- Plusieurs biographies se sont
déjà chargées
d'éclairer la personnalité et
l'oeuvre de Georges Gilles de la Tourette
[1,2,3]. Notre propos est de proposer
des documents inédits, notamment des
courriers échangés, d'une part,
par Gilles de la Tourette avec son Maître
Jean-Martin Charcot, et d'autre part, avec son
ami, le journaliste Georges Montorgueil du
journal L'Eclair de Paris.
-
-
- Georges Gilles de la Tourette est né
le 30 octobre 1857, dans le Poitou, au centre de
la France, près de la petite ville de
Loudun. Ces lettres lèvent le voile sur
des relations amicales ignorées et
rendent parfaitement compte du climat de
l'époque, du quotidien de Gilles de la
Tourette et de Charcot. Elles sont souvent
émouvantes par l'intimité dans
laquelle elles nous font pénétrer.
Trois lettres manuscrites sont adressées
par Charcot à Gilles de la Tourette et
proviennent du musée d'histoire locale de
Loudun (Musée Charbonneau Lassay).
À l'inverse, tous les autres courriers
sont de la main de Gilles de la Tourette et
adressés à Montorgueil. Ils ont
été retrouvés à la
rubrique Montorgueil aux Archives Nationales
(428 AP/2).
-
- Les liens unissant Gilles de la Tourette
et Charcot.
-
- Reçu en 1881 à l'internat,
Gilles de la Tourette entre dans le service de
Charcot en 1884, alors au faîte de sa
carrière neurologique. Il a 59 ans, sa
notoriété est mondiale. Il
s'intéresse à l'hystérie
depuis une dizaine d'années. Il va
dès lors concentrer son attention sur ce
thème qui, comme l'épilepsie, met
sa méthode en échec : une
pathologie d'aspect neurologique n'a pas de
corrélat lésionnel anatomique
appréciable dans le système
nerveux. Hors deux articles en anglais paru
à New York dans le journal Forum
[4,5], il ne publiera plus, après
cette date, aucun texte sous sa propre
signature, poussant en avant ceux de ses
élèves qu'il apprécie le
plus. Nous ignorons comment vint à Gilles
de la Tourette l'intérêt pour
débrouiller les différentes formes
de chorée. Dès 1881, il avait
traduit, sans le commenter, dans Les Archives de
Neurologie, l'article de Beard paru en 1880,
dans The Journal of Nervous and Mental Diseases,
intitulé « Les sauteurs du Maine
». Charcot ne pouvait pas ignorer ce
travail. Bien que nous en ignorions les
circonstances exactes, c'est Charcot qui incita
Gilles de la Tourette à
persévérer dans cette étude
: « Nous avons nous-même, sur les
conseils de notre maître, M. le professeur
Charcot, analysé les travaux des trois
précédents auteurs (cf Beard,
O'Brien, Hammond) et montré, en juillet
1884, que le Jumping du Maine, La Latah de
Malaisie, et le Myriachit observé par les
officiers américains en Sibérie
n'étaient qu'une seule et même
affection. » Gilles de la Tourette
rapportera l'observation de la baronne de
Dampierre, examinée par Itard en 1825, et
revue par Charcot à plusieurs reprises. Y
ajoutant sept autres cas, cette matière
servira à Gilles de la Tourette pour
proposer dans son article, paru en 1885 dans Les
Archives de Neurologie, « L'étude
sur une affection nerveuse
caractérisé par l'incoordination
motrice accompagné de l'écholalie
et de la coprolalie » auquel il doit
d'avoir laissé son nom à la
postérité alors qu'il
n'était encore qu'interne
[6,7].
-
- Gilles de la Tourette fut certainement l'un
des élèves
préférés de Charcot, lui
donnant des marques d'affection par ses
invitations aux dîners du mardi, en le
soutenant moralement, au cours de la
rédaction son « Traité de
l'hystérie ». Gilles de la Tourette
assistera, le 6 août 1893, à
l'avant-dernier dîner du mardi soir,
à l'issue duquel il lui remettra un des
derniers chapitres de son « Traité
de l'hystérie » que Charcot devait
corriger. Le 14 août 1893, Charcot,
accompagné de Debove et Strauss partait
se reposer dans La Creuse et devait mourir d'un
oedème aigu du poumon, le 16 août
1893, près du lac des Settons.
-
- Trois lettres inédites de Charcot
à Gilles de la Tourette
-
- Nous avons retrouvé trois
correspondances manuscrites de Charcot à
Gilles de la Tourette.
