- Nous n'avons pas, comme les anciens auteurs,
la prétention en abordant ce chapitre,
d'ériger le bâillement en symptome
de premier ordre. Il nous parait cependant que
l'on a trop négligé, son
étude de nos jours. Elle peut, dans
certains cas, fournir des renseignements
précieux pour le diagnostic, et permet en
quelques circonstances même
d'établir un pronostic
assuré.
- Nous passerons rapidement en revue les
différentes maladies où ce signe
se rencontre le plus fréquemment, et nous
nous permettrons d'insister quelque peu sur
certains points intéressant où des
observations récentes ont jeté un
jour nouveau.
- Cette question des rapports du
bâillement avec les fièvres
intermittentes est aussi vieille que l'histoire
de la médecine. On lit, au livre VI
d'Hippocrate
(De Flatibus): «Les bâillements
précèdent les flèvres
intermittentes; lorsque beaucoup d'air
accumulé sortant par le haut à la
fois, ouvre de force la bouche, comme ferait un
levier». Boerhave y consacre quelques
lignes: «In primo stadio paroxysmi febris
intermittentis fit oscitatio». A leur
suite, de nombreux auteurs les mentionnent:
Richerand.
Rothmund, Dechambre,
etc. Ceux qui ont traité les questions de
paludisme ne les oublient «Tout le monde
sait que les accès de fièvre
intermittente débutent très
souvent par des bâillements et des
pandiculations. (Duboué.
-Del'impaludisme.) Pendant l'année que
nous avons passée à
l'hôpital SaintMandrier avec notre ancien
maitre, Mr le Prof. Gailliot dans le service des
rapatriés de Madagascar, il nous a
été donné d'observer de
nombreux cas de bâillements, en relation
avec la fièvre intermittente. Plus
récemment, à l'hôpital
Saint-André, nous avons relevé
deux observations typiques; ce sont celles
d'individus ayant séjournê plus ou
moins longtemps aux colonies, et
présentant en France des accès de
fièvre à l'époque des
grands froids.
- Observation I (Personnelle).
- J.-B. B.... cinquante ans. A fait, en 1890,
un séjour de trois mois au
Sénégal: nouveau séjour de
trois mois en 1893 et en 1896. Pas de
fièvre jusqu'à son retour en
France. Depuis six ans, tous les hivers, pendant
les journées les plus froides, Il a un
accès durant une heure et demie et ne
laissant pas de traces. Quelques minutes avant
la fiévre, il est pris d'une sensation de
froid autour de la ceinture et
immédiatement se produisent de larges
bâillements avec pandiculations. Ces
bâillements se continuent pendant toute la
durée de l'accès et reviennent
à peu près
régulièrement toutes les dix
minutes. Le malade prétend qu'il ne
bâille jamais en dehors des heures de
fièvre.
- Observation II (Personnelle).
- G. M..., quarante et un ans. A
été au Sénégal puis
au Tonkin. Dans cette dernière colonie,
pendant trois mois, fièvre intermittente
avee accès réguliers tous les deux
jours. La durée des accès
était de quatre heures environ: ils
étaient annoncés par des
bâillements d'abord, puis, des
bâillements avec pandiculations, et le
tremblement survenait. Pendant toute la
durée, les bâillements se
reproduisaient toutes les cinq minutes.
- Un de nos camarades et amis, étudiant
en médecine, originaire de la Guadeloupe,
a bien voulu nous communiquer sa propre
observatio; nous la reproduisons ici
- Observation III
- A. L..., vingt et un ans. Dès son
plus jeune âge a présenté
à la Guadeloupe, deux ou trois
accès de fièvre intermittente par
an. A eu une bilieuse hémoglobinurique.
En France, trois semaines de fièvre
quotidienne en 1899. Depuis, accès
irréguliers survenant tous les quatre ou
cinq mois, surtout l'hiver. A chaque
accès, avant le frisson, sensation de
fatigue, céphalalgie, puis série
de cinq ou six bâillements avec
pandiculations. Pas de bâillements pendant
la durée de l'accès. Il
résulte de ces observations que les
bâillements sont presque toujours le signe
prodromique de l'accès de
fîèvre intermittente, concurremment
avec une sensation de lassitude
générale, de froid, et quelquefois
la céphalalgie. Dans certains cas, ils
apparaissent seuls, et nous nous rappelons tel
malade de Saint Mandrier qui s'empressait,
lorsque survenaient les premiers
bâillements, de demander une couverture
supplémentaire à l'infirmier.
Enfin, il n'est pas rare de les voir durer aussi
longtemps que l'accès.
