- Le bâillement est un
phénomène intriguant, fascinant
tout autant que le sommeil. La
compréhension de ses causes et de ses
conséquences défie l'esprit humain
depuis des siècles. Hippocrate, Sennert,
Boerhaave, de Gorter proposeront, chacun
à son époque, une théorie.
De l'exhalaison d'humeur viciée, à
l'activation des esprits animaux, à
l'amélioration de l'hématose
cérébrale, toutes ces
métaphores sont
caratérisées par le succès
publique qu'elles rencontreront, perdurant peu
ou prou jusqu'à JM.Charcot et à
nos jours. Pourtant dès le début
du XIXè siècle, la physiologie
expérimentale de Broussais et Flourens
propose une théorie neuro-musculaire que
Dumpert, en Allemagne, après la
première guerre mondiale explicite de
façon précise. L'éthologie
et la pharmacologie expérimentale du
XXè siècle ont permis de connaitre
les neuromédiateurs et les structures
sous corticales mises en jeu au cours du
bâillement et de la pandiculation.
Comportements moteurs,
phylogénétiquement
archaïques, ontogénétiquement
précoces, remarquablement
conservés au cours de l'Evolution,
quasi-universel chez les
vertébrés, ils sont plus proches
d'une stéréotypie
émotionnelle que d'un réflexe.
D'origine diencéphalique, ils semblent
extérioriser des processus
d'homéostasie des systèmes
d'éveil, de la satiété et
de la sexualité.
-
- La Vie, sous tous ses traits, a toujours
donné lieu à réflexions et
questionnements. De tous temps une explication
aux phénomènes physiologiques a
apporté un réconfort aux hommes.
Comme le dit HL. Mencken: "Des explications
existent; elles ont existé de tous temps,
parce qu'il y a toujours une solution simple
à chaque problème humain, une
solution nette plausible et fausse". L'histoire
des connaissances sur le bâillement
illustre à merveille ce précept.
Phénomène intriguant, fascinant
tout autant que le sommeil, ses causes et
conséquences ont défié
l'esprit humain au cours des siècles.
Cette revue débouchera,
inévitablement, sur les incertitudes
encore nombreuses qui subsistent au XXIè
siècle.
-
- La médecine est née dans
l'antiquité, entre mythes et philosophie,
en s'extrayant peu à peu des incertitudes
attachées aux concepts magiques et
religieux pour tenter un accès au
rationnel. Ce parcours de quelques
siècles illustre ce constat.
-
- Nous n'avons pas trouvé trace
d'écrits évoquant le
bâillement dans les tablettes,
actuellement déchiffrées, de la
médecine babylonienne.
L'ethno-médecine, qu'elle se soit
tournée vers l'Asie ou l'Afrique, ne s'y
est pas intéressée non plus.
-
- L'antiquité, le
Moyen-Age
- La philosophie grecque nous a laissé
une combinaison des quatre
éléments afin d'expliquer Le Monde
(Eau, Feu, Air, Terre) aux quatre
qualités physiques (Froid, Chaud, Sec,
Humide) influant sur les "humeurs" (Sang, Bile,
Pituite, Atrabile). Les premiers écrits
médicaux consacrés au
bâillement sont ceux d'Hippocrate
dans "De Flatibus", Les Vents, conçu
400 ans avant JC qui applique ces
théories. Il observe: "Des
bâillements se produisent avant les
fièvres parce que de l'air, qui
s'était amassé en grande
quantité, remontant en masse,
soulève à la manière d'un
levier et ouvre la bouche; car par cette voie,
l'air peut sortir facilement. En effet, de
même que de la vapeur
s'élève des chaudrons en grande
quantité quand l'eau bout, de même
aussi, quand le corps s'échauffe, l'air
qui s'était rassemblé et qui est
violemment expulsé s'élance par la
bouche". Cette conception perdurera jusqu'au
XVIIè siècle, comme nous allons le
constater.
-
- Loin de sa physique appliquée
à l'homme, Hippocrate traite avec
précision des luxations de la
mâchoire favorisées par les
bâillements dans "Des Articulations",
les assimilant aux autres dérangements
articulaires traumatiques et conçoit la
réduction avec une manuvre qui ne
date donc pas de Nélaton au XIXè
siècle: "Si la mâchoire se luxe
rarement, toutefois elle éprouve, dans
les bâillements, de fréquentes
déviations, telles que celles que
produisent beaucoup d'autres déplacements
de muscles et de tendons. Voici les signes
principaux qui manifestent la luxation: la
mâchoire inférieure
prédomine en avant; elle est
déviée vers le côté
opposé à la luxation, l'apophyse
coronoïde fait saillie à la
mâchoire supérieure, et le
blessé rapproche difficilement les
mâchoires. Le mode de réduction qui
convient dans ce cas est manifeste: Un aide
maintiendra la tête la tête du
blessé, un autre, embrassant avec les
doigts la mâchoire inférieure en
dedans et en dehors vers le menton, tandis que
le patient ouvre la bouche autant qu'il
peut sans se forcer, commencera par remuer la
mâchoire inférieure pendant quelque
temps, la portant avec la main en dedans
et en dehors, et recommandant au
blessé de la tenir relâchée,
de la remuer simultanément, et de se
prêter le plus possible à ces
mouvements; puis soudainement, il la
déplacera en faisant attention à
trois positions à la fois: d'abord il
faut la ramener de sa position vicieuse à
sa position naturelle, secondement, il faut la
repousser en arrière;
troisièmement, obéissant à
ces deux mouvements, le blessé doit
rapprocher les mâchoires et ne pas
ouvrir la bouche : telle est la
réduction et on ne réussira pas
par d'autres positions". Rien à
ajouter.
-
- Emile
Littré qui a traduit Hippocrate au
milieu du XIXè siècle donne cette
version du passage consacré aux causes de
l'apoplexie: "Les bâillements continuels
des apoplectiques prouvent que l'air est la
cause des apoplexies". Jacques Jouanna, dans sa
traduction contemporaine réfute cette
interprétation: "on ne voit pas pourquoi
les paralysés seraient pris de
bâillements continuels. On peut y voir un
autre sens et signifier avoir constamment la
bouche ouverte, ce qui correspond à une
observation dans certains cas de paralysie.
L'auteur, Hippocrate, a inséré
tant bien que mal cette observation dans son
système d'explication: la bouche est
maintenue ouverte par la présence
continuelle d'une quantité excessive
d'air dans le corps". Et pourtant, les
observations médicales contemporaines
indique combien Littré semble avoir
raison !
