- L'ÉTAT MENTAL DE
FROUFROU
-
- Je prie mon collaborateur, M. Louis
Ganderax, de me pardonner si pour une fois je
chasse sur ses terres; aussi bien verra-t-il
qu'on peut poursuivre le même
lièvre de différentes
façons.
-
- Le Théâtre-Français
vient de reprendre Froufrou, et « la
comédie » de MM. Meilhac et
Halévy, que j'appelle un drame, attire
tous les soirs un nombreux public. Bien que
datant de 1869, la pièce est aussi jeune
qu'à son aurore et elle le sera toujours,
car les auteurs ont incarné dans Froufrou
une réalité:
l'hérédité morbide en
matière nerveuse, et décrit un
genre d'aliénation, de
dégénérescence mentale
qu'ils ont analysé avec un talent hors de
pair.
-
- Croyez-vous, me dira-t-on, qu'ils en aient
cherché si long et qu'ils aient voulu
porter au théâtre une thèse
de pathologie cérébrale? Peu
m'importe s'ils ont vu juste dans le sens
où je me place, et c'est pour eux double
bénéfice s'ils satisfont à
la fois l'art dramatique et la science.
-
- J'arrive à la démonstration,
et l'on ne m'en voudra pas si j'analyse,
après tant d'autres, une pièce
déjà connue de tous.
-
- Au premier acte, Froufrou entre en coup de
vent; amazone consommée, elle vient de
battre à la course l'un de ses
soupirants, Valréas Son caractère
se dessine immédiatement. C'est une
écervelée charmante. physiquement,
incapable de fixer son esprit sur une
idée sérieuse; elle ne pense
qu'à ses chiffons. Au moins est-elle
bonne? a-t-elle du coeur? Quand Valréas
le lui demande, au lieu de répondre, elle
le renvoie à son père, à ce
Brigard dont elle est bien la fille. Et quel
père? Un vieux beau, sorte d'inconscient
qui teint ses cheveux blancs, se reconnaissant
indigne de les porter, et qui, lorsqu'on lui
parle raison, répond qu'il est bien trop
occupé des charmes de la grande Charlotte
ou de la trahison de la petite Tata.
-
- Superficiellement, le bonhomme prête
à rire; c'est, si l'on veut, un
personnage de comédie, c'est pour nous et
avant tout le père de Froufrou, aussi
inconsciente que son père.
-
- Affaire d'éducation, direz-vous?. Les
auteurs nous laisse supposer que leur
héroïne a perdu sa mère de
bonne heure, qu'elle a été
extrêmement gâtée par ce
père qui s'entend bien mieux à
lancer une danseuse qu'à diriger
l'éducation d'une jeune fille. Mais
Froufrou a une soeur, Louise, qui est la sagesse
même; elles ont été
élevées ensemble, et Brigard n'est
pas un homme à avoir deux poids et deux
mesures. Les deux soeurs ont eu les mêmes
spectacles sous les yeux,
fréquenté le même monde;
l'une est allée vers la sagesse, l'autre
vers la folie, parce que leur cerveau
était congénitalement pétri
d'une pâte différente, parce que
l'hérédité morbide a
pesé lourdement sur l'une et
épargné l'autre.
-
- Froufrou a du reste pleine conscience de son
état d'esprit, toute réflexion lui
est pénible, et, lorsque Sartorys la
demande en mariage, elle se remet tout
entière à sa soeur du soin de
prendre pour elle une détermination :
« Ai-je raison ? ai-je tort? Dans le doute,
je ferai comme j'ai toujours fait, ma
chère Louise... je me mets dans tes mains
; sois pour moi sage ou folle, cela te regarde.
» Et dans, un tel état d'âme,
elle devient la femme de Sartorys, qu'elle a
accepté pour mari comme elle lui
eût tendu la main pour conduire un
cotillon.
-
- En donnant sa soeur à Sartorys,
Louise a cru remplacer l'autorité qu'elle
avait prise sur la pauvre
écervelée par celle d'un mari,
qu'elle sait réfléchi et de bon
conseil. Mais Sartorys est amoureux fou de sa
femme dont les fantaisies sont pour lui des
ordres. Sur un mot d'elle, pour satisfaire un de
ses caprices, iI brise sa carrière,
complètement annihilé par son
amour. A l'influence qu'il eût dû
exercer se substitue celle d'une certaine
baronne de Cambri qui masque des instincts
vicieux sous sa moralité de femme
sèche et qui les satisfait par les
excentricités qu'elle fait commettre aux
autres. Elle lance Froufrou dans un tourbillon
de fêtes et de plaisirs et la rapproche,
involontairement peut-être, de
Valréas, l'amoureux du premier acte, qui,
n'ayant pu épouser la jeune fille, n'en
désire que plus ardemment la femme de
Sartorys.
-
- Le dénouement est proche, et Froufrou
précipite elle-même sa chute en
s'aidant de cette logique aussi implacable que
fausse dont les aliénés sont
coutumiers. Son père est allé
à Prague assister aux ébats
chorégraphiques d'une maîtresse;
Froufrou a supplié sa soeur, qui n'a
accepté que sur ses instances, d'attendre
à son foyer,le retour de leur
père. Elle l'a forcée, pour ainsi
dire, à prendre sa place, lui confiant,
pendant qu'elle s'amuse, le soin de sa maison,
l'éducation de son fils. Et un beau-jour,
pour s'excuser vis à vis
d'elle-même de l'amour criminel qu'elle
croit ressentir pour Valréas, elle traite
sa soeur d'intrigante, l'accuse de lui avoir
tout pris, tout volé, mari et enfant.