-
- La première a été
gardée par Gilles de la Tourette. II y
mit cette annotation : « Monsieur Charcot
partant pour aller à Nice ou à
Cannes ou à Marseille pour une
consultation à Don Pedro d'Alcantara,
empereur du Brésil.
-
- « Dimanche
- Mon cher Gilles de la Tourette,
- Je suis obligé de partir ce soir
même. Je ne serai pas de retour pour la
leçon du mardi matin. Renvoyez les
malades à vendredi, je serai revenu pour
ce jour là et comme je n'avais pas eu le
temps de m'être préparé, je
montrerai la dormeuse. En mon absence, faites la
consultation mardi devant le public et si vous
rencontrez de bons malades, renvoyez les
à vendredi. Je les interrogerai de
nouveau. Avec la dormeuse, cela suffira pour la
leçon. Dites au public que j'ai
été appelé subitement et
qu'à mon grand regret, j'ai
été obligé de partir.
- Très à vous, Charcot le 27
novembre 1887.
- La deuxième (sans date)
-
- Mon Cher Gilles de la Tourette,
- Je suis fort inquiet. Bernheim ne savait pas
et j'ai les épreuves de votre
épilogue. Avait-il changé
d'idée et que faire alors il ne faudrait
plus parler du temps ? Ne pourriez-vous pas
savoir auprès de Taleur ce qu'il en
est?
- A vous Charcot
- Mardi soir.
-
- La troisième lettre est datée
du 29 décembre 1890 :
-
- Mon cher Gilles de la Tourette,
- Vous avez publiez le 17 décembre 1889
dans le progrès médical une note
« hystérie et Syphilis » et
annoncé que l'observation complète
serait publiée dans le Morgagni de Milan.
Avez-vous ce numéro de Morgagni ? Si oui
vous seriez bien aimable de me l'envoyer
aujourd'hui même, j'en aurais besoin pour
la leçon de demain.
- A vous - Charcot.
-
- Ces correspondances montrent une
familiarité telle que Charcot ne
l'exprimait pas en public, bien
différente de la réputation
d'autorité intransigeante qui «
s'exerçait vis-à-vis de ces
élèves dont aucun n'aurait
osé la braver » [1]. Dans la
première, Charcot est obligé de
partir pour une consultation urgente
auprès de l'Empereur du Brésil
[8]. Médecin des grands du monde
de l'époque, il ne craint pas de laisser,
confiant, le contrôle de son service et de
sa célèbre consultation publique
du mardi, à son chef de clinique.
Exclusif et rigoureux, il veut
réinterroger les malades, dignes d'un
intérêt pédagogique, que
Gilles de la Tourette aurait vus à la
consultation. Dans la seconde lettre, on
perçoit un homme plus empathique
qu'à l'ordinaire, mais inquiet, laissant
percevoir, de façon inaccoutumée,
le doute. Malheureusement non datée, on
comprend qu'il s'agit d'un épisode de la
querelle qui opposa l'école de Nancy
à celle de la Salpêtrière
à l'occasion du procès Eyraud -
Bompard. Au cours de l'audience de ce
procès célèbre, les experts
nommés, Brouardel et Ballet, avaient
démontré l'impossibilité
que la complice du meurtrier ait pu agir en
état d'hypnose, comme Liégeois,
représentant l'école de Nancy et
de Bernheim, l'avait soutenu à la demande
de la défense. Gilles de la Tourette
avait dû soumettre à Charcot les
épreuves de son article, paru dans Le
Progrès Médical en 1891. Mais
entre l'écriture de cet article,
glorifiant la position de La
Salpêtrière, et sa publication
s'écoula quelques semaines. Dans cet
intervalle, Bernheim avait publié une
tribune dans le journal "Le Temps" justifiant
son point de vue sur la suggestion et la
criminalité. Par la présence d'un
renvoi, au bas de la page 93 de l'article du
Progrès, on s'aperçoit
qu'après cet échange avec Charcot,
Gilles de la Tourette a ajouté : «
Dans son article du Temps (29 janvier 1891),
paru depuis la préparation du
présent Bulletin, M. Bernheim,
appréciant les opinions de la
Salpêtrière en matière
d'hypnotisme, dit un peu dédaigneusement
: "C'est un ensemble de faits
expérimentaux plutôt qu'une
doctrine, car les faits sont exposés sans
interprétation théorique".
[9,10,11]
-
- Enfin, la dernière lettre, montre
l'aspect de rapports très professionnels
entre les deux hommes. Elle illustre la
méthode utilisée par Charcot pour
préparer ses Leçons du mardi, puis
ses écrits, en cinq étapes. Cette
lettre illustre la première que Gasser
énumère ainsi:
- 1) - Rassemblement d'une documentation
diverse : notes bibliographiques, notes
personnelles, dessins, schémas.