-
- Pline
l'Ancien note, 40 ans avant JC, que les
bâillements répétés,
contemporains d'hémorragies importantes,
signent la mort à cours terme. Ce sujet
sera l'objet d'une thèse en latin: "De
oscitatione in enixu" soutenue par Johannes
Lapehn, en 1758, sous la direction de Johannes
Roederer à Göttingen. Les
hémorragies de la délivrance ont
tué des milliers de femmes. La baisse
tensionnelle et le collapsus
déclenchés par l'hémorragie
stimule le système nerveux
végétatifs dont les
bâillements extériorisent la mise
en jeu, comme au cours du malaise vagal, et
précédent la perte de
connaissance.
-
- Dans sa lettre à Lucilius, Sénèque
écrit, environ 50 après JC: "De
même que chez les sujets faibles, la
maladie s'annonce par des signes avant-coureurs:
soit un relâchement des nerfs, soit de la
lassitude sans travail qui l'ait
provoquée, soit des bâillements,
soit enfin un frisson qui parcourt les membres;
ainsi une âme faible, longtemps avant
d'être attaquée par le mal, en
reçoit le choc; elle souffre par
anticipation, et succombe avant le temps".
Parle-t-il d'incubation, de début d'un
état fébrile, de somnolence,
d'état dépressif ?
-
- Galien
et Celse commenteront les propos d'Hippocrate en
transposant aux muscles l'effet producteur des
vents du bâillement. Oribase,
450 après JC, dans la même
lignée de commentaires d'Hippocrate,
rédige un chapitre intitulé "des
causes, des symptômes". Il y fait un
amalgame entre convulsions, palpitations,
hoquet, trismus, extensions des membres et
bâillements: "Ils se rapportent tous
à un genre commun qui consiste en la
perversion du mouvement des muscles."
[...] "Bâillements et extensions
des membres sont des actes de la nature,
forcée par quelque cause morbide,
à se mouvoir avec violence."
-
- A partir du XVè siècle,
l'enseignement médical change. A la
récitation de commentaires d'Hippocrate
et de Galien se substitue la description de cas
cliniques assortis d'idées
sémiologiques, diffusées
grâce à l'apparition de
l'imprimerie. L'Universa
Medicina de Jean Fernel (1497-1558) en est
l'illustration. Il est le premier à citer
le bâillement comme prodrome
d'états fébriles qu'il distingue
en "fièvre
éphémère". Toujours
influencé par la théorie des
humeurs, il prête aux bâillements un
rôle favorable "dans l'évacuation
des vapeurs nuisibles". Dans la même
lignée, en 1560, Jodocus
Lommius publie un recueil d'observations:
Medicinalium observationum libri tres,
imprimé à Anvers chez Plantin.
Traduit dans toutes les langues d'Europe, ce
livre connaîtra plus de 30 éditions
pendant 250 ans; on peut le comparer au Manuel
Merck contemporain. Le bâillement y est
décrit comme prodrome des fièvres.
Semiotice, sive
de signis medicis tractatus Feyens T
1663.
-
- En 1624, dans la même veine, Philippe
Hechstetteri propose un recueil
d'observations médicales
commentées: "Rararum Observationum
Medicinalium": "Une jeune fille de quatorze ans
n'avait pas encore été
réglée, et, tous les jours,
à quatre heures de l'après-midi,
elle éprouvait des bâillements
très fréquents, très
pénibles, et suivis de divers accidents
morbifiques". Il semble être le premier
à considérer, en lointain
prédécesseur de JM. Charcot, les
bâillements répétés
comme un signe d'hystérie.
-
- Scipion
Dupleix, philosophe et historiographe de
Henri IV puis de Louis XIII, publia, en 1626, un
merveilleux recueil: "La curiosité
naturelle rédigée en questions
selon l'ordre alphabétique". Non sans
rappeler Les Propos d'Alain, au mot
bâiller, il soumet à son lecteur
curieux cette réflexion si bien
contée et proche de nos réflexions
contemporaines: "D'où vient cela que nous
baaillons voiant baailler les autres? C'est
à cause de la commune disposition des
esprits ou air intérieur, lesquels ont
entre nous tous une grande sympathie,
consentement & affinité, qui les fait
esmouvoir & affecter de mesmes par la seule
souvenance. Et pour cette mesme raison oyant
chanter les autres, nous chantons quelquefois
à part nous mesmes sans en prendre garde,
estant attentifs ailleurs".
-
- Le XVIIè
siècle: naissance de la
recherche
- La première moitié du
XVIIè siècle voit la naissance de
la physique mathématique ouvrant à
une nouvelle vision du Monde. Un nouvel esprit
scientifique nait avec Descartes dont
découle le paradigme du mécanisme
en physiologie. Après Galilée et
Newton, les découvertes en
mécanique et en dynamique conduisent au
concept de "l'Homme Machine". Jusqu'à
cette époque, le dogmatisme
médical conduisit au défaut majeur
d'une indifférence à la recherche,
comme si les connaissances médicales
étaient fixées et
confinées. Après que Harvey ait
établie la circulation sanguine, l'esprit
expérimental introduit l'analyse
quantitative des phénomènes
vitaux, en particulier grâce à
Santorio.
-
- Santorio
Santorio (1561-1636), se faisant
appelé Sanctorius de Padoue,
médecin installé à Venise,
élève et ami de Galilée,
peut être considéré comme un
des fondateurs de la physiologie
expérimentale. Il tenta de quantifier des
phénomènes physiologiques et
pathologiques à l'aide d'appareils de
mesure tels que la balance, le
thermomètre et le métronome. Avec
une balance de son invention, il mesura et
compara les apports et les pertes de poids chez
l'homme, notamment par la transpiration. Il
bâtit toute une théorie
médicale basée sur les
différences de poids liées
à l'alimentation, aux pertes des
émonctoires et à la transpiration:
la médecine statique. Le bâillement
fut l'objet de ses aphorismes: "Les
bâillements & l'extension des membres
après le sommeil, montrent que le corps
transpire beaucoup comme on le dit à
l'égard du coq qui bat des aîles
avant de chanter. Les envies de bâiller
& d'étendre les membres lorsqu'on
s'éveille, viennent de l'abondance de la
matère transpirable, parfaitement
disposée à la transpiration. Dans
les bâillements & l'extension des
membres, on transpire plus en une demi-heure
qu'en trois heure d'un autre temps."
-
- Dans le Traité de L'Homme, René
Descartes (1596-1650), en 1664, expose sa
théorie des nerfs: "les esprits qui sont
dans le cerveau se présentent pour entrer
dans quelques nerfs, ils ont la force de mouvoir
au même instant quelque membre. Puis,
ayant touché un mot de la respiration, et
de tels autres mouvements simples et ordinaires,
je dirai comment les objets extérieurs
agissent contre les organes des sens". Plus loin
il explique la respiration par l'activité
musculaire du diaphragme et s'intéresse
"Pour entendre aussi comment cette machine avale
les viandes qui se trouvent au fond de sa
bouche...". Il termine son explication complexe
du fonctionnement du carrefour
aérodigestif en précisant: "A
l'exemple de quoi, vous pouvez aussi entendre
comment cette machine peut éternuer,
bâiller, tousser, et faire les mouvements
nécessaires à rejeter divers
autres excréments". Comme quoi,
près de mille ans après
Hippocrate, l'évacuation d'humeurs reste
toujours un effet primordial du
bâillement.