Puisque la maison n'est plus à elle, elle
partira, et subitement, « dans un moment de
folie », elle s'enfuit avec
Valréas.
-
- Logiquement pour moi la pièce est
finie, la filiation des idées est
épuisée, l'analyse de
l'état mental de cette
détraquée
héréditaire a été
poussée jusqu'à ses limites
réelles, le reste n'est plus
qu'épisodique. Et lorsque, au
cinquième acte, nous voyons Froufrou,
repentante, venir implorer le pardon de son mari
et mourir à ses pieds, nous versons des
larmes devant sa « belle mort », notre
coeur est ému, mais notre esprit se
refuse à comprendre que la Froufrou qu'on
nous a montrée soit à capable d'un
acte raisonnable et raisonné. C'est de la
convention théâtrale.
-
- Dans la réalité, un autre
dénouement s'imposait, ou tout au moins
eût été plus plausible.
Froufrou a fui avec Valréas à
Venise. Lorsque son mari l'y rejoint et lui
annonce qu'il va se battre avec sbn amant,
qu'elle implore son pardon en s'écriant,
cette fois bien elle-même: « Vous
battre à cause de moi, Froufrou !... Deux
hommes s'entre-tuer à cause de moi,
Froufrou! Est-ce que cela est possible?... Qui
donc m'a jetée au milieu de ces
chôses si terriblement sérieuses et
qui m'épouvantent? » et que son mari
la repousse, qu'elle comprend que tout est fini,
qu'un duel où il y aura mort d'homme est
inévitable, pourquoi, dans un dernier
appel à la pitié, ne pas ouvrir
cette fenêtre qui donne sur le Grand Canal
et se soustraire ainsi pour toujours «
à ces choses si terriblement
sérieuses et qui l'épouvantent
»?
-
- Le théâtre y eût
peut-être perdu, je dis peut-être,
la réalité y eût
certainement gagné.
-
- Cette réalité à
laquelle le caractère de Froufrou
échappe en fin de compte de par la
volonté des auteurs, ce n'est pas moi qui
l'invente, qui la veux pour satisfaire les
besoins d'une thèse. Elle se trouve tout
entière dans une autre pièce en
tout géniale, dans l'Arlésienne,
d'Alphonse Daudet, où la fatalité
héréditaire se montre encore une
fois implacable.
-
- Je ne connais rien de plus beau, de plus
poignant que l'Arlésienne, parce que rien
n'est plus vrai, parce que dès les
premières scènes les situations
sont si fortes et si fortement exprimées
qu'on a immédiatement la prescience
terrible de ce qui va advenir.
-
- Rose Mamaï est une femme d'un
caractère exalté: il eût
fait beau voir qu'on lui eût jadis
refusé l'homme qu'elle aimait, elle
eût été capable de toutes
les folies.
-
- Elle a deux enfants, et ici la
fatalité héréditaire la
déchéance cérébrale
est complète. L'un est idiot, c'est
l'innocent; l'autre est Fréderi, un grand
gars de vingt ans, robuste de corps, qui abat de
l'ouvrage comme dix, mais est faible. comme un
enfant devant une fille perdue,
l'Arlésienne, qui s'est donnée
corps et âme à un gardien de
chevaux de la Camargue.
-
- Il la sait déshonorée, mais sa
passion le brûle, il la veut pour femme;
il l'introduira dans ce Castelet où le
vieux Francet représente l'honneur intact
de plusieurs générations.
-
- Rose tout entière revit dans son fils
: « C'est tout le sang de sa mère,
dit-elle, et moi, si on ne m'avait donné
l'homme que je voulais, je sais bien ce que
j'aurais fait ».
-
- Il se trouve que l'Arlésienne
préfère la vie aventureuse du
maquignon à l'amour de
Fréderi.
-
- Alors Fréderi, le frère de
l'idiot, le fils de Rose Mamaï, «
celle qui sait bien ce qu'elle aurait fait
», se précipite par une
fenêtre d'où une dernière
fois il a contemplé la ville
d'Arles.
-
- La voilà, la réalité
vraie, produisant même au
théâtre des effets aussi puissants
que le dénouement factice de
Froufrou.
-
- On la retrouve dans la vie de tous les
jours, cette réalité, et, depuis
Charles-Quint, fils de Jeanne la Folle, mourant
aliéné dans un couvent, jusqu'au
drame de Meyerling, où un futur empereur,
rejeton de cette maison de Bavière si
cruellement éprouvée par la folie
trouva la mort, l'histoire est fertile en
enseignements, en preuves de cette
fatalité héréditaire, qui a
remplacé la fatalité antique mise
en scène par le poète des
Erynnies.
-
- Qu'avons-nous fait, ô Zeus pour cette
destinée ?
- Nos pères ont failli, mais nous,
qu'avons-nous fait ?
-
- PARACELSE.
La
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à l'étude des bâillements
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Bogousslavsky J Walusinski O
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de la Tourette Bogousslavsky J Walusinski O
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JM. Charcot et G. Montorgueil Walusinski O.
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- G. Gilles de la
Tourette 1857-1904 in english
- L'état
mental de Froufrou G. Gilles de la Tourette
1892
- Mademoiselle
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1898
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