- 2) - Rédaction d'un manuscrit qui
sera lu au cours.
- 3) - Ce manuscrit est à nouveau
repris pour une publication en revue par ses
élèves Guinon, Bourneville, Gilles
de la Tourette, etc.
- 4) - Un grand nombre de ces articles seront
rassemblés sous forme de livres.
- 5)- Ces ouvrages feront enfin l'objet d'une
dernière version dans les « oeuvres
complètes ». [12]
-
-
- Échanges épistolaires
inédits entre Gilles de la Tourette et le
journaliste Montorgueil.
-
- L'intimité
- Le journaliste Georges Montorgueil, du
journal L'Eclair de Paris, a le même
âge que Gilles de la Tourette et semble
avoir fait sa connaissance en 1892, sans que
nous ayons été capables d'en
éclaircir les modalités. Ils ne
cesseront de correspondre jusqu'à peu
avant le décès de Gilles de la
Tourette en 1904. Gilles de la Tourette lui
parle souvent de son travail, des
événements familiaux importants
mais sans jamais faire d'allusions à la
situation politique à Paris.
-
- Par exemple, cette lettre du 22 juin
1894
- « Mon cher Ami,
- Vous serez bien aimable de me faire passer
cette petite note dans votre bulletin
bibliographique du lundi. Je vous écris
surtout pour vous demander de ne pas oublier
notre réclamation au sujet d'un abri aux
Tuileries pour nos enfants; En cas de pluie rien
alors que partout aux Champs Elysées, au
Luxembourg il y a des abris .... Merci d'avance
pour les petits,
- Affectueusement à vous, Gilles de la
Tourette. »
-
- Ami d'internat et son biographe, Paul
Legendre le décrit comme "Très
ardent mais peu patient" [1]. Dans une
lettre à Montorgueil datée du 4
mai 1893, Gilles de la Tourette venant de passer
le concours de médecin des hôpitaux
s'épand prématurément
:
-
- « Cher Monsieur et ami,
- Le concours de médecin des
hôpitaux vient de se terminer pour moi.
J'avais 4 points d'avance. J'ai passé
hier dans la première séance de la
dernière épreuve et je suis
nommé. J'ai grand plaisir à vous
le faire savoir.
- Hier soir en déambulant un peu sur
les boulevards, j'ai rencontré Alphonse
Humbert (membre du conseil Municipal), notre ami
et deux de vos collaborateurs. Je leur ai
annoncé toute chaude la bonne nouvelle.
Immédiatement ils m'ont dit: « Nous
allons mettre ça dans L'Eclair
».
-
- C'était très gentil mais j'ai
dû insister pour décliner une offre
aussi aimable. Le concours ne sera
officiellement terminé que dimanche ou
lundi et d'ici là personne ne doit rien
savoir. Si donc Humbert ou un autre vous
annonçait la nouvelle prière de ne
pas vous aussi vouloir tout de suite me faire
plaisir. Aussitôt ce concours fini je vous
informerai par courrier.
- Quel drôle de monde que celui des
médecins et que de réticences.
C'est comme cela et si l'on veut les
bénéfices de cette profession, il
faut en subir les inconvénients. Je suis
très heureux car depuis 10 ans,
j'étais à la lâche,
aujourd'hui je suis libre et vais commencer par
bosser le deuxième volume de mon
traité de l'hystérie pour vous
l'offrir.
- Je vous serre bien cordialement la
main,
- Gilles de la Tourette.
-
- PS: Si malgré ma demande, mais le
fait ne se produira pas, un entrefilet passait
prière je vous en prie de le biffer. Cela
pourrait m'être très
préjudiciable. »
-
- Gilles de la Tourette a manifestement
bénéficié
d'indiscrétions quant aux
résultats du concours. Pour ne pas courir
quelques déconvenues, il eût
été bien préférable
que Gilles de la Tourette ne dise rien avant la
proclamation officielle des résultats,
surtout à des journalistes ! Une fois
rentré chez lui, le doute l'assaille, il
hésite. Les journalistes vont-ils garder
le silence ? Pour s'en assurer il écrit
à son ami Montorgueil pour qu'il veille.
Son post-scriptum y revient avec insistance; son
inquiétude est palpable, conscient qu'il
est d'avoir commis une bévue.
-
- Gilles de la Tourette connaîtra une
année 1893 dramatique [1,2,3].