-
- Danieli
Sennerti (1572-1637) continue lui aussi
à assimiler éternuements et
bâillements comme mécanisme
"d'exhalaisons morbifiques" tout en notant la
coïncidence d'apparition avec la fatigue et
la somnolence, jamais notée
antérieurement.
-
- Jean
Baptiste Van Helmont (1577-1644) traitant
"Des principes de médecine et de physique
pour la guérison des maladies" en 1671,
remet en cause, pour la première fois,
les conceptions hippocratiques. "Galien en dit
que la cause du bâillement qui accompagne
d'ordinaire le commencement des accez des
intermittentes, est excité par la
quantité des vapeurs fulgineuses qui
enflent & font distention des muscles de la
machoire, desquelles ils tâchent de se
défaire: mais comme ces matières
fuligineuses ne pourroient étre que des
excréments insensibles de la
dernière digestion: pourquoy ces parties
là seroient-elles plûtot
excitées à leur expulsion que les
autres ? Et pourquoy se rencontrent-elles
plûtôt aux fièvres
qu'à la goutte, à l'apoplexie,
&c. Pourquoy celuy qui bâille nous
fait-il bâiller malgré nous? Cela
fait bien voir que le bâillement ne
procède pas des vapeurs fuligineuses:
mais ce cette faculté qui suit
l'imagination. L'Ecole de Médecine ne
contreuient pas que la bouche de l'estomac ne
soit facilement émeuë, &
excitée à nausée par le
dédain de quelque chose de sale
aperceuë ou imaginée: & qu'il y
a des personnes qui en voyant manger des pommes
aigres & austères, ont d'abord la
bouche toute pleine de salive. Donc l'orifice
supérieur de l'estomac s'émeut
aisément par l'imagination: Et le
sommeil, le Coma, le Catoche, la catalepsie,
l'assoupissement, le vertige, & d'autres
accidens de ce genre, viennent de la bouche de
l'estomac. Le bâillement qui suit le
sommeil, ou qui est son avant-courier, est par
conséquent attribué à la
même partie, puisque c'est là
qu'habite la phantaisie & ce n'est pas en
vain qu'on le surnomme coeur. Aussi lors qu'on
est sensiblement affligé on pousse
quantité de soupirs qui semblent soulager
cet orifice supérieur de son oppression,
de même lorsque l'estomac paresseux &
non-chalant nous rend assoupis, l'ennui de
bâiller ne donne point de relâche
aux muscles de la bouche & de la
trachée artère qu'elle appelle
aussi à son secours, de la même
manière que l'os ethmoide, ennuiron
l'organe de l'odorat, appelle aussi en aide les
muscles de la poîtrine pour la
sternutation. Et il ne faut pas pour cela
chercher la cause du bâillement dans les
muscles qui se sont, non plus qu'à ceux
qui s'émouvent quand on
éternuë la cause de
l'éternuement".
-
- Remise en cause des
théories hippocratiques
- Herman
Boerhaave (1668-1738) est
considéré comme le fondateur de la
médecine clinique et de l'hôpital
académique moderne. En 1680, dans
"Praelectiones academicae", il donne pour le
première fois une explication originale
au bâillement: "le bâillement et les
pandiculations favorisent la répartition
équitable du spiritus dans tous les
muscles et désobstruent les vaisseaux
dont le sommeil avait ralenti la fonction. C'est
encore pour favoriser le cours du sang et
rétablir l'influx nerveux qu'ont lieu
dans certains cas le bâillement et les
pandiculations; leur action va lutter contre la
prédominance trop marqués des
fléchisseurs et remttre chaque chose en
place".[...] "Le bâillement se
fait en étendant presqu'en même
temps la plupart des muscles qui
obéissent à la volonté, en
donnant aux poumons une très grande
expansion, en inspirant beaucoup d'air lentement
& peu à peu. Ensuite après
l'avoir retenu quelque temps, & qu'il a
été raréfié, on le
rend insensiblement par l'expiration & enfin
les muscles reprennent leur état naturel.
Son effet est donc de mouvoir toutes les humeurs
du corps par tous les vaisseaux, d'en
accélérer le cours, de les
distribuer également, & par
conséquent de donner aux organes des sens
& aux muscles du corps la facilité
d'exercer leurs fonctions". Les thèses de
Johann Beutler (1685) et Gottlob Hermann (1720)
reprendront ces théories en ajoutant un
rôle pronostic aux bâillements,
témoin de la gravité des
fièvres.
-
- Pierre
Brisseau associe pour la première
fois bâillement et épilepsie dans
son "Traité des mouvements simpatiques"
en 1692: "Les signes d'un paroxysme prochain
d'épilepsie sont, un trouble de
l'âme & des sens, une pesanteur &
une douleur de tête, le vertige, une
insomnie facheuse, une lassitude dans les
articles, un tremblement des membres, un
tintement d'oreille, bâillement,
palpitation du coeur, difficulté de
respirer, nausée, cardialgie, &c.
& tous ces signes paroissent tantôt
plus, tantôt moins dans les Epileptiques.
[...); De ce que le Sang circule
difficillement par les poumons, l'on peut
déduire facilement le bâillement de
ceux, qui sont sur le point d'être
attaqués d'un paroxisme
d'Epilepsie".
-
- George
Cheyne (1671-1743) rédige, en 1733,
"The English Malady or a treatise of nervous
diseaes of all kinds" dans lequel il expose: "le
bâillement & la pandiculation semblent
être produits par des concrétions
dures, par des particules salines, par quelques
vapeurs nuisibles, âcres ou acrimonieuses;
par la matière de la transpiration, par
des vents, &c. qui sont ou arrêtent
dans les petits vaisseaux, ou portés
à quelque partie qui a beaucoup de nerfs,
comme au canal alimentaire, dans les
cavités du cerveau, sur l'épine,
dans les interstices des muscles. Les nerfs de
ces parties ou leurs membranes, étant
irrités, il se forme dans toutes les
fibres nerveuses ou sensibles un
dérangement général, qui en
produit bientôt un semblable dans tout le
sytème musculaire". [...] "Sous
le nom de vapeurs, ou de mal de rate, on entend
communément l'abattement, le
découragement, le gonflement de
l'estomac, les rapports fréquents, le
bruit dans le bas-ventre, le bourdonnement ou
tintements d'oreilles, les bâillements, le
manque d'appétit, l'agitation,
l'état inquiet, les
anxiétés ou angoisses, la mauvaise
humeur, la mélancolie, la tristesse,
l'inconstance, l'insomnie, l'assoupissement,
portées à l'excès, ou en un
mot, tous les symptômes qui ne forment pas
une maladie particulière; mais les
vapeurs sont très souvent symptomatiques,
& dépendent d'un autre mal." Les
prémices de
l'hystéro-épilepsie de Jean-Martin
Charcot sont exposés ici et ce n'est
qu'au XXè siècle que seront
séparées épilepsie,
pathologie corticale et hystérie,
souffrance psychologique.
