Observation : Un garçon,
gaucher, âgé de 10 ans 4 mois, fut
victime le 24 août 1996 d'un accident de
la voie publique à l'origine d'un
traumatisme crânien grave avec coma
d'emblée, sans signe de localisation qui
fut évalué à 6 selon le
score de Glasgow. L'examen initial mit en
évidence deux larges plaies, frontale
droite et temporopariétale gauche, ainsi
qu'un hémopéritoine
modéré en rapport avec une
fracture du pôle inférieur de la
rate. Un remplissage massif fut
nécessaire au cours duquel
l*hémodynarnique fut
contrôlée. Le scanner X montra une
double fracture du crâne frontale droite
sans embarrure associée à une
contusion cérébrale
frontotemporate droite, une hémorragie
méningée et un dème
cérébral modéré.
L'évolution fut marquée à
J2 par l'élévation de la pression
intracrânienne au-delà de 30 mmHg.
Un hématome extradural frontotemporal
gauche de volume modéré avec petit
effet de masse fut mis en évidence par un
nouveau scanner X et évacué
chirurgicalement à J3. Au réveil
à J9 existaient une hypertonie
modérée des quatre membres sans
déficit moteur, un trismus et un bavage
continu. L'enfant présentait une
diplégie faciale et essayait de parler
sans succès. L'évolution se fit
vers une récupération rapide de la
marche. L'EEG à J20 montra un
ralentissement bilatéral
prédominant à droite. Sur l'IRM
à 1 mois, seules des lésions
parenchymateuses droites de type
ischémo-hémorragique
étaient présentes : hypersignal en
TI et hyposignal en T2 de siège frontal
inférieur (touchant l'opercule et la
partie postérieure de F3) et temporal
(polaire). À gauche, il persistait une
fine lame d'hématome extradural frontal
et un hydrome sous-dural frontal.
À l'arrivée dans le service
à J45, l'enfant était
coopérant mais impulsif et d'humeur
labile. La motricité globale était
normale. La face était atone,
particulièrement la partie
inférieure et la bouche béante
avec bavage quasi permanent. Il n'y avait pas de
mouvement volontaire des lèvres ni de la
langue. L'enfant était toujours mutique
et se faisait comprendre par gestes. Le temps
buccal de la déglutition était
extrêmement perturbé avec une
préhension des aliments très
anormale. L'enfant ne pouvait mastiquer ni
propulser les aliments vers le pharynx, ce qu'il
obtenait en s'aidant des doigts et en projetant
la tête en arrière. Aucune fausse
route n'était notée. À
l'examen, l'exécution des mouvements
volontaires simples tels que tirer la langue,
gonfler les joues, avancer les lèvres
était impossible. Contrastant avec ce
trouble de la commande existait une
spectaculaire dissociation
automatico-volontaire. Ainsi l'enfant ne
bavait plus lorsque son attention était
détournée par le jeu et sa mimique
devenait riche lors d'activités
automatiques complexes tels le
bâillement, le rire et le pleurer. Les
réflexes nauséeux,
vélo-palatin, massétérin
étaient présents ainsi que
l'orbiculaire des lèvres et un
palmo-mentonnier bilatéral. La
réaction au goût était
exacerbée. Enfin, le déplacement
du regard vers le haut et à gauche,
impossible sur commande, était obtenu
automatiquement. L'efficience intellectuelle de
cet enfant dont le niveau scolaire
antérieur était très moyen
fut trouvée inférieure à la
norme sans dissociation (WISC-R : QIV : 85, QIP
: 79, QIT: 80).
L'étude du langage écrit
n'identifiait pas d'élément
aphasique mais J'aggravation d'une
dyslexie-dysorthographie pour laquelle l'enfant
avait été
rééduqué auparavant.
À 18 mois de l'accident, on observait une
légère amélioration de la
commande volontaire de la sphère
buccolinguale. L'enfant ne bavait plus,
l'alimentation restait lente et spectaculaire.
