-
- Test
de susceptibilité à la
contagion du
bâillement
- Contagious
yawning -
Réplication
du
bâillement
bibliographie
complète
-
- Yawning:
unsuspected avenue for a better understanding
of arousal and
interoception
- Echokinetic
yawning, theory of mind, and
empathy
-
- Résumé
- Le bâillement est une
stéréotypie comportementale
observée chez tous les
vertébrés, qu'ils soient
homéothermes ou poïkilothermes,
vivant sur terre, dans l'eau ou dans les
airs. Le bâillement apparaît donc
comme un vestige ancestral commun maintenu
sans variation morphologique notable, tout au
long de l'évolution. On distingue
trois types différents de
bâillements. Le bâillement «
universel » est associé aux
rythmes circadiens, c'est-à-dire aux
alternances sommeil / éveil et aux
sensations de faim / satiété.
Présent seulement chez les
mammifères (et peut-être les
oiseaux), un autre type de bâillements
est associé aux émotions et
à la sexualité dans quelques
espèces. Il exerce une fonction
d'homéostasie apportant le calme
après le stress. Les éthologues
appellent ce type de comportement une
activité dérivative. Enfin, le
bâillement dit contagieux n'est
observé que chez les grands singes et
l'Homme, les éléphants, le
chien sous certaines conditions et
peut-être quelques perroquets, les rats
et les porcs. Cette capacité à
répondre involontairement aux
bâillements des autres nécessite
d'être capable d'attribuer un
état mental à l'autre
(théorie de l'esprit) et de
décoder les émotions d'autrui
afin d'en partager le ressenti (empathie). La
contagion du bâillement
n'apparaît chez l'enfant que vers
quatre ans, ce qui indique la
nécessité d'une maturité
fonctionnelle des régions corticales
qui la sous-tend. L'étude de cette
réplication comportementale
involontaire est une voie de recherches,
méconnue, des processus sociaux
mimétiques.
-
- Abstract
- Yawning is a stereotyped behavior,
observed in cold-blooded and warm-blooded
vertebrates, from reptiles with rudimentary
"archaic" brains to human primates, in water,
air, and land environments. Yawning appears
to be an ancestral vestige maintained
throughout evolution with little variation,
bearing witness to its early phylogenetic
origins. Three different types of yawning can
be distinguished. "Universal yawning", which
is seen in all vertebrates, is associated
with daytime circadian rhythms, i.e. sleep /
arousal and hunger / satiety. "Emotional
yawning", which is only seen in mammals (and
perhaps birds), has a calming effect after
stress. Ethologists call this type of
behavior a displacement activity. Finally,
"contagious yawning", which is observed only
in great apes, in humans, in elephants, in
dogs under certain conditions and perhaps in
social parrots (budgerigar), rats and pigs,
is the ability to respond to yawning in
others.
-
- Experimental research indicates that
contagious yawning relies on the capacity
known as mental state attribution on one
hand, and the capacity to build knowledge of
mental states in oneself, on the other. These
two conditions involve a "theory of mind"
(TOM). This ability to infer mental states
and emotions in others represents an evolved
psychological capacity most highly developed
in humans and, up to a point, in non-human
primates and elephants. In addition, humans
can also empathize with others, that is,
share their feelings and emotions in the
absence of any direct emotional stimulation
to themselves. Innate emotional and
motivational processes are found to exert
unconscious and automatic influences on
social judgments and behavior. Contagious
yawning, the onset of a yawn triggered by
seeing, hearing, reading, or thinking about
another person yawning, occurs as a
consequence of the ability to infer or
empathize with what others want, know, or
intend to do, requiring the neurological
substrate responsible for self-awareness and
empathic modeling, by which a corresponding
response is produced in oneself.
-
- Functional imaging suggests that
activation of the underlying network
integrating these processes is also
responsible for decoding cognitive empathy.
As a neocortical activity (inferior-frontal
cortex, superior temporal sulcus, ventral
premotor cortex, right parietal cortex,
posterior cingulate, anterior insula, and
amygdala), contagious yawning is a sign of
involuntary empathy. Thus, we see that,
through evolution, a behavior can be recycled
for different purposes according to the
increasing complexity of the central nervous
system, correlated with the richness of
social interactions. Researches on this
involuntary behavioral replication is an
unrecognized avenue to study mimetic social
processes.