-
- Le XVIIIè
siècle, le bâillement
"améliore l'oxygènation du
cerveau".
- Johannes
de Gorter (1689-1762), auteur hollandais
prolifique dans tous les domaines de la
médecine du début du XVIIIè
siècle, a une place essentielle dans
l'histoire des connaissances sur le
bâillement. C'est en effet dans son livre
"De Perspiratione insensibili" qu'en 1755, il
attribue les bâillements à "un
besoin de circulation plus rapide du sang et une
anémie de l'encéphale". Nait ainsi
un concept qui va perdurer pendant deux
siècles, répétés par
presque tous les auteurs: le bâillement
améliore l'oxygénation du
cerveau.
-
- Albrecht
von Haller (1708-1777), médecin et
poète suisse, a écrit la
première synthèse de la
physiologie humaine (Elementa physiologiae
corporis humani en 8 volumes publiés de
1757 à 1766). A la suite de Francis
Glisson, il introduit la notion
"d'irritabilité" propriété
des tissus d'être stimulés. Il en
enregistra, le premier, la preuve et distingua
l'impulsion nerveuse (la sensibilité) de
la contraction musculaire
(l'irritabilité): "Il y a une
espèce d'harmonie entre le pouls & la
respiration. Dans l'état naturel on
compte ordinairement trois ou quatre pulsations
pendant une respiration. S'il arrive plus de
sang au coeur, le nombre des pulsations &
des respirations augmente. C'est là
d'où vient la difficulté de
respirer qu'ont ceux qui sont en mouvement,
parce qu'alors le sang veineux est
fouetté &
accéléré. S'il y a une plus
grande distance dans les poumons, & que le
sang ait de la peine à passer du
ventricule droit dans le gauche, le nombre et
l'étendue des respirations seront plus
grands pour franchir le chemin. C'est là
la cause des soupirs et du bâillement". Il
décrit plus loin le sommeil: "Aux
approches de la nuit, on sent peu à peu
un engourdissement dans les muscles longs &
dans leurs tendons, une inaptitude aux
pensées sérieuses & un amour
pour le repos. Alors les forces qui soutenoient
le corps, s'abbatent, les yeux se ferment, la
machoire inférieure reste pendante, on
est nécessairement forcé à
bâiller". Dans la lignée de de
Gorter, il propose: " Pourquoi
bâille-t-on, lorsqu'on a envie de dormir ?
C'est pour débarrasser le poumon par
lequel le sang passe plus lentement".
-
- David
Hartley (1705-1757) médecin anglais,
influencé par les découvertes de
Isaac Newton va tenter d'expliquer la
physiologie humaine par des lois de physiques
adaptées de celles de la gravitation.
Comme Hippocrate avait transposé les
connaissances des éléments de la
Nature d'Aristote, en quatre humeurs, Hartley va
proposer que les sensations perçues et
les actes volontaires dépendent de
vibrations de particules composant les tissus
humains, invisibles à l'oeil, parcourant
les nerfs et donnant ainsi
matérialité "aux esprits animaux"
de Descartes. Il apparaît ainsi comme un
précurseur du concept moléculaire:
"Les actions de bâiller, de
s'étendre peuvent peut-être, en les
considérant selon les circonstances, se
trouver dans les cinq classes des mouvements
vibratoires. Quand ils arrivent dans les
attaques de fièvre & autres maladies,
la première semble devoir s'attribuer
à des contractions subites et fortes dans
les membranes de la bouche, du gosier, de la
trachée artère & de
l'oesophage, la seconde aux contractions de la
peau".
-
- Très étonnamment, fort peu
d'auteurs anciens ont évoqué le
bâillement des animaux ou celui des
enfants. Charles
Porée (1685-1770), au cours d'une
séance publique de l'Académie des
Belles-Lettres de Caen,en 1756, disserta sur la
bâillement et nota "Les Oiseaux
bâillent ainsi que les hommes &
plusieurs autres animaux, mais leur
bâillement diffère du notre. La
partie inférieure du bec des oiseaux est
stable, la supérieure est mobile par le
moyen d'une charnière, qui unit les os de
la tête de l'Oiseau à son bec.
Notre mâchoire supérieure est fixe,
l'inférieur est mobile & s'articule
avec les os des tempes. Dans le bâillement
de l'homme c'est la partie inférieure de
a bouche qui s'abaisse: le méchanisme
diffère, l'intention de la nature est la
même & arrive au même but. Au
reste cette remarque n'est que de simple
curiosité. Nous bâillons en
naissant: le premier enfant qui vint au monde en
donna l'exemple. Ce n'est pas à l'ennui
que ce mouvement peut être
attribué, la société dans
laquelle entre un enfant lui est connue. La faim
& le sommeil n'en sont pas la cause
immédiate; la nourriture va être
administrée par un nouveau canal; il faut
donc le rapporter d'abord au changement que
produit en lui le jeu de la respiration qui
commence; ensuite au conduit nouveau qui se
fraye le sang. On peut le regarder encore comme
une marque de lassitude causée par les
fatigues de la naissance & par la nouvelle
oscillation des humeurs. Tous ces changement
sont admirables & démontrent une
providence digne de nos plus profondes
adorations. Quelqu'un néanmoins pourra se
plaindre qu'il y ait de la peine à
naître comme il y en a à mourir,
& souvent est-il moins pénible de
vivre".
-
- Joseph
Raulin (1708-1784) tente, lui, de classifier
les désordres nerveux des dames de la
cour de Louis XV qu'il a à soigner. Dans
son Traité des affections vaporeuses du
sexe, il compare les spasmes, les convulsions et
décrit sous le terme de l'époque,
les vapeurs, ce qui deviendra l'hystérie
décrite par Paul Briquet et Jean Baptiste
Louyer-Villermay au début du XIXè
siècle: "Une femme a-t-elle des
inquiétudes, des bâillemens, des
hoquets, des spasmes, des mouvements
irréguliers dans les nerfs, elle s'en
plaint amérement; ses parents , ses
amies, ses voisines lui répondent avec
indifférence, ce sont les vapeurs. Ces
légères vapeurs font
insensiblement des progrès, la malade
devient triste, elle verse des larmes, ou bien
elle paroît enjouée, elle articule
des termes qu'on entend pas, ou elle dit de
jolies choses, elle rit, elle chante, ou elle
pleure & rit alternativement, toujours sans
se connoître; on rit comme elle, en disant
que ce sont des vapeurs".
