Observation 1 : Le sujet de la
première observation est le nommé
Provost, forgeron, âgé de
cinquante-sept ans. Cet homme (Note sur les
fièvres apoplectiques paralytiques), en
décembre dernier, fut atteint d'une
fièvre intermittente apoplectique
paralytique dont les principaux symptômes
cédèrent assez promptement au
sulfate de quinine.
J'avais été quelque temps sans
voir cet homme que je croyais guéri,
lorsque, dans le courant du mois dernier, il
vint me voir. La santé
générale était bonne, mais
il conservait une légère
déviation de la bouche, un peu de
salivalion et m'accusait les
phénomènes suivants : depuis
quelque temps, chaque nuit, vers la même
heure , celle a laquelle il avait eu ses
accès graves au mois de décembre,
il était pris de bâillements
convulsifs, qui se répétaient
dix ou douze fois et pendant lesquels il
se produisait au bras qui avait
été paralysé un mouvement
de flexion et d'élévation ,
mouvement que le malade ne pouvait
réprimer qu'en saisissant fortement ce
membre avec la main du côté,
opposé.
Chose non moins remarquable ! si, pendant
l'heure de l'accès et dans l'intervalle
des bâillements, Provost exécutait
de légers mouvements du bras ou
même seulement de la main , le
bâillement spasmodique avait lieu. Aucun
de ces phénomènes ne se produisait
pendant le reste de la nuit, ni pendant le jour
que le malade fût debout ou couché
, mais il avait constamment un sentiment de
fatigue dans le membre, sentiment de fatigue qui
était plus grand immédiatement
après le temps de l'acccès.
J'administrai quelques doses médiocres
(50 , 40 centig.) de sulfate de quinine, et en
quelques jours ces phénomènes
spasmodiques furent dissipés ; l'action
du bâillement sur les mouvements du bras
cessa la première. Cette action et
l'action inverse sont des
phénomènes qui n'ont pas
été signalés, que je sache,
et qui sont bien dirgnes de l'attention des
physiologistes.
Observation 2 : Du 1er au 5 mars , en
l'absence d'un confrère, j'ai
donné des soins à la femme d'un
nommé Bumerot , maréchal-ferrant
de notre ville. Cette femme , âgée
de vingt-huit ans, presqu'au terme de sa
troisième grossesse, gardait le lit
depuis plusieurs jours. Elle avait
commencé par éprouver les
symptômes de la grippe (coryza,
céphalalgie sus-orbitaire, brisement des
membres, douleurs dorsales rachidiennes, points
pleurodyniques, gêne de la respiration,
toux quinteuse et mouvement fébrile,
grippe dont nous avons un nouveau règne
depuis quelque temps et à
côté de laquelle se rencontrent des
affections nerveuses thoraciques qui simulent la
coqueluche, l'asthme, l'angine de poitrine, le
croup. La grippe, chez cette femme, fit place
à une névralgie thoracique
intermittente du côté gauche,
névralgie thoracique qui, elle aussi, est
loin d'être rare actuellement, et cette
névralgie thoracique, comme les
phénomènes qui l'avaient
précédée et comme ceux qui
l'ont suivie, s'accompagna de fièvre.
Voici la succession de ces derniers
phénomènes : pendant trois soirs
successivement, vers huit heures, une petite
toux sèche a lieu , un vomissement
survient , un accès de
bâillements convulsifs lui
succède. J'ai été
témoin de ces bâillements qui se
répétaient six ou sept fois en
cinq minutes, durée de
l'accès; ils étaient si brusques,
si étendus que je m'attendais à
voir se produire une luxation de la
mâchoire, accident pour lequel j'ai
été appelé au milieu de la
nuit, il y a quelques mois, près d'une
personne de Rambervillers, qui l'avait
déjà éprouvé
plusieurs fois par l'effet d'un bâillement
auquel elle est sujette.
Après l'accès de
bâillements, la femme Burmerot se trouvait
immédiatement dans le délire,
délire furieux et pendant lequel elle
vociférait contre de prétendus
ennemis, frappait à coups
redoublés et des pieds et des poings
contre son bois de lit et le mur qui l'avoisine,
se levait parfois et cherchait à fuir. Il
est digne de remarque que, depuis 1846 ou 1847,
cette femme, sans être enceinte, fut
atteinte chaque année et dans cette
saison d'une maladie analogue, présentant
la même succession morbide et, en
particulier, le bâillement comme
avant-coureur du délire. Il est
encore digne de remarque que ce délire,
d'abord intermittent comme cette année ,
devenait continu, n'offrait que de courtes
rémittences, simulait l'aliénation
mentale au point que cette malade était
considérée comme folle par le
public; qu'enfin il acquérait une telle
violence que, plus d'une fois, cette malheureuse
femme voulut se jeter par la fenêtre.
On ne verra peut-être pas non plus sans
intérêt que quelques doses de
sulfate de quinine aient mis promptement fin
à cet ensemble de symptômes. Cette
guérison sera-t-elle durable ? Les
accidents et le delire particulièrement
ne se reproduiront-ils pas peu de temps
après les couches? La fièvre de
lait ne se transformera-telle pas en une pyrexie
grave , ainsi que j'ai eu occasion de le voir
plus d'une fois? Si nous étions encore
à cette malheureuse époque
à laquelle nos nouvelles
accouchées étaient prises et
enlevées par les fièvres, j'aurais
lieu d'éprouver ces craintes.
Pour en revenir au point de vue sous lequel
je veux considérer principalement ce cas,
je dirai que je ne pense pas que le
bâillement intermittent ait
été fréquemment
signalé comme un prodrome immédiat
et constant d'un accès de délire.
Ces deux cas sont les seuls dans lesquels j'ai
observé le bâillement intermittent,
mais le bâillement convulsif sans
intermittence est un phénomène que
j'ai rencontré fréquemment dans
nos névroses bénignes et graves
aigues et chroniques.
Un cas qui a bien quelque ressemblance, sous
le rapport de la coïncidence morbide, avec
la maladie de Provost, s'est offert tout
récemment. Une dame Baudin, de notre
ville, aussi âgée de cinquante cinq
ans dans la convalescence d'une fièvre
intermittente accompagnée de vomissements
et de flux (forme pernicieuse cholérique
rudimentaire), eut, à des intervalles
irréguliers, des bâillements qui
s'accompagnaient de la sensation d'un courant de
chaleur le long du membre supérieur
droit, phénomènes qui se sont
dissipés sans le secours d'aucun
traitement.
Le
diagnostic des maladies nerveuses Sir J.
Purves-Stewart 1939