Avant de perdre son maître en août,
d'être victime d'une tentative
d'assassinat en décembre, son fils Jean
décède, le 12 juillet 1893,
à l'âge de 5 ans d'une
méningite. Il écrit, peu
après, à son ami Montorgueil:
- « Cher Monsieur et Ami,
- Je reste bien fatigué de mon
douloureux pèlerinage à Loudun
.... La vie n'est pas gaie quand vos
espérances sont brisées; de bonnes
amitiés sont seules un peu consolatrices,
Bien cordialement à vous, Gilles de la
Tourette ».
-
- Le 6 décembre 1893, Rose Kamper se
présente au domicile de Gilles de la
Tourette afin de réclamer de l'argent, se
disant victime d'expériences d'hypnotisme
subies à La Salpêtrière.
Après avoir refusé, il se retourne
; aussitôt, elle tire sur lui trois coups
de feu qui le touche à la nuque, assez
superficiellement [10,11]. Dès la
fin des soins qu'il reçoit des mains du
chirurgien Delbet, son premier geste est
d'écrire d'une main mal assurée ce
bref mot à Montorgueil :
- « Je serai heureux de vous voir
aujourd'hui. La balle est enlevée. Ca va
mieux, mieux. Cordialement. Gilles de la
Tourette.
- Quelle drôle d'histoire ».
-
-
- Autre preuve de cette intimité, le
soir même du décès de Gilles
de la Tourette, Madame Gilles de la Tourette
écrira à Montorgueil pour lui
faire part de la triste nouvelle :
-
- « Lausanne le 22 mai Villa Gai
Coteau
- Dimanche soir
- Cher Monsieur,
- Je ne veux pas que vous appreniez par des
voix étrangères que mon pauvre
mari a cessé de vivre ce matin. Vous
télégraphier était bien
bref car je voulais demander un service à
votre amitié toujours si fidèle
pour lui. Je désirerais que le silence se
fasse autour de cette fin si triste et si peu
méritée. Mais si vous pensiez que
la chose soit impossible, voudriez-vous bien
dire qu'à la suite d'une longue maladie
occasionnée par le surmenage et la
fatigue, maladie qui avait
déterminé un changement d'air et
une installation avec sa famille en Suisse, mon
pauvre mari a succombé d'une attaque
d'apoplexie qui a duré 26 heures. Ceci
est d'ailleurs l'exacte
vérité.
- Merci, je suis brisée de fatigue et
surtout de douleur. Je vous envoie tous mes
souvenirs les meilleurs. Madame Gilles de la
Tourette. »
-
- La vie professionnelle
- Au retour de son service militaire,
Montorgueil sera d'abord chansonnier avant
d'être journaliste. Après avoir
été rédacteur en chef du
« Réveil lyonnais », il montra
à Paris pour tenir la rubrique «
L'actualité » au quotidien l'Eclair,
faisant de lui l'échotier attitré
des faits de société qu'il
commentera toujours avec bagout. L'Eclair du 14
décembre 1892 le présente ainsi:
« Il est strictement exact de dire que
Monsieur Montorgueil a lui-même, sans rien
devoir à aucune école, ni à
aucun maître, fait son éducation de
penseur, d'écrivain et de journaliste
».
-
- Preuve de l'amitié complice unissant
Gilles de la Tourette et Montorgueuil, on
compte, dans leur correspondance, plus d'une
dizaine d'invitations écrites à
des cérémonies,
conférences, divers dîners (par
exemple avec Barthou ministre de
l'intérieur et Picard, commissaire de
l'exposition Universelle de 1900) sans compter
les rencontres informelles chez
Montorgueil.
-
- On imagine combien Montorgueil était
friand de nouvelles et d'informations issues du
célèbre service de Charcot
à La Salpètrière. Mais
Gilles de la Tourette sût aussi user de,
plus que manipuler, Montorgueil afin de faire
paraître dans l'Eclair des informations
diverses et variées, telles l'annonce
d'une conférence, une anecdote, un
tra
-
- vail de recherche, un cours à la
Salpêtrière. Gilles de la Tourette
organisera même des campagnes de presse
acharnées pour des causes lui tenant
à coeur comme celle de la défense
du Docteur Lafitte en 1894, accusé
à tort d'avortement illégal
[13], ou de la réforme de
l'agrégation de médecine en 1895
:
-
- « Sans date - Mon cher ami,
- Je vous envoie un nouvel article du
progrès médical signé
Monsieur Baudouin .... en faveur de notre
malheureux confrère le Docteur Lafitte,
veuf père de cinq enfants. Je ne le
connais pas je n'en ai jamais entendu parler,
mais il est innocent. Je parle humainement et
non pour soutenir ma corporation. Vous savez
combien je vis en dehors des médecins.