- Brève revue sur le
bâillement
- Le bâillement est comportement
observable universellement chez tous les
vertébrés ce qui signe son
ancienneté
phylogénétique. Que ce soit
dans les airs, dans l'eau ou sur terre, tous
bâillent avant ou après le
sommeil, en cas de faim ou de
satiété. Les carnivores, des
prédateurs, bâillent plus que
les herbivores, c'est à dire que plus
la ration calorique est ingérée
rapidement sous un petit volume, et donc de
haute valeur énergétique, plus
de sommeil sera autorisé / requis
[37]. En outre, ce sommeil comprend
une proportion plus grande de sommeil
paradoxal. Une des finalités du
bâillement, encore théorique,
serait d'augmenter rapidement la vigilance
[40] en engageant l'activité
du cortex attentionnel (brain network of
attention = the cingulo-opercular network)
[32] au détriment du mode par
défaut (default mode network) en
augmentant la clairance des facteurs
somnogènes accumulés dans le
liquide cérébrospinal
[39].
- A titre d'exemple, un serpent
poïkilotherme bâille comme
première activité motrice
visible quand sa température
corporelle atteint le seuil nécessaire
à sa motilité. Chacun
connaît les bâillements des
chiens et des chats mais peu ont vu une vache
bâiller, et encore plus
exceptionnellement une girafe dont le sommeil
est haché en multiples épisodes
inférieurs à cinq minutes.
-
- Uniquement chez les mammifères,
s'observent des bâillements en lien
avec le stress. De par sa tonalité
dominante finale parasympathique (ocytocine _
dopamine _ acétylcholine), ce
comportement généré par
quelques milliers de neurones
ocytocinergiques de la partie parvocellulaire
du noyau paraventriculaire de l'hypothalamus,
apaise après le déclenchement
du stress, autorisant une homéostasie
des systèmes d'alerte et de protection
de la survie [18]. On peut en
rapprocher l'observation de bâillements
associés à la sexualité
dans certaines espèces à vie
sociale réglée autour d'un
mâle dominant (le macaque dominant
bâille avant de s'accoupler, comme pour
afficher son statut) [7].
- Enfin, réservée à
quelques espèces sociales et
coopératives, la réplication du
bâillement (alias contagion), ou encore
mieux l'échokinésie, mot
forgé par Jean-Martin Charcot
(1825-1893), n'est actuellement
documentée que pour les grands singes
(l'Homme, le chimpanzé et le bonobo),
l'éléphant, le loup, c'est
à dire uniquement des espèces
réussissant le test de
l'auto-reconnaissance dans un miroir.
Certains perroquets et des chiens,
après une longue vie commune avec un
maître humain, à l'origine d'une
complicité comportementale, ont
réussi cette réplication
inter-espèces sans y être
sensible entre congénères
[15]. Des études concernant
les loups et les porcs semblent
évoquer l'existence d'une
réplication des bâillements mais
les méthodologies
expérimentales mises en uvre ne
permettent pas de s'assurer que les
bâillements ne sont pas simplement
synchrones, en raison de rythmes de vie
identiques d'un groupe de
congénères au sein d'une meute
ou d'un élevage.
- Il est possible d'interpréter ces
différentes modalités du
bâillement comme un témoignage
d'un recyclage d'un comportement, au cours de
l'évolution, secondaire à la
complexification du système nerveux,
évoluant depuis la survie individuelle
jusqu'à celle d'un groupe social
coopératif. C'est plus
spécifiquement cette
réplication du bâillement qui
nous intéressera maintenant.
-
- Imiter : apprendre et
communiquer
- Seule une perspective
évolutionniste et
développementale permet
d'appréhender le
bénéfice apporté par
l'imitation aux êtres vivants en
groupes sociaux. Plusieurs niveaux de
complexité s'attachent à cette
faculté. Franz-Joseph Gall (1758-1828)
reconnaît déjà
l'imitation comme « une faculté
fondamentale » et lui assigne une
position déterminée
[10]. James Baldwin (1861-1934)
[1], au XIXe siècle, puis
Henri Wallon (1879-1962) [36] dans
l'entre-deux guerres, ont décrit le
mimétisme comme un comportement de
partage émotionnel, notamment comme la
première forme d'interaction
mère-enfant. Cette forme
considérée comme une imitation
de bas niveau a été
véritablement démontré
par Andrew Meltzoff en 1983 [26].