-
- L'histoire n'a pas retenu le nom de
Jean-Férapie
Dufieu. Pourtant, il rédigea un
Traité de Physiologie, publié
à Lyon en 1763, à l'attention des
étudiants et y colligea le savoir de son
temps dans un style littéraire, bien
oublié de nos manuels contemporains:
"Quand on s'éveille on bâille, on
étend les bras, on est plus agile, on a
plus de vivacité d'esprit. Comme le suc
nerveux n'a pas coulé dans les muscles
durant le sommeil, toutes les fibres sont
languissantes. Il faut donc les contracter tous,
pour ouvrir le passage au suc nerveux qui s'est
filtré dans le cerveau, ou pour l'appeler
dans ces parties. De plus, le mouvement du sang
étoit languissant dans les muscles, il
faut donc hâter son cours; or cela se fait
par la contraction où ils entrent quand
on étend les membres. Le bâillement
vient de la même cause. Ce suc nerveux qui
entre dans les muscles, & qui s'est
ramassé en grande quantité, fait
qu'on est plus agile; car l'âme peut en
envoyer beaucoup dans les nerfs pour mouvoir les
parties". Cette description imagée se
rapproche de bien des concepts de ce
début du XXIè siècle!
-
- Achille
Le Vacher de la Feutrie compose, en 1767, un
dictionnaire de chirurgie où il revient
aux concepts hérités de Sanctorius
et de Gorter: "On rend insensiblement une grande
quantité de matières perspirables
lorsque la nature occasionne des
bâillements et des extensions des membres,
pour s'en débarrasser. On est plus sujet
à bâiller immédiatemment
après le sommeil, qu'en tout autre tems,
parce qu'alors il s'échappe par les pores
de la peau, une plus grande quantité de
cette matiere, qu'en tout autre tems;
l'accroissement de contraction, auquel cette
affluence donne lieu, produit en même tems
la rétention de la matiere perspirable
dans les passages de la peau; & c'est de
là que proviennent les irritations que
suivent le bâillement & l'expansion
des membres. Dans ces mouvements les membranes
de tout le corps sont secoués leurs
fibres sont écartées, & la
matière retenue peut
s'échapper".
-
- Suivant Sydenham en Angleterre, François
Boissier de Sauvages (1706-1767),
célèbre praticien de
l'Université de Montpellier, s'essaya
à une classification des maladies en
empruntant une méthodologie
inspirée de Linné en sciences
naturelles, lequel incita l'époque
à une véritable manie taxonomique.
Boissier publia beaucoup sur tous les sujets
mais sa "Nosologie Méthodique ou
distribution des maladies en classes, en genres
et en espèces" reste son ouvrage le plus
célèbre: "Au moyen de
l'inspiration ample & profonde qui
accompagne le bâillement, toutes les
vésicules pulmonaires se dilatent, la
circulation du sang dans les poumons
s'accélère, les viscères du
bas ventre sont comprimés, les yeux
larmoient, la salive coule en abondance, l'ouie
s'émousse, on sent une espèce de
bourdonnement dans la tête, le conduit
d'Eustache se dilate, la parole se perd, la
perspiration augmente, l'âme
éprouve une espèce de
volupté, & l'homme devient plus
dispos & plus alerte". Boissier passe
ensuite en revue les différents
bâillements pathologiques: lors des
hémorragies, comme lors des
fièvres, ils annoncent une funeste
évolution alors que les
"bâillements stomachiques"
témoignent d'indigestion et de
dégoût. Il n'oublie pas de
décrire les vapeurs accompagnées
de bâillements qu'ils qualifient
d'hystériques.
-
- Samuel
Tissot (1728-1797 revint exercer à
Lausanne après avoir étudié
à Montpellier. Médecin des grands
de ce monde entre 1750 et 1797, on le consultait
de l'Europe entière, souvent par
correspondance. Ses archives contiennent toute
la correspondance médicale, ordonnances
comprises, qu'il a entretenue avec ses patients.
L' "Avis au peuple sur sa santé" fut un
véritable bestseller avant l'heure,
traduit en douze langues et
réédité dix sept fois.
C'est le premier ouvrage de vulgarisation
médicale destiné au grand public
en langue vernaculaire. Mais il reste surtout
comme l'auteur du premier traité de
neurologie "Traité des nerfs et de leurs
maladies" (1728-1777) dont le dernier tome porte
le titre de "Traité de
l'épilepsie". Il attribue la transmission
d'une information d'une partie du corps à
une autre à un fluide circulant dans les
nerfs qu'il nomme "sympathies": [...]
"Telle est l'admirable constitution de l'homme
et de l'animal, que ces parties dont les
fonctions paroissent différentes sont
cependant enchainées de façon
qu'elles influent toutes du plus au moins les
unes sur les autres [...] Mais outre
cette harmonie générale, il y a
différentes parties qui ont entre elles
une liaison plus étroite, qui sont unies
par différents moyens, de façon
que l'état de l'une influe d'une
façon très marquée sur
l'autre, ou au moins est altérée
par les changements qu'elle éprouve;
c'est la force du sympathia des Grecs & du
consensus des Latins; & elle en souffre
quelques fois au point que l'effet est beaucoup
plus marqué sur la partie en sympathie
que sur celle qui est primitivement
affectée". [...] "Les sympathies
particulières dépendant des nerfs
qui ont des connexions plus étroites, de
légères causes peuvent les mettre
en mouvement; il en faut de plus puissantes pour
décider des effets bien marqués de
la sympathie générale. Tous les
hommes ne sont pas également sujets aux
sympathies, parce que le genre nerveux n'est pas
également sensible chez tous; ainsi la
même cause qui occasionnera les sympathies
les plus marquées chez une personne, n'en
produira aucune chez une autre, son action sera
bornée à son siège, parce
que ses nerfs sont moins sensibles. N'est ce
point au consensus général qu'il
faut attribuer cette force imitative qui
obligeoit Monro à répéter
tout ce qu'il voyait faire. M. Whytt lui
attribue le bâillement & le
vomissement involontaires; mais je ne sais
cependant si le simple consensus physique ne
peut pas opérer seul ces
phénomènes".