Faites quelque chose pour lui. »
-
- Janvier 1895:
- « Mon cher ami,
- Merci d'avoir inséré tout
l'article. La campagne est énorme. J'ai
lu trois journaux ce matin l'éclair, le
Journal, le Matin. Tous les trois renferment des
articles condamnant la réforme qu'est la
négation de toute démocratie et la
perte de toute science.
- Merci encore et cordialement à vous,
Gilles de la Tourette. »
-
- Cette autre lettre, après le
procès Eyraud-Bompard, cité
ci-dessus [10]:
- 14 janvier 1893
- « Mon cher Monsieur,
- Je ne sais pas comment vous vous y prenez
pour mousser si bien vos articles et si
exactement avec aussi peu de renseignements. Je
vais vous en signaler un autre : je voulais le
faire pour ma chronique scientifique de la Revue
Hebdomadaire mais je n'ai pas le temps en ce
moment et j'ai peur qu'il passe
d'actualité....
- Peut-on endormir quelqu'un malgré lui
? Réponse: non. Tout ce que l'on dit est
de la sottise. Pouvons-nous vous convaincre ? Je
vous prie de me faire l'amitié de venir
dîner avec nous vendredi 20 janvier
à 7 h 30 (sans cérémonie).
Vous trouverez entre autres mes amis Cravard et
Lembert qui viennent de faire un traité
de l'anesthésie chirurgicale et
obstétricale. Je compléterai la
chose en vous disant « oralement »
dans quelles conditions on peut endormir
quelqu'un malgré lui (ou malgré
soi. Je suis en brouille avec
l'académie). Et nous boirons à la
santé de Théophraste Renaudot qui
vous doit une si belle chandelle. C'est entendu
n'est-ce pas?
- Cordialement. Gilles de la Tourette.
»
-
- La Revue Hebdomadaire du 1er décembre
1892 publia un texte de Charcot intitulé
« La Foi qui guérit », «
véritable manifeste anticlérical
». La foi qui guérit était un
petit brûlot contre Lourdes et
l'enseignement de l'Eglise en matière de
miracles et de foi. Charcot, à la suite
de cette publication, sera couvert d'insultes
dans de nombreux journaux catholiques. Le nom de
Lourdes n'apparaît pas une seule fois dans
le texte, mais l'allusion à « un
récent voyage d'un littérateur
célèbre à un sanctuaire
religieux » fait que personne ne pouvait
être leurré car Emile Zola s'y
était rendu en août 1892, voyage
abondamment commenté par la presse.
Charcot y niait le surnaturel. Pour lui, une
guérison miraculeuse était une
« guérison opérée en
dehors des moyens dont la médecine
curative semble disposer d'ordinaire ». Le
miracle rentrait dans « une
catégorie d'actes qui n'échappent
pas à l'ordre naturel des choses »
mais concevait que certains faits seraient,
à l'avenir, explicables : « La
science finit par avoir le dernier mot en toutes
choses ». « La Foi qui guérit
» était pour Charcot une
opération psychique
caractérisée par un état
d'intense suggestion culminant « en une
phase d'exaltation ». Il ne
méprisait pas ces dispositions mentales
ni n'ignorait ses possibilités
thérapeutiques. Il cherchait même
à en connaître la genèse. La
"Faith healing" était pour lui
l'idéal à atteindre car elle
réussissait là où la
médecine, pour le moment, échouait
et s'il ne pouvait l'inspirer lui-même, il
n'hésitait pas à laisser partir un
malade en pèlerinage. Pour Charcot, la
finalité d'un miracle était la
guérison physique, c'est à dire la
disparition des paralysies, des contractures,
etc... en opposition avec la position de
l'Eglise qui attribuait au miracle un signe
anticipatoire d'un « salut surnaturel
». La guérison physique
n'était donc pas, pour elle, une fin en
elle-même. « Bref chez Charcot, la
Foi-confiance guérit. Dans les Evangiles
et pour l'Eglise, la foi, vertu
théologale, sauve » dira Lalouette
[14,15,16].
-
- A ce sujet, le 30 octobre 1892, Gilles de la
Tourette écrit à Montorgueil la
lettre suivante:
-
- « Cher Monsieur,
- En rentrant chez moi, je trouve une lettre
d'Angleterre. L'article était parait-il
arrivé trop tard à Londres, la
traduction n'a pu en être faite à
temps. Il paraîtra donc le premier
décembre et non le premier novembre. Vous
pouvez en faire ce qu'il vous plaira à
partir du 3 décembre au matin, la Revue
Hebdomadaire paraissant le vendredi et le 3
étant un samedi. C'est partie remise.
Comme il serait désastreux pour moi (pour
les raisons que je vous ai exposées) que
vous ne soyez pas informé à temps.