D'abord appréciée comme une
activité sous corticale transitoire au
début du développement, ce
mimétisme est, en fait, une
première étape évolutive
se complexifiant et conduisant au-delà
de la troisième année de la vie
à l'imitation volontaire
requérant une capacité de
planification, de représentation d'un
programme, sa mémorisation puis sa
reproduction. Cette forme d'imitation
évoluant de l'involontaire vers le
volontaire est la forme essentielle de la
transmission culturelle, porteuse d'une
référence à l'autre
comme agent. Loin de se cantonner aux
acquisitions motrices
élaborées, cette faculté
autorise le développement du langage
et est donc indispensable à toutes les
modalités de communication. La
psychopathologie développementale en
est le miroir inverse [12].
-
- Les années 2000 marquent une
rupture épistémologique.
Apanage presque exclusif des psychologues
développementalistes, l'étude
de l'imitation intègre à partir
de cette date, pleinement, les sciences
cognitives sous toutes leurs facettes. La
mise en évidence de neurones
spécifiques présents dans les
aires motrices, dits neurones miroirs,
étend le domaine de l'imitation vers
un nouveau chapitre de la neurobiologie
cognitive, le décodage de
l'intentionnalité. Cette étape
ouvre alors la voie aux recherches
consacrées à la perception et
la transmission interindividuelle des
émotions. La réplication du
bâillement en a incidemment, un peu
seulement,
bénéficié.
-
- Réplication du
bâillement
- L'émetteur du bâillement n'a
aucune motivation à déclencher
le bâillement d'autrui. Le receveur
doit être dans un état mental
particulier pour l'exprimer ; endormi ou
concentré dans un travail
intellectuel, le sujet est insensible au
bâillement de l'autre. La vue est la
modalité de déclenchement la
plus fréquente mais le son seul peut
suffire, et même la suggestion mentale
[24]. Lire un texte évoquant
le bâillement peut faire bâiller.
Vous en cet instant, peut-être ! Une
fois enclenché, ce bâillement
déclenché par un autre ne peut
être arrêté.
-
- Environ 75% de la population est sensible
au bâillement de l'autre. Certaines
altérations des capacités de
décodage de l'expression des
émotions seraient la cause de
l'insensibilité au bâillement
d'autrui comme l'autisme et l'alexithymie
[6,23]. Le niveau d'attachement
familial module cette sensibilité
à bâiller. Par exemple, une
mère est plus sensible aux
bâillements de son bébé
qu'elle ne l'est aux bâillements d'un
enfant qui n'est pas le sien. Les
chimpanzés sont plus réceptifs
aux bâillements du mâle dominant
qu'à ceux d'autres membres de la tribu
alors que chez les bonobos, où la
dominance est l'apanage d'une femelle, c'est
celle-ci qui reçoit le plus de
bâillements en écho de sa propre
émission [30].
L'éléphant est plus
réceptif aux bâillements de son
cornac qu'à ceux d'autres humains,
cette modalité inter-espèce
étant remarquable [34]. Une
étude ancienne a montré que
plus une personne bâille facilement en
réponse à un bâilleur,
plus elle est réceptive aux messages
publicitaires !
-
- La finalité de cette
réplication n'est encore que
supputée. Est-ce une synchronisation
interindividuelle des états de
vigilance ? Est-ce une conséquence,
sans but propre, des capacités des
grands singes à user d'une
communication non verbale au sein de patterns
complexes d'interactions sociales ? Gestes,
postures, expressions faciales sont des
indices et signaux de l'état
subjectif, émotionnel et intentionnel
d'un individu. Interagir avec lui
nécessite une capacité
cognitive de décodage, activité
initialement automatique et involontaire, qui
permet de comprendre et d'inférer les
intentions et les émotions de l'autre.