-
- Robert
Whytt (1714-1766) professeur de
médecine à Edinburgh est connu
pour avoir décrit la meningite
tuberculeuse. Son explication "des sensations"
(la sensibilité) dans les mouvements
involontaires en fait le précuseur de la
notion de réflexe, comme son
intérêt pour l'effet des
émotions dans le cours des maladies en
fait le père de la pathologie
psychosomatique: "Les différentes parties
de notre corps reçoivent des nerfs, non
seulement la faculté de sentir &
celle de se mouvoir, mais encore une sympathie
très déterminée, qui est ou
générale, & s'étendant
à tout le système de
l'économie animale, ou
particulière, c'est à dire
s'exerçant entre certaines parties
principalement ... Nous fermons nos deux
paupières, soit que nous le voulions,
soit que nous ne le voulions pas, toutes les
fois que quelque chose menace d'offenser un de
nos yeux. Une lumière éclatante
qui frappe subitement nos yeux, occasionne
quelquesfois l'aveuglement. Hippocrate a
remarqué que la vue inattendue d'un
serpent rend le visage pâle. Lorsque qu'un
personne qui a faim voit un aliment qu'elle
aime, elle a une excrétion de salive plus
abondaate qu'elle n'était avant d'avoir
vu cet objet. Le bâillement & le
vomissement se font souvent par cela seul qu'on
voit ou qu'on entend quelqu'un bâiller ou
vomir ... Dans cet ouvrage sur les maladies
nerveuses, je traiterai principalement de celles
de ces maladies qui ont en grande partie l'effet
de la constitution foible, délicate,
& extaordinaire des nerfs; & je regarde
comme étant dans cette classe, la
plûpart de ces symptômes que les
médecins ont communément
distingués par les noms de
symptômes venteux, spasmodiques,
hypochondriaques, hystériques, vaporeux.
.... Des ceux qui se font sentir subitement dans
tout le corps ou qui le parcourent; des
frissonements; un sentiment de froid dans
certaines parties sur lequelles il semble qu'on
verse de l'eau; d'autres fois, un feu
extraordinaire; ... Des palpitations de coeur;
Le pouls très changeant, le plus souvent
naturel, quelquefois extraordinairement lent,
& , d'autres fois prompt ou fréquent,
plus souvent petit que plein, &, dans
certains cas, irrégulier ou intermittent;
... Une toux sèche avec de la
difficulté à respirer, ou bien une
convulsion ou un resserement des bronches:
accident qui revient quelquefois
périodiquement, le bâillement, le
hoquet, les soupirs fréquents, un
sentiment de suffocation ou
d'étranglement qui semble causé
par une boule ou un corps fort gros
engagé dans la gorge, des cris & des
ris convulsifs qui prennent par
accès....."
-
- Erasmus
Darwin (1731-1802) est célèbre
pour être le grand père de Charles
et l'auteur de "Zoonomia ou les lois de la vie
organique" (1794). Il est le premier à y
décrire le mouvement du bras
paralysé quand un
hémiplégique bâille: "
Yawning and pandiculation of the limbs is
produced either by a long inactivity of the
muscles now brought into action.... These
involuntary motions are often seen in paralytic
limbs, which are at the same time completely
disobedient to the will".
- "L'art de connaître les hommes par la
physionomie" (1775-1778) de Gaspard Lavater
(1741-1800) est l'aboutissement d'un courant
philosophique né dans l'antiquité
consistant à décrypter la
personnalité d'un individu en fonction
des traits de son visage. Le chapitre qu'il
consacre au bâillement est
particulièrement original: "Dans les
instans les plus vifs des passions, la machoire
a souvent un mouvement involontaire, ainsi que
dans les momens où l'ame n'est
affectée de rien; la douleur, le plaisir,
l'ennui font également bâiller,
mais il est vrai qu'on bâille vivement et
que cette espèce de convulsion est
très prompte dans la douleur et le
plaisir, au lieu que le bâillement de
l'ennui en porte le caractère, par la
lenteur avec lequel il se fait".
-
- Le XIXè
siècle, le bâillement et
l'hystérie.
- François
Magendie (1783-1855) démontra les
découvertes de Charles Bell distinguant
les racines antérieures de la moelle
comme motrices et postérieures comme
sensitives. Il soutint sa thèse le 27
mars 1808: "Essai sur l'usage du voile du
palais" dans laquelle il consacre un chapitre
original au bâillement: "Le
bâillement, placé par les
physiologistes au nombre des
phénomènes inspiratoires, ne me
paraît pas avoir été
suffisamment étudié. On le
considère généralement
comme une longue inspiration
nécessitée par le ralentissement
de la circulation au moment du réveil,
aux approches du sommeil et dans les passions
tristes, comme l'ennui, etc. Mais, si l'on
examine avec attention le bâillement, on
reconnaîtra que souvent il se compose de
plusieurs inspirations et expirations; que
d'autres fois il arrive après
l'inspiration, par conséquent lors de
l'expiration; qu'enfin, dans certains cas plus
rares, on bâille sans inspirer ni expirer;
ce qui ma fait fortement présumer que la
bâillement consiste principalement dans la
pandiculation des muscles masséters
temporaux ptérygoïdiens, et dans la
contraction prolongée des muscles
sous-maxillaires. Je ne prétends point
exclure entièrement le but donné
au bâillement par les physiologistes; mais
je pense qu'il doit être regardé
comme accessoire. Une autre raison me fait
persister dans cette idée: c'est que le
bâillement est presque toujours
accompagné de la pandiculation des autres
muscles du corps, et que des muscles aussi
importants que les masséters et les
ptérryoïdiens doivent
nécessairement participer au
bien-être résultant de cet
état d'allongement. N'observe-t-on pas
d'ailleurs pour les muscles de la mâchoire
les deux espèces de pandiculation des
muscles du tronc et des membres? Dans l'une, et
c'est la plus fréquente, on étend
les membres, on renverse le tronc en
arrière, les fléchisseurs sont
allongés, les extenseurs
contractés; dans l'autre, le contraire
arrive, c'est à dire, que le tronc et les
membres sont dans la plus grand degré de
flexion possible: alors les extenseurs sont
allongés, les fléchisseurs
fortement contractés. On retrouve ces
deux espèces de pandiculation dans les
muscles de la mâchoire inférieure,
quand le bâillement ordinaire a lieu: les
élévateurs sont allongés,
les abaisseurs en contraction; dans un
état particulier, et qui n'a pas encore
été décrit, les muscles
élévateurs, ainsi que tous les
muscles de la face, entrent dans une violente
contraction, et l'on éprouve alors une
sensation parfaitement analogue à celle
ressentie dans le bâillement".
-
- Auguste
Landre-Beauvais (1772-1840) inaugure un
nouveau genre en proposant un des premiers
livres de sémiologie médicale:
"Traité des signes des maladies" (1815).