Je joins (vous me le permettez afin
d'éviter un retard) une carte postale.
Signez seulement et envoyez par courrier, sans
cela j'irai à L'Eclair vous voir. Excusez
ce contre-temps involontaire ; fin novembre,
j'irai vous serrer la main ou vous
écrire. Mettez donc l'article de
côté.
- Cordialement votre dévoué,
Gilles, de la Tourette.
-
- Or, dès le dimanche 4 décembre
1892, L'Eclair publiait un article à
sensation : « Les miracles de Lourdes
jugés par Monsieur Charcot» : La
« faith-healing » (la Foi qui
guérit). Montorgueil écrit:
- « Les anglais ont demandé
à Monsieur Charcot une consultation sur
la faith healing, la « Foi qui
guérit ». C'est la visite de
Monsieur Zola à la piscine de Lourdes qui
leur a donné l'idée. Ils ont voulu
savoir ce que l'éminent praticien de la
Salpêtrière pensait des
guérisons qui se constatent dans les
sanctuaires. Il avait aussi à
répondre à la fois aux
mécréants qui nient les
guérisons, et à ceux qui les
proclament, les attribuent au miracle. Lourdes
et la Salpêtrière sont deux centres
identiques quant aux phénomènes
pathologiques dont on y peut être les
témoins. C'est le New Review qui a eu la
primeur de cette communication dont la Revue
Hebdomadaire donne aujourd'hui la traduction. Sa
conclusion est celle-ci : la piscine
guérit, le sanctuaire guérit, la
foi guérit. Mais la foi guérit les
maux d'origine hystérique que la
suggestion, qui n'est pas autre chose que la foi
sans l'appareil religieux, guérit aussi
».
-
- C'est la revue anglaise la « New Review
» qui devait publier en premier le texte de
Charcot qui ne paraîtra, en
réalité, sous le titre Faith-Cure
qu'en janvier 1893 alors qu'une version
française était parue dans la
Revue hebdomadaire du premier décembre
1892. Pourquoi ? Nous savons grâce
à la lettre de Gilles de la Tourette,
qu'en fait « l'article était
arrivé trop tard à Londres »
et que donc la « traduction n'a pu en
être faite à temps ». La
lettre de Gilles de la Tourette à
Montorgueil confirme aussi que l'article orignal
avait été écrit en
français par Charcot. En parlant de la
faith-healing ou Foi qui guérit Charcot
concluait: « En résumé je
crois que pour qu'elle trouve à
s'exercer, il faut à la faith-healing des
sujets spéciaux et des maladies
spéciales de celles qui sont justiciables
de l'influence que l'esprit possède sur
le corps. Les hystériques
présentent un état mental
éminemment favorable au
développement de la faith-healing, car
ils sont suggestibles au premier chef, soit que
la suggestion s'exerce par des influences
extérieures, soit surtout qu'ils puissent
en eux-mêmes les éléments si
puissants de l 'autosuggestion. Chez ces
individus, hommes ou femmes, l'influence de
l'esprit sur le corps est assez efficace pour
produire la guérison de maladies que
l'ignorance, où on était il n y a
pas longtemps encore, de leur nature
véritable faisait considérer comme
incurables ». Charcot, qui n'a plus que
quelques mois à vivre, se range aux vues
de l'école de Nancy en reconnaissant que
la suggestion est un puissant moyen de
guérison, que c'est la suggestion qui
oeuvre dans l'action miraculeuse des
thaumaturges. Gilles de la Tourette parle, dans
La Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière de 1893 (1893;6:246),
d'un véritable testament philosophique de
Charcot, sensible aux arguments
déjà développés par
Babinski à cette époque
[14,15,16].