Cette capacité, dans sa forme la plus
évoluée chez l'Homme, autorise
de s'approprier la perspective d'autrui, de
s'identifier à lui afin de donner une
interprétation, de prédire, ce
qu'il croit et ressent. Tout ceci
définissant la théorie de
l'esprit (Theory of Mind / TOM)
[8].
-
- Enfin, notons que l'enfant n'est sensible
à la réplication du
bâillement qu'à partir de la
quatrième année de la vie,
c'est à dire après avoir acquis
la capacité de réfléchir
à ce que l'autre pense, à
attribuer des états mentaux à
autrui. Un état de maturation
cognitive, d'ordre fonctionnel, est donc
nécessaire afin d'être sensible
à la réplication du
bâillement. Ainsi, un lien
phénoménologique apparaît
entre la capacité à attribuer
un état mental à autrui, qui
est à la base de l'empathie, et la
réplication du bâillement
[29].
-
- Dieu existe parce que le
bâillement est contagieux
- La TOM sous-entend le décodage de
l'intentionnalité des gestes (au point
de vue moteur) et le décodage des
émotions (au niveau sensitif et
émotionnel). En conséquence,
elle autorise la récursivité
« je sais que tu sais que je sais
». En sont nées les
stratégies d'alliances et de
coopération, la compréhension
de la souffrance de l'autre (empathie)
autorisant de l'aider [20]. Ces
capacités cognitives sont à la
base de l'invention de Dieu. Dieu a, de tous
temps et en tous lieux, une
représentation humaine. On dialogue
avec lui, on lui attribue des opinions, des
désirs, des directives et des
récompenses. Les croyants agissent en
fonction du jugement qu'ils pensent que Dieu
leur attribue, illustration de la
récursivité. Ces
capacités cognitives sont
déficitaires dans l'autisme et
perturbée dans la
schizophrénie. Combien de
délires schizophréniques ont
pour thème Dieu, résultats
d'une inversion des attributions ? Le concept
de Dieu (ce qu'il devrait être s'il
existait) n'est pas inné mais
nécessite un apprentissage qui ne peut
être opéré que lorsque
les circuits neuronaux sous-tendant les
capacités cognitives de la TOM
deviennent fonctionnels, c'est à dire
entre 3 et 5 ans [4]. L'enfant plus
petit ne juge les situations que de son point
de vue mais n'a pas la capacité
d'imaginer la situation telle que vue par un
autre. Il ne peut donc pas envisager un Dieu
[33]. Par analogie, on peut en
déduire que le concept de Dieu n'est
possible que par la mise en action de
capacités cognitives
élaborées, les mêmes que
celles à l'origine de la
réplication du bâillement, c'est
à dire aux capacités d'empathie
et d'imitation, apparues tardivement au cours
de l'évolution des hominidés
[38]. Le langage est clairement le
support supplémentaire
nécessaire au concept de Dieu. Les
grands singes répliquent leurs
bâillements, mais sans langage
articulé, véhicule
indispensable à l'abstraction, ils
n'ont pas besoin d'implémenter un Dieu
pour articuler leur vie sociale
hiérarchisée et les
récompenses associées
matérielles et psychologiques.
-
- De la résonnance motrice
à la contagion
émotionnelle
- Les régions corticales qui
s'activent au cours de la perception d'une
action réalisée par une autre
personne, sont précisément
celles qui sous-tendent l'exécution de
cette action. Lorsqu'un individu observe le
geste d'autrui, le programme moteur de ce
même geste est activé dans le
cerveau de cet observateur, ce qui montre que
celui-ci se sert de son propre système
moteur, ses neurones miroirs, afin de se
représenter le geste d'autrui
[25]. Le mouvement perçu doit
être biologique, naturel, c'est
à dire qu'il respecte les contraintes
biomécaniques du corps [41].
Résultat de réponses
adaptatives sélectionnées par
l'Évolution, cet automatisme moteur
coopératif valorise la vie en groupe
en termes de sécurité face aux
prédateurs (Pensez aux pigeons qui
s'envolent devant vous quand vous marchez sur
un trottoir, un seul vous a vu et tous
prennent l'air) [2]. Cependant, la
réplication du bâillement ne
répond pas à ce
mécanisme élémentaire
comme l'indique son délai d'apparition
et son inconstance.