Il décrit le bâillement
associé à divers états
pathologiques: " Le bâillement survient
ordinairement avant le frisson fébrile ;
il se rencontre quelquefois dans les
fièvres ataxiques; il
précède fréquemment les
éruptions et les hémorrhagies. Les
attaques de goutte, d'hystérie,
d'hypochondrie s'annoncent, assez souvent par un
bâillement continuel. Des bâillemens
fréquens se remarquent quelquefois chez
les femmes nouvellement enceintes. Le
bâillement est un des
phénomènes qui se manifestent
après de grandes blessures, des
évacuations excessives, des inflammations
internes: s'il est accompagné de mauvais
symptômes, il devient un signe très
fâcheux. Dans les fièvres
ataxiques, le bâillement fréquent
devient un signe très dangereux,
particulièrement s'il est joint à
d'autres phénomènes qui annoncent
la foiblesse. Il en est de même dans la
fièvre jaune, dans la peste, dans les
phlegmasies compliquées de fièvre
ataxique. Des bâillements fréquens
surviennent quelquefois chez les femmes qui sont
dans le travail de l'enfantement : ils indiquent
que l'accouchement sera difficile et que les
forces sont opprimées ou affoiblies. Un
sentiment de lassitude et de pesanteur dans les
membres, et des sensations moins vives,
précèdent immédiatement le
bâillement ; il est suivi de plus de
gaieté et de vivacité; le pouls
acquiert de la fréquence, et souvent la
chaleur augmente; la sécrétion des
larmes et de la salive est plus abondante. Si on
rapproche ces phénomènes de ce qui
a eu lieu avant le bâillement, la fatigue,
l'ennui, un froid extérieur, il
paroît que le but de cet effort est de
favoriser la circulation dans le poumon,
où elle éprouve quelques obstacles
produits soit par un état de spasme, soit
par la pléthore".
-
- Le premier dictionnaire médical
encyclopédique du XIXe siècle, en
60 volumes paru de 1812 à 1822, est
l'uvre de Charles-Louis-Fleury
Panckoucke (1780-1844) pour lequel il fit
appel aux plus grandes signatures de
l'époque, comme les Alibert, Pinel,
Esquirol, Laënnec, Desgenettes ou Larrey.
En plus de 4.000 notices et un peu plus de 200
illustrations, ce dictionnaire tente de faire la
synthèse du savoir médical de
l'époque, à la naissance de la
clinique et de l'anatomo-pathologie. Il
rencontra un grand succès commercial qui
arrondit la fortune de son promoteur et assura
une large promotion de la pensée
médicale française. La rubrique
"Bâillement" est novatrice car elle
évoque le bâillement des animaux et
décrit le bâillement ftal
jamais signalé
précédemment: "Bâillement,
s.f. oscitatio, action de bâiller : on
fait dériver ce mot de balare,
bêler. Le bâillement consiste dans
une grande inspiration qui se fait lentement et
ordinairement avec écartement
considérable des mâchoires, et qui
est suivie d'une expiration prolongée,
souvent accompagnée d'un bruit sourd. On
croit généralement qu'il est
occasionné par un embaras de la
circulation pulmonaire: cette opinion, qui n'est
appuyée sur aucun fait positif, ne manque
cependant pas de vraisemblance: en effet,
presque toutes les causes qui déterminent
le bâillement coïncident avec une
certaine débilité de tout le
système, qui paraît très
propre à produire l'embaras dont nous
parlons; ces causes sont l'ennui, l'envie de
dormir, la fatigue, la faim, le malaise qui
précède l'invasion de certaines
fièvres intermittentes, etc. Les animaux
que l'ont met sous le récipient de la
machine pneumatique, ceux qu'on place dans un
air non respirable, bâillent à
plusieurs reprises avant de perdre la vie: les
ftus qu'on tire vivans du sein de leur
mère par opération
césarienne, bâillent
également : enfin il paraît qu'une
altération quelconque dans le tissu
pulmonaire peut donner lieu à
fréquens bâillemens. Dans beaucoup
de cas, ce phénomène semble
plutôt lié à l'état
de l'esomac qu'à celui des poumons qui ne
sont affectés, en quelque sorte, que d'un
manière sympathique; c'est ainsi qu'une
digestion laborieuse ou une simple douleur
d'estomac, quelle qu'en soit la cause, est
accompagnée de bâillemens
répétés : cet accident peut
aussi être purement spasmodique, comme on
l'observe chez les femmes affectées
d'hystérie, ou chez les individus qui
sont sujets aux maladies convulsives. Le
bâillement est, jusqu'à un certain
point, un acte involontaire : on peut bien
surmonter l'action des muscles qui tendent
à abaisser la mâchoire, en
contractant leurs antagonistes; on peut
modérer l'expiration qui le temine et
prévenir le bruit dont elle est
accompagnée; mais la longue inspiration
qui, à proprement parler, constitue le
bâillement, ne peut être
réprimée, sans doute parce que le
diaphragme, qui en est l'agent, reçoit en
partie ses nerfs du système des
ganglions, ainsi que M. Roux l'a fort bien
remarqué. Bichat soupçonnait que
l'objet de cet acte involontaire était de
renouveler plus complètement l'air
contenu dans les poumons qu'il ne l'est dans une
inspiration ordinaire, et de donner lieu, par
là, à une une plus grande
absortion d'oxygène."
-
- François-Joseph
Double (1776-1842), célèbre
à son époque et membre fondateur
de l'Académie de Médecine, publie,
lui aussi, un traité de
"Séméiologie
générale ou traité des
signes et de leur valeur dans les maladies" en
1817. Il y récapitule les mêmes
données que Landre-Beauvais: "Des
considérations rapides sur le
mécanisme du bâillement, laissent
facilement entrevoir le degré d'influence
qu'il doit avoir sur l'économie. Quelle
idée ne prendra-t-on pas de son
importance, si l'on réfléchit
à l'état général de
l'économie qui le précède
et qui le termine, et par exemple à
l'espèce de stupeur et d'engourdissement
qui le prépare, au sentiment de lassitude
et de faiblesse qui le devance, et au contraire
à la sensation agréable qui le
suit, au délassement et au
bien-être qu'il procure. C'est dans la
méditation ce ces divers objets, que l'on
retrouve l'indication de la plupart des signes
que l'expérience a attaché au
bâillement [...] Une distenion
successive de tous les muscles avec une
sensation agréable assez ordinairement
suivie de bâillement, constituent les
pandiculations. [...] Aux approches des
convalescences, les pandiculations sont un signe
très-avantageux; mais si elles se
prolongent et si elles persistent avec trop
d'opiniatreté, on doit craindre une
rechute. Dans le cours des maladies, les
pandiculations sont toujours salutaires; elles
constatent l'état favorable des forces
vitales et la résistance que la nature
oppose à l'action de la maladie".