-
- Gilles de la Tourette publia plusieurs
articles sur Mesmer notamment dans la Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière
(1889). Il s'est toujours battu contre le
magnétisme et son exploitation de la
crédulité publique. Dans ses
articles, il ironisait sur les techniques du
magnétisme et les « attouchements
» que l'on pratiquait, rapportait les
satires de représentations burlesques
faites sur Mesmer et sa théorie, ainsi
qu'une pièce de théâtre
« les Docteurs modernes » qui
ridiculisait Mesmer [17]. Il
écrivit à son ami journaliste
Montorgueil à propos de Mesmer :
-
- « Mon cher ami
- Merci d'avance de vos intentions toujours
excellentes. J'avais écrit ma
conférence car elle doit paraître
dans la revue internationale, c'était
déjà cela de fait mais bien
entendu je ne l'ai pas lu. Je vous l'envoie
telle que avec la plupart des planches que j'ai
projetées. Si vous faites quelque chose
vous le ferez certainement ce soir. Demain donc
je viendrai dans l'après-midi reprendre
mon manuscrit que vous aurez bien voulu
réintégrer dans une enveloppe
à mon nom remise au garçon de
bureau. En deux mots, j'ai essayé de
faire revivre Mesmer de son arrivée
à Paris 1778 à son départ
1785, et je l'ai suivi à l'aide des
caricatures et des allégories satyriques
de l'époque. J'ai montré que cet
allemand qui se disait un philanthrope
était un coquin éhonté qui
en 6 ans emporta de Paris une somme
énorme pour l'époque, après
avoir détraqué toute une
population. Que s'il avait si bien réussi
après avoir échoué
piteusement à Vienne, c'est qu'il
était venu à Paris, terre
classique du merveilleux, avec ceci en plus
qu'à la veille de la révolution
tous les esprits vibraient de ce que j'ai
appelé « le frisson nerveux qui
prélude toutes les révolutions
». J'ai montré aussi que Bailly le
maire de Paris, ne s'était pas
laissé prendre aux remarques et qu'en
particulier, Bailly, avec 100 ans d'avance, a
merveilleusement montré l'aggravation des
crises hystériques sous l'influence des
pratiques magnétiques et indiqué
le rôle de
l'hérédité...
- Comme réunion, on a refusé du
monde ....
- Dans l'assistance Madame Jules Ferry,
Monsieur Risler, Jean Charcot, etc... II ne
manquait que vous, mais ce n'était pas
votre faute. Je ne me relis pas je me sauve
à une consultation. Affectueusement,
Gilles de la Tourette ».
-
- Gilles de la Tourette, tout comme Charcot,
eu comme attitude constante d'alerter l'opinion
sur les dangers de l'hypnotisme, pas tant du
danger, soi-disant social, de crimes
suggérés, mais de l'utilisation
thérapeutique néfaste de
l'hypnotisme. Sans doute informé par lui
de ce projet d'entretien, il prévient
Montorgueil avant qu'il interroge Bernhneim
à Nancy en novembre 1897 :
-
- « Mon cher Ami
- Un dernier point. En déclarant qu'il
n'y a pas d'hypnotisme, c'est à dire pas
de phénomène pathologique rien
qu'un fait naturel, on éloigne ainsi tous
les dangers qui pourraient être
inhérents aux pratiques hypnotiques. Les
clients viennent sans crainte et ils sont
nombreux. Mais nous soutenons, nous, au
contraire que ces accidents sont nombreux et que
les pratiques hypnotiques
inconsidérées sont dangereuses et
que c'est (mot illisible) qu'il faut mener une
grande prudence. D'où éloignement
des clients.
- Tout est là.
- Cela vous ne pouvez le dire, mais vous
pouvez renvoyer Monsieur Bernheim au chapitre de
mon livre où sont exposés les
accidents hypnotiques, les dangers de
l'hypnotisme rédigés sur des
observations empruntées à de
nombreux auteurs.
- A vous affectueusement. Gilles de la
Tourette. »
-
- La présentation de ces lettres
inédites n'est pas exhaustive mais
reflète bien les évènements
du quotidien de Gilles de la Tourette, de ses
relations avec son maître et avec son ami
journaliste. Ce fond documentaire comprend
également des textes de Gilles de la
Tourette, consacrés à l'hommage
rendu à Mlle Bottard, surveillante
pendant plus de 50 ans du service de La
Salpêtrière, et le dossier qu'il
avait commencé à rédiger,
en 1901, pour postuler à la chaire
d'histoire de la médecine, laissée
vacante après la démission de
Brissaud mais jamais achevé. Ils
témoignent du début de la
démence, liée à la
paralysie générale, qui devait
emporter Gilles de la Tourette en 1904. Plus
poignantes encore que les lettres ici
rapportées, on y lit toutes les
procédures judiciaires successives
conduisant à son interdiction d'exercer,
les mesures de tutelles prises, des
témoignages familiaux et des lettres de
Jean_Baptiste Charcot et d'Edouard Brissaud sur
les derniers mois si douloureux passés en
Suisse avant d'y mourir le 26 mai 1904
[18]. Elles feront l'objet d'une
deuxième partie.
-
- En 1900, G. Gilles de la Tourette
fut médecin chef de l'Exposition
Universelle à Paris
- Bibliographie
-
- 1. Legendre
P. Gilles de la Tourette 1857 - 1904.
Bulletins et Mémoires de la
Société Médicale des
Hôpitaux de Paris.
1905;é21(3):1298-1311.
