âgé de 57 ans, se plaint pour la
première fois en septembre 1954 de
troubles de la parole. Un
électroencéphalogramme
pratiqué en novembre conclut à
la présence d'une tumeur
cérébrale et le malade est
adressé à la Clinique
Neuro-Chirurgicale de la Pitié en
décembre. L'examen montre :
- Une importante diminution du
réflexe cornéen droit sans
troubles sensitifs notables du reste de la
face ; une asymétrie très
marquée des masséters
même au repos et s'exagérant
dans la contraction volontaire. Il existe de
plus un petit signe de la diduction dans
l'ouverture de la bouche.
- Une paralysie faciale droite
très importante prédominant sur
le facial inférieur mais touchant
légèrement le facial
supérieur dans les manoeuvres de
l'occlusion des paupières, du
froncement des sourcils et du front.
- Une asymétrie
vélo-palatine très nette dans
la vocalisation prolongée de
même qu'une asymétrie
pharyngée. Les réflexes du
voile et pharyngé sont abolis.
- Une asymétrie des muscles du
cou, le sterno-cléido-mastoïdien
se contractant mal.
- Une déviation de la langue vers
la droite dans la protraction
forcée.
A ce groupement étaient
associés :
- Une anarthrie de Broca très
discrètement aphasique avec une
dissociation phonétique
considérable, relativement fixe et
avec une perturbation du débit qui est
syllabique. Il existe de plus une certaine
scansion et un certain nasonnement.
- Un très léger
déficit moteur du membre
supérieur droit à dominance
distale avec des réflexes
ostéo-tendineux un peu vifs.
L'examen ophtalmologique se
révéla normal.
L'électroencéphalogrmime et
l'angiographie carotidienne
confirmèrent la présence d'une
lésion de l'opercule rolandique gauche
probablement superficielle du fait des
éléments irritatifs contenus
dans le tracé et kystique étant
donné l'aspect avasculaire de la
région rolandique sur les
clichés angiographiques. Le malade est
opéré le 23-12-54 (B.
Pertuiset) : après la taille d'un
volet coronal, la dure-mère, qui est
peu tendue, est ouverte : la partie
inférieure du gyrus
précentralis et les divers segments du
gyrus frontalis inferior apparaissent alors
pâles et élargis. Une ponction
retire 25 cm3 d'un liquide citrin clair qui
coagule rapidement. Le cortex est
incisé verticalement ce qui permet de
pénétrer dans le kyste dont la
paroi est lisse sauf en dehors et en bas :
à ces endroits existe une tumeur
murale dont le volume est difficile à
apprécier et qui est aspirée,
après biopsie, avec le cortex envahi.
Des clips sont mis en place pour le
repérage radiologique.
Histologiquement la tumeur est un
glioblastome isomorphe présentant par
endroits l'aspect d'un astrocytome
protoplasmique. Certains noyaux sont à
la limite de la monstruosité, il
existe quelques pseudo-rosettes
dégénératives. Les
suites opératoires sont simples et le
malade sort le 18 janvier 1955.
L'opéré est revu le 3 avril
1955. Il n'existe plus d'hypoesthésie
cornéenne et l'asymétrie du
voile et du pharynx à la vocalisation
prolongée a disparu. La paralysie
faciale, de même que l'asymétrie
des masséters, persiste; les
réflexes nauséeux et du voile
restent abolis. L'anarthrie est un peu
améliorée. Le 6 mars 1956
l'état neurologique est
inchangé.
Obs. 2. - M. Pierre G....
âgé de 28 ans, est
hospitalisé à l'Hôpital.
Saint-Antoine le 14 janvier 1959 pour une
hémiparésie droite avec
aphasie. Depuis 1 mois il se plaint de
céphalées diffuses et rebelles,
matutinales, à l'effort, et
accompagnées de vomissements. L'examen
montre:
- une parésie et une hypotonie du
masséter droit à la fermeture
de la bouche sans atrophie. Le réflexe
cornéen est normal ;
- une parésie faciale intense
prédominant sur le facial
inférieur mais intéressant
aussi le facial supérieur avec
effacement partiel des plis du front et
diminution de la force de l'orbiculaire des
paupières ;
- une asymétrie du voile et du
pharynx à la vocalisation
forcée, avec abolition des
réflexes vélo-palatin et
pharyngé ;
- une hypotonie du
sterno-cléido-mastoïdien
droit
- une paralysie de l'hémilangue
droite importants et sans atrophie, avec une
hypotonie massive.
A ce groupement étaient
associée
- une aphasie de type mixte avec
dysgraphie, acalculie et apraxie
idéo-motrice;
- un déficit moteur léger
du membre supérieur droit à
dominance distale avec réflexes
normaux ;
- une désorientation
temporo-spatiale avec indifférence et
euphorie.
L'examen ophtalmologique montra un fond
d'il normal,
l'électroencéphalogramme
révéla un delta ample et
monomorphe fronto-temporal gauche avec
tendance à la bilatéralisation.