-
- La reconnaissance des visages humains
répond à l'activation de
neurones, spécifiquement
dédiés, au niveau temporal. La
région temporale inférieure
permet une identification immédiate
d'un visage dans sa globalité, tant
pour l'identité que pour l'expression,
en possédant, apparemment, une
mémorisation autonome, non
hippocampique [3]. Le sulcus temporal
supérieur (STS) s'active, lui,
spécifiquement lors de perception des
mouvements des yeux, de la bouche,
suggérant son implication dans la
perception visuelle des émotions
[31]. L'activation du STS lors de la
réplication du bâillement, de
façon automatique et involontaire, se
transmet vers la région
péri-amygdalienne gauche, le cortex
cingulaire postérieur et le
précuneus [5]. Ces structures
sont associées à la
discrimination des émotions
exprimées par la face humaine et,
notamment, dans l'appréciation de la
véracité du ressenti
exprimé. L'absence d'activation de
l'amygdale elle-même indique l'absence
de perception de peur, et témoigne
d'un état apaisé du receveur de
la stimulation pendant qu'il perçoit
un bâilleur. La perception est
multimodale et active le système
limbique (insula, péri-amygdale) ce
qui permet d'apprécier le
bâillement comme une forme
d'émotion quant à sa
propagation interindividuelle
[27].
-
- Par un mécanisme similaire, la
perception d'une émotion, sous la
forme d'une expression faciale, engendre son
mimétisme automatique. Celui-ci
provoque à son tour des stimuli
afférents en provenance des
récepteurs musculaires et
aponévrotiques faciaux qui
déclenchent l'évocation de
l'émotion perçue chez / pour le
receveur. Parmi toutes les émotions,
les différences se situent au niveau
du lien de l'émotion à
l'action/réaction (la peur par
exemple) et le degré de socialisation
de l'expression émotionnelle (la joie
par exemple). L'exemple paradigmatique de
cette contagion motrice est la peur,
émotion la mieux perçue et
traitée avec très peu de
filtres cognitifs en lien avec des
informations contextuelles [13]. A
l'opposé, la colère,
émotion sociale par excellence, est
associée à un contexte
d'interaction au traitement cognitif plus
important avec une inhibition de la
réaction motrice immédiate.
Ceci indique l'existence d'une
hiérarchie des émotions et des
mécanismes qui sous-tendent leur
traitement cognitif, résultat de
l'évolution et de l'apprentissage,
avec en corollaire des dissociations
pathologiques entre la contagion motrice et
les capacités socio-affectives
(autisme) [22].
-
- Cette hiérarchie distingue le
niveau basique où le mimétisme
comportemental, de type perception-action,
égalise contagion et synchronisation ;
un niveau intermédiaire où la
contagion motrice, notamment
émotionnelle, permet une transmission
d'informations sur la nature de
l'émotion, son traitement involontaire
avec une mémoire individuelle de
situations analogues vécues
antérieurement perfectionne la
réponse adaptée, donc un
traitement cognitif de bas niveau (la
réplication du bâillement) ;
enfin une contagion émotionnelle
élaborée complexe avec
capacité de réponse
différée et
élaborée pouvant conduire
à une inhibition, c'est à dire
à l'absence de réaction
extériorisée motrice mais
seulement psychologique (la psychologie des
foules de Gustave Le Bon (1841-1931)
[19] ou l'affaire du Levothyrox©
par exemple). Ces niveaux s'incorporent les
uns aux autres comme des poupées
russes.
-
- La perception sociale et la
résonnance comportementale
- Il existe un lien entre la perception
sociale et le comportement. Jean-Gabriel
Tarde (1843-1904) s'est penché sur ce
thème en 1890 dans son livre «
Les lois de l'imitation, étude
sociologique » [35]. La
perception du comportement moteur des autres,
ainsi que l'activation automatique des
appartenances à des catégories
plus abstraites (par exemple raciales, de
genre, liées au rôle ou la
fonction), se produit passivement. La
capacité innée d'imitation
initie un comportement similaire à
celui observé passivement. C'est le
lien perception-comportement [9].