- Avec la syphilis
cérébrale
- Il n'a jamais été fait
mention, que nous sachions, des rapports, que
peut affecter le bâillement avec la
syphilis cérébrale; les deux
observations suivantes que M. le Prof. Vergely a
bien voulu nous communiquer, montrent que dans
certains cas les bâillements sont si
apparents, si fréquents que ce
symptôme ne peut passer
inaperçu.
- Observation I (Due à l'obligeance de
Mr le Prof. Vergely)
- M. X ....Robuste constitution. A eu la
syphilis en 1867 et n'a jamais suivi qu'un
traitement incomplet. En 1878, il éprouva
quelques douleurs fulgurantes, plus tard des
douleurs articulaires, enfin des troubles de la
miction, de la défécation et une
paralysie du droit externe de l'il. A
l'examen du malade, on constate en outre des
points analgésiques et des points
hyperesthésiques
disséminés, l'abolition du
réflexe tendineux rotulien, troubles
divers qui ne laissent aucun doute sur une
sclérose des cordons postérieurs.
Au mois d'avril 1901, apparition de quelques
troubles cérébraux
caractérisés par de la somnolence,
une légère perte de
mémoire, une paralysie du droit externe
de l'il gauche. Tout faisait
espérer que ces accidents étaient
passagers, quand M. X ... fut trouvé un
matin dans son lit plongé dans une sorte
de coma. Autour de lui on trouvait des reliquats
de vomissements qui avaient accompagné
l'état apoplectique dans lequel
était le malade. Plusieurs jours se
passèrent dans une espèce de
demi-stupeur: sommeil presque constant, pouls 60
pulsations. M. X... urinait sous lui, mais
était constipé. Strabisme
convergent de l'oeil gauche et léger
prolapsus de la paupière. Le malade se
tenait difficilement debout et se laissait choir
du côté droit. Il reprit peu
à peu ses sens, reconnaissant les
personnes qui l'entouraient, fut maitre de la
miction et de la défécation, put
marcher sans l'aide d'un soutien, mais
était nettement atteint d'amnésie
et paraissait indifférent à ce
qu'il voyait. Le diagnostic porté fut
celui de thrombose des branches frontales de la
cérébrale antérieure.
Après les quinze premiers jours de
l'accident cérébral, alors que le
malade se soutenait difficilement, marchait
péniblement sans néanmoins trainer
la jambe, éclatèrent des
accès de bâillements; ils duraient
des journées entières,
accompagnés de bruits vocaux
inarticulés, le plus souvent sans
pandiculations. Cet état a duré
pendant les mois de juin, juillet et août.
Au mois de septembre, une notable
amélioration survient la marche est plus
ferme; le malade n'a plus aucun signe de
parésie l'amnésie est moindre, il
se rappelle une foule de faits, devient gai,
loquace, marche une partie de la journée.
Dès ce moment, les bâilements
deviennent plus rares. Avant ces accidents M.
X... ne bâillait que très
exceptionnellement.
- Observation II (Due à l'obligeance de
M. le Prof. Vergely)
- M.T...a eu la syphilis en 1869. Un
médecin lui ayant dit que l'affection
était légère, il ne se
soigna pas et eut successivement des troubles
gastriques et une orchite syphilitique. En 1874,
il fait une chute en descendant de voiture et
éprouve une légère
parésie dans le bras droit et la jambe
gauche. Quelques jours plus tard, il tombe dans
un état semi comateux qui se prolonge
plusieurs jours. Après un traitement
antisyphilitique rigoureux: frictions
mercurielles alternées avec de l'iodure
de potassium à haute dose (8 à 10
grammes par jour), cette situation s'amende, et
enfin les lésions
méningo-encéphaliques paraissent
définitives, le malade restant avec une
légère parésie de la jambe
gauche qui lui fait user l'extremité de
sa chaussure en dedans et à gauche. Il a
une hémiatrophie à gauche de la
langue qui rend la parole bredouillante, un
spasme de la paupière gauche qui l'oblige
à fermer l'il gauche et à
cligner de la paupière droite presque
constamment. D'ailleurs, aucune déviation
de la face, qui, au début,
présentait un peu de parésie
à droite. Depuis cette époque, M.
Y..., autrefois actif et ne bâillant
jamais, bâille très souvent et
longuement. Ce sont de véritables
accès qui se répètent sept,
huit, dix fois, sont irrésistibles et
accompagnés d'une interjection : oh! oh!
rarement de pandiculations. Ces
bâillements sont d'autant plus frappants
que ces phénomènes ne
s'étaient jamais produits
auparavant.
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