La parole, incompréhensible en dehors de
réponses prévues dans un contexte
donné, n'était pas utilisée
dans la vie quotidienne. L'amélioration
du comportement était indéniable :
l'enfant avait pris de l'assurance,
étaient bien inséré parmi
ses pairs, acceptant mieux le regard d'autrui,
notan ment pendant les repas. Sur l'IRM, seule
persistait une petil image punctiforme en
hypersignal T2 correspondant à la
lésio frontale droite (Fig. 2). Deux IRM
fonctionnelles échouèrent fournir
des données complémentaires, le
protocole proposé l'enfant ne pouvant
être réalisé.
Discussion : Nous avons choisi de rapporter
cette observation du fait d son
intérêt diagnostique, de la
singularité de son contexte d survenue et
des réflexions qu'elle a suscitées
sur le mode d prise en charge
thérapeutique. Cette observation comport
les caractéristiques cliniques du
syndrome de Foix-Chavany et Marie,
considéré comme la forme corticale
ou operculair du syndrome pseudobulbaire. La
première observation fut rapportée
par Magnus (1837), l'entité fut
décrite par Foix Chavany et Marie (1926a,
1926b), illustrée dans la thèse de
Thurel (1929) et modélisée par
Alajouanine et Thurel (1993 La thèse
d'Emile (1965) portait sur les syndromes pseudo
bulbaires d'origine corticale. Weller (1993)
reprit les cas de la littérature et
dénomma l'atteinte syndrome de Foix
Chavany et Marie. Anatomiquement, il y a une
lésioin bilatérale du faisceau
corticonucléaire dans sa portion
corticale (opercule
rolandique, insula) ou sous-corticale avec
nécessairement au moins une atteinte
corticale. Ce syndrome comporte une atteinte
massive de la commande volontaire des muscles
dépendant des cinquièmes,
septièmes, neuvièmes
dixièmes et douzièmes paires
crâniennes.
Le caractère massif et handicapant de
ce trouble de la commande
facio-linguo-masticatoire contrastant avec une
spectaculaire dissociation automatico-volontaire
constitut le fondement du SFCM. Les patients se
présentent avec la face atone, la bouche
demi-ouverte et un bavage continu Un trismus est
possible. La langue est inerte sans
fasciculation ni atrophie. La sensibilité
de la face et de la langue et le goût sont
respectés. La
dépressibilité
rétromaxillaire est augmentée par
hypotonie des masséters. Le
réflexe vélo-palatin est presque
systématiquement aboli, le
nauséeux peut être diminué
ou absent alors que les réflexes
pharyngien et cornéen sont
préservés. Il y a
exagération des réflexes
massérerin et orbiculaire des
lèvres. Cette atteinte est à
l'origine d'une suspension de la parole
(anarthria dans la littérature
anglo-saxonne) et d'une perturbation majeure du
temps buccal de la déglutition. La
préhension, la mastication,
l'insalivation nécessaires à la
constitution d'un bol alimentaire
homogène, puis la propulsion
postérieure linguale des aliments sont
impossibles ou très
altérées. Les patients s'aident
des doigts pour pousser les aliments vers
l'arrière. Le réflexe pharyngien
est normal et peut alors permettre le
déclenchement d'une déglutition
sans fausse route. Il n'y a pas
d'élément aphasique, la
compréhension verbale est normale. Il ne
s'agit pas non plus d'une apraxie buccofaciale
puisque les mouvements simples buccolinguaux
sont atteints (Chevrie-Muller et Narbona, 1995).
Le territoire du facial supérieur peut
être touché donnant une atteinte
pseudopériphérique mais sans signe
de Charles Bell. Une atteinte de la commande
volontaire de l'oculomotricité peut
exister. Le syndrome est isolé en
l'absence de lésion anatomique
associée.