-
- 2. Lees AJ. Georges Gilles de la Tourette,
the man and his times. Rev Neurol (Pais).
1986;142(11):808-816.
-
- 3. Guilly P. Gilles de la Tourette. in
Historical Aspects of Neurosciences, edited by
F. Clifford Rose and W.F. Bynum. Raven Press,
New York. 1982:397-413.
-
- 4. Charcot JM. Magnetism and Hypnotism.
Forum of New York. 1889;8:566-577.
-
- 5. Charcot JM. Hypnotism and Crime. Forum of
New York. 1890;9:159-168.
-
- 6. Gilles de la Tourette G. Jumping, Latah,
Myriachit. Arch. Neurol (Paris).
1884;8:68-74.
-
- 7. Gilles de la Tourette. Etude sur une
affection nerveuse caractérisée
par de l'incoordination motrice
accompagnée de l'écholalie et de
la coprolalie. Arch Neurol (Paris). 1885;9:19-42
et 158-200.
-
- 8. Gelfand T. Charcot, médecin
international. Rev Neurol (Paris).
1994;150(8-9):517-523.
-
- 9. Gilles de la Tourette G.
L'épilogue d'un procès
célèbre (affaire Eyraud-Bompard).
Progrès Médical. Lecrosnier et
Babé Ed. Paris. 1891. 16p.
-
- 10. Bogousslavsky J, Walusinski O. Criminal
Hypnotism at the Belle Epoque: The path traced
by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la
Tourette. Schweizer Archiv für Neurologie
und Psychiatrie. 2009. in press.
-
- 11. Guinon
G. Attentat contre le Docteur Gilles de la
Tourette. Le Progrès Médical.
1893;2(18):446.
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- 12. Goetz CG, Bonduelle M, Gelfand T.
Charcot : Constructing Neurology. Oxford
university Press. 1995.
-
- 13. Gilles de la Tourette. L'affaire
Lafitte. Le progrès Médical.
1894;20(2):273-276.
-
- 14. Charcot JM. La foi qui guérit. La
Revue Hebdomadaire. Paris. 1892;7:112-132.
-
- 15. Lalouette J. Charcot au coeur des
problèmes religieux de son temps. A
propos de la foi qui guérit. Rev Neurol
(Paris). 1994;150(8-9):511-516.
-
- 16. Postel J et M. JM. Charcot et "la foi
qui guérit". Histoire des Sciences
Médicales. 1986;2:153-156.
-
- 17. Gilles de la Tourette. Documents
satiriques sur Mesmer. Nouvelle Iconographie de
la Salpêtrière.
1889;2:196-202.
-
- 18. Duncan G. Gilles de la Tourette :
aspects connus et méconnus de sa vie et
de son oeuvre. Thèse pour le doctorat en
médecine. Poitiers. 1995. 166p.
-
- La
maladie de Gilles de la Tourette
- GE Gilles de la Tourette La
maladie des tics convulsifs (pdf)
- Contribution
à l'étude des bâillements
hystériques Nouvelle Iconographie de La
Salpêtrière1890
- Traité
clinique et thérapeutique de
l'hystérie d'après l'enseignement
de La Salpêtrière1895
- Gilles
de la Tourette par P. Legendre pdf
- Attentat
contre Gilles de la Tourette 07/12/1893
- La
nécrologie La Presse Médicale 4
juin 1904
- La
nécrologie Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière 1904
- The forgotten
face of Gilles de la Tourette: practitioner,
expert, and victim of criminal hypnotism at the
Belle Époque Bogousslavsky J
Walusinski O
- Criminal
hypnotism at the Belle Époque : The path
traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles
de la Tourette Bogousslavsky J Walusinski O
Veyrunes D
- Correspondance
inédite de G. Gilles de la Tourette, sa
maladie fatale Walusinski O. Duncan G
- Correspondance
inédite de G. Gilles de la Tourette avec
JM. Charcot et G. Montorgueil Walusinski O.
Duncan G
- Vivre ses
écrits, l'exemple de G. Gilles de la
Tourette Walusinski O. Duncan G
- G.
Gilles de la Tourette 1857-1904 in
english
- L'état
mental de Froufrou G. Gilles de la
Tourette1892
-
- The
forgotten G. Gilles de la Tourette :
practinionner, expert, and victim of criminal
hypnotism
- Bogousslavsky J,
Walusinski O
- Neurology
submitted and refused
-
- Criminal
hypnotism at the Belle Epoque : the path traced
by JM Charcot and G. Gilles de la
Tourette
- Bogousslavsky J,
Walusinski O, Veyrunes D
- European
Neurology
2009;62(4):193-199
-
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