Prosper Lucas (1808-1885) l'a
déjà bien explicité dans
sa thèse soutenue le 28 août
1833, présidée par Gabriel
Andral (1797-1876) : « cette
faculté est même si constamment
active qu'on en perd presque la trace, et que
la plupart des faits imitatifs
s'exécutent sans y penser. Mais du
moment que l'on y réfléchit,
elle paraît occuper une si large place
dans la série des faits individuels ou
sociaux, qu'au-delà de certaines
limites on ne peut plus voir en elle un
accident mais une fonction d'espèce
» [21]. Les conséquences
sociales potentielles des tendances à
l'imitation et au mimétisme naturels
peuvent être modulées par
l'attention autocentrée. Ainsi des
processus inconscients provoquent des
processus conscients mais ceux-ci, à
leur tour, mettent en mouvement d'autres
processus inconscients. Les processus sociaux
et psychologiques abstraits utilisés
à l'âge adulte, découlent
d'un apprentissage très précoce
de l'environnement physique. Cet
apprentissage construit de solides liens
associatifs qui exercent leur influence tout
au long de la vie, réduisant
l'adaptation comportementale consciente ou
élaborée (mettre sa main devant
sa bouche pendant le bâillement). La
pensée consciente est causale et met
souvent en jeu des processus automatiques ;
de même, les processus automatiques
provoquent et influencent
régulièrement des processus de
pensée conscients. Ces deux formes
fondamentales de traitement de l'information
humaine fonctionnent ensemble et, en fait,
l'une ne peut pas fonctionner sans le soutien
et les « conseils » de l'autre
[14].
-
- La communication émotionnelle a
permis la formation des premiers groupes
humains. Le partage des émotions
favorise et renforce les liens au sein du
groupe, participant à la communication
rapide d'informations qui facilitent la
coordination des activités du groupe
sachant que le contexte social module le
mimétisme automatique. Ce contexte,
c'est l'évaluation de la situation, de
la relation entre individus, des normes du
groupe, etc., mettant en jeu des
mécanismes cognitifs dits de haut
niveau, non automatisés, assujettis
à une forme de contrôles
inhibiteurs par le cortex pré-frontal
[17]. Cette zone du cortex s'est le
plus développée au cours de
l'Évolution [16]. Une de ses
causes est l'augmentation de la taille des
groupes d'hominidés qui a
entraîné une complexification
des relations en leur sein. Les
mécanismes de régulation de
l'imitation spontanée sont alors
primordiaux, devenant un avantage adaptatif
majeur, l'avènement du langage
parlé le rendant encore plus
prégnant.
-
- Un groupe social se hiérarchise
spontanément, un leader apparaissant
en quelques heures. L'aptitude de ce dernier
à verbaliser, sa capacité de
relation avec chacun des membres du groupe,
engendrent une identification de chaque
membre du groupe à ce leader. Le
mimétisme comportemental s'installe
alors automatiquement, source
d'économie en travail cognitif de
chaque membre, à l'origine du
comportement moutonnier
(phénomène de la mode
également) [1]. Ne dit-on pas
« un semblable » pour qualifier
autrui ? Si ce leader émet un message
simple, répondant d'une façon
simplifiée à un problème
complexe, l'automatisme comportemental
d'imitation est à l'origine d'une
agrégation rapide de nouveaux
suiveurs, phénomène à
l'origine des foules manipulables et
manipulées [11]. Mais gardons
en mémoire que « des explications
existent, elles ont existé de tout
temps, parce qu'il y a toujours une solution
simple à chaque problème
humain, une solution nette plausible et
fausse » [28].
-
- La réplication du bâillement
apparaît donc bien comme une piste
adaptée à l'exploration fine
des comportements d'imitation involontaire.
Une piste encore bien peu empruntée
!
-
- En conclusion
- Le bâillement est un comportement
universel dont, paradoxalement,
l'étude est négligée
alors que chacune de ses facettes ouvrent des
voies de compréhension d'états
variés mais fondamentaux de la vie
individuelle (sommeil/vigilance-attention),
et de la vie sociale
(réplication/émotion-empathie).
Sa disparition sous neuroleptiques prive les
psychiatres de son observation mais les
antidépresseurs
sérotoninergiques sont, eux, à
l'origine d'un effet iatrogène devenue
la cause la plus fréquente
d'excès de bâillements, pouvant
monter à plusieurs centaines par
jour.
-
-
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