Weller (1993) qui a repris 62 cas de la
littérature, distingue cinq contextes de
survenue : après accidents vasculaires
cérébraux, le plus fréquent
et uniquement chez l'adulte, post-infectieux,
lors de dysplasies corticales
périsylviennes (macrogyrie,
polymicrogyrie), post-critique (crises
rolandiques partielles de l'enfant) et beaucoup
plus rarement lors d'atteintes
dégénératives. Il n'est pas
cité de cas d origine traumatique. Douze
des 62 patients sont des enfants. Isabelle
Richard (1990) dans sa thèse rapporte le
cas d'un SFCM chez une femme de 35 ans
après tentative d'autolyse par arme
à feu avec porte d'entrée
temporale gauche et au scanner X des
lésions parenchymateuses étendues
presque symétriques des deux
régions frontotemporales. Il n'y a pas
d'autre cas rapporté d'origine
traumatique. Le contexte de survenue de notre
observation semble donc être singulier.
Par ailleurs, le type de lésions
observées et le maintien pendant
l'évolution initiale d'une
hémodynamique correcte ne sont pas en
faveur d'un mécanisme anoxique.
L'évolution clinique chez notre
patient est conforme à ce qui est
rapporté dans la littérature
(Weller, 1993): le pronostic fonctionnel, en
dehors du contexte épileptique, est
médiocre ou mauvais. Le trouble de la
déglutition persiste et la plupart des
patients acquièrent leur propre
méthode pour déclencher le temps
pharyngien de la déglutition. Quelques
patients ont dû subir une gastrostomie. Le
maintien d'une altération majeure voire
d'une suspension de la parole constitue
également l'éventualité la
plus fréquente. Dans notre observation,
la persistance d'une atteinte clinique
sévère contraste de plus avec le
caractère minime et unilatéral des
lésions parenchymateuses
identifiées par l'IRM la plus
récente. Les modalités de la prise
en charge thérapeutique (en dehors des
moyens de suppléance telle la
gastrostornie) ne sont pas
précisées dans l'article de Weller
(19,93). Pour notre patient trois
éléments ont été
déterminants : le fait qu'il s'agisse
d'une atteinte de la commande volontaire et non
d'un trouble phasique ou praxique (Lozano et
Guatterie, 1994 ; Lozano et Guatterie, 1997 ;
Malherbe et al., 1992 ; Chevrie-Muller, 1995),
le jeune âge de notre patient (des
activités courtes, ludiques sont
choisies) et le caractère acquis et subit
de l'atteinte. Ce mode de survenue, mais
également la faible
récupération, ont rendu
l'acceptation des incapacités très
difficile. Il faut souligner la
répercussion sociale de ce syndrome. Une
psychothérapie a été
très rapidement proposée à
l'enfant et un soutien psychologique aux
parents. Un mode de suppléance
fondé sur la gestualité,
l'utilisation du langage écrit et de
pictogrammes a été
institué. Une orientation est
envisagée en milieu scolaire
adapté.
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Characteristically, patients with
anterior operculum syndrome (AOS), also known
as Marie-Foix-Chavany syndrome cannot perform
voluntary movements of the face, jaw, tongue,
and pharynx. As a result, they are unable to
speak, swallow, grimace, smile, or carry out
any other voluntary facial masticatory or
linguopharyngeal movement. At the same time,
involuntary movements of the aforementioned
muscles are fully preserved. Laughing,
yawning, and coughing, as well as mimicking
movements accompanying emotions, eye closure
during sleep, or the blink reflex are
unaffected. The pathoanatomic substrate of
this voluntary-involuntary dissociation is a
bilateral lesion of the frontoparietal
operculum usually caused by ischemic strokes.
The prognosis is usually poor, especially
concerning the ability to speak and eat. The
name Marie-Foix-Chavany for this syndrome is
fully established, although the
characteristic voluntary-involuntary
dissociation is not mentioned in the original
French publication of 1926. We present a case
and discuss clinical features,
pathophysiology, and differential diagnosis
of AOS. In a 7-year follow-up, we observed
better functional outcome than is commonly
described in the literature.