L'angiographie carotidienne comme le
gamma-encéphalogramme (Dr Planiol)
situèrent dans l'opercule rolandique
une tumeur indiscutablement maligne.
Le malade est opéré le 21
janvier 1959 (B. Pertuiset). Après la
taille d'un volet coronal la dure-mère
qui est tendue est ouverte ce qui
découvre un cortex pâle et
déplissé. Il est incisé
au-dessus de Broca et à 2 cm de
profondeur environ la tumeur apparaît
sous forme d'une masse gris rougeâtre
qui est aisément clivable en avant, en
arrière, en dehors et en haut mais
adhère en bas au cortex operculaire.
Cette tumeur est volumineuse.
L'examen histologique (Dr Messimy)
diagnostique une glioblastome
hétéromorphe avec de nombreuses
monstruosités cellulaires. Les suites
opératoires sont simples et
l'opéré quitte la Clinique
Neuro-Chirurgicale de la Pitié le 2
février 1959. Quinze jours
après l'opération l'examen
montre une régression partielle de la
paralysie faciale, de l'atteinte des
masticateurs et du
sternocléido-mastoïdien. Par
contre l'atteinte
pharyngo-vélo-linguale reste
inchangée. L'aphasie tend à
régresser.
Discussion
Ces deux observations sont
remarquablement comparables et l'absence de
signes importants d'hypertension
intracranienne comme la vérification
opératoire confèrent toute sa
valeur au groupement symptomatique
observé, qui témoigne d'une
lésion contralatérale de
l'opercule rolandique. Ce groupement comprend
:
1 - une paralysie masticatrice avec ou
sans hypoesthésie
cornéenne
2 - une paralysie faciale importante qui
domine nettement sur le facial
inférieur mais touche aussi le facial
supérieur sans signe de Charles
Bell
3 - une paralysie vélo-palatine et
pharyngée avec abolition des
réflexes du voile et nauséeux,
sans atteinte des cordes vocales
4 - une parésie du
sterno-cléido-mastoïdien
5 - une paralysie linguale avec hypotonie
sans atrophie.
Il est associé à ces signes
une parésie discrète et distale
du membre supérieur. Cette paralysie
facio-linguo-vélo-pharyngo-cléido-masticatrice
ne paraît pas avoir retenu l'attention
dans sa manifestation
unilatérale.
Par contre la forme bilatérale de
cette paralysie est connue depuis la
description de C.
Foix, J. A. Chavany et J. Marie
en 1926. J.
Dejerine avait déjà
attiré l'attention sur les
monoplégies linguales d'origine
corticale de même d'ailleurs que sur
les monoplégies facio-linguales sans
mentionner le groupement symptornatique qui
fait l'objet de ce travail.
Si l'on se reporte aux descriptions des
diplégies
facio-linguo-pharyngo-masticatrices on y
trouve deux faits que nous n'avons pas
observés :
- nous n'avons pas vu en effet de
pseudo-ophtalmoplégies qui sont sans
doute la conséquence du
caractère bilatéral des
lésions
- nous n'avons pu mettre en
évidence la conservation de la
motilité réflexe et
automatique, qui contraste dans les
diplégies avec la disparition des
mouvements volontaires, fait sur lequel nous
avons insisté autrefois.
L'étiologie corticale du
groupement symptomatique observé
repose donc essentiellement sur le fait qu'il
reproduit fidèlement la topographie
fonctionnelle du gyrus précentralis
dans son segment inférieur, qu'il
respecte les voies
cochléo-vestibulaires comme la corde
vocale et qu'il s'accompagne d'une
discrète monoparésie
brachiale.
Du point de vue physio-pathologique un
seul point nous paraît obscur : le
substratum anatomique de l'abolition des
réflexes nauséeux et du voile.
En effet il n'est pas possible d'expliquer
par l'hypertension intracranienne, qui
d'ailleurs resta modérée dans
les deux cas, cette abolition puisqu'elle
persista dans la période
postopératoire.
Ce groupement symptomatique qui pourrait
abuser un observateur non averti et lui faire
croire à une lésion de la fosse
postérieure ou de la base du
crâne est à rapprocher des
paralysies des nerfs crâniens que l'on
peut observer par compression à
distance dans l'évolution des tumeurs
frontales médianes . Ces deux
séries de faits montrent combien il
faut être prudent dans
l'interprétation d'une paralysie
siégeant sur le territoire d'un nerf
cranien et s'entourer de tous les examens
paracliniques dont on peut disposer.
Conclusion : Le syndrome
unilatéral de l'opercule rolandique est
fait d'une paralysie contro latérale
facio-linguo-pharyngo-cléido-masticatrice,
avec abolition des réflexes
vélopalatin et nauséeux et
comportant une atteinte du facial
supérieur. Ce syndrome est très
comparable à celui qui a
été décrit en 1926 par
Foix, Chavany et Marie, mais ce dernier
était bilatéral.
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