-
- A la même époque, Anthelme
Richerand (1779-1840), connu pour ses
querelles avec Dupuytren, publia, à 22
ans, "Nouveaux éléments de
physiologie", large compilation des
écrits de l'époque et sans
originalité mais dans un style à
l'origine d'un réel succès
pédagogique comme ce témoignage
l'atteste: "Nos années dites scolaires
ont été comme embellies et
charmées par la lecture de cet ouvrage.
C'était pour nous comme une
séduisante introduction à
l'étude austère de la
Médecine; lecture un peu
légère si l'on veut, mais qui
semblait parsemer de fleurs ses premiers
sentiers". L'article sur le bâillement en
fait foi: "On bâille également
quand on s'éveille, afin de monter les
muscles du thorax au degré convenable
à la respiration, toujours plus lente,
plus rare et plus profonde durant le sommeil que
pendant la veille. C'est par un besoin analogue
que l'instant du réveil est marqué
chez tous les animaux par des pandiculations,
action musculaire dans laquelle les muscles
semblent se disposer aux contractions que les
mouvemens exigent. C'est à la même
utilité que l'on doit rapporter le chant
du coq et l'agitation de ses ailes; enfin c'est
pour obéir à la même
nécessité, qu'au lever du soleil,
les nombreuses tribus des oiseaux qui peuplent
nos bocages gazouillent à l'envi et font
retentir les airs de chants harmonieux. Le
poète croit entendre alors l'hymne joyeux
par lequel le peuple ailé
célèbre le retour du dieu de la
lumière" !
-
- Nicolas Adelon
(1782-1862) est l'auteur du long article
consacré au bâillement dans le
Dictionnaire de Médecine paru en 1821. Il
développe largement la théorie
ventilatoire du bâillement, lui assurant
plus de 150 ans de succès: "Ainsi, dans
l'état de santé, le
bâillement éclate par le
séjour dans le vide, par la situation
dans un air non renouvelé, parce que dans
ces cas l'air manque ou est peu riche en
oxygène, et qu'on cherche à
suppléer en en introduisant beaucoup, a
ce qui manque à si qualité. C'est
par la même raison que le bâillement
est un phénomène précurseur
de toutes les asphyxies graduelles. On
bâille aux approches du sommeil, parce que
la paralysie momentanée, qui va saisir
tous les muscles du corps semble vouloir saisir
aussi ceux de la respiration, d'où
résulte une diminution passagère
dans les inspirations; et comme cependant la
circulation a continué de même, et
par conséquent a amené dans le
poumon la même quantité de sang
veineux à changer en artériel, on
conçoit qu'il n'y a plus eu assez d'air
pour effectuer cette conversion, et qu'un peu de
sang veineux restant dans le poumon, il s'est
fait un léger embarras dans la
circulation pulmonaire: alors des
bâillements surviennent automatiquement
pour introduire une plus grande masse d'air,
toute la quantité nécessaire pour
artérialiser le sang veineux restant, et
rétablir l'équilibre. C'est parce
que le bâillement éclate dans
toutes les circonstances où existe cette
accumulation de sang veineux dans le poumon, cet
embarras dans la circulation pulmonaire, qu'on a
considéré ce
phénomène comme un remède
physiologique destiné à dissiper
cet engorgement; et il est sûr en effet
que son entier accomplissement est suivi d'un
sentiment de bien-être. A juger par ce
sentiment, on croirait que l'air
extérieur que le bâillement
introduit dans le poumon a vaincu dans cet
organe l'obstacle qui y entravait la
circulation. On bâille aussi premiers
instants du réveil, parce que, pendant le
sommeil, l'inspiration s'est faite dans un mode
autre que pendant la veille et que, lors du
passage d'un de ces modes à l'autre, il a
y eu momentanément diminution dans les
inspirations, défaut d'équilibre
entre la quantité d'air introduite et la
quantité de sang veineux à charger
en sang artériel, d'où est
résulté un léger
engorgement pulmonaire qui a appelé
à sa suite le phénomène
propre à le dissiper".
-
- A la même époque, en
Angleterre, John
M. Good (1764-1827) détaille
bâillements et pandiculations dans The
Study of Medicine with a Physiological System of
Nosology. De façon très
différente des explications ayant cours
sur le continent, il n'évoque jamais le
mécanisme ventilatoire mais n'y voit
qu'un travail musculaire nécessaire
à l'équilibre entre extenseurs et
fléchisseurs. Ces notions s'approchent
des constats physiologiques contemporains.
-
- En 1861, dans les Annales de Sciences
Naturelles, Adolphe
Dureau de la Malle (1777-1851) propose un
mémoire sur le développement des
facultés intellectuelles des animaux
sauvages et domestiqués. Il assure avoir
créé un lien si proche avec son
chien, que celui-ci bâille en le voyant
bâiller! Un auteur contemporain A. Senju a
publié en 2008 une recherche aboutissant
à des conclusions comparables.
-
- François
Broussais (1772-1838) se démarque
complètement de ses
prédécesseurs et contemporains,
dans son Traité de physiologie
appliqué à la pathologie, paru en
1834: "Si l'on veut rechercher le
mécanisme des bâillemens, que l'on
peut considérer comme le premier signe et
le principal phénomène de l'ennui,
soit moral, soit physique, on rencontrera de
grandes difficultés. On l'a
considéré comme produit par le
besoin de respirer, ou comme destiné
à renouveler l'air stagnant dans les
poumons, lorsque la respiration a
été quelque temps ralentie. C'est
une erreur - il suffit d'être praticien
pour avoir la certitude que jamais la
dyspnée ne produit seule le
bâillement." [...] "Les poumons me
paraissent beaucoup moins influencés que
l'estomac par l'acte du bâillement"
[...] "si le besoin d'air n'est pas
l'objet principal de cette grande aspiration,
à quoi peut-elle servir? Serait-ce pour
obtenir une déglutition d'air, et faire
par là cesser un malaise de l'estomac ?"
Cette réflexion originale n'eut pas
d'écho et la théorie ventilatoire
perdura.
-
- John
Abercrombie (1780-1844), médecin
écossais, publie en 1828, Pathological
and practical researches on the diseases of the
brain and spinal cord, traduit en
français en 1832. Il décrit avec
une grande précision ce curieux
phénomène rencontré chez
certains hémiplégiques qui voient
leur bras paralysé venir vers la bouche
pendant qu'ils bâillent; il signale la
simultanéité et précise sa
disparition lors de la
récupération de la paralysie.
-
- En 1842, Pierre-Marie
Flourens (1794-1867) donne une explication
claire des automatismes moteurs et de leur
coordination (Recherches expérimentales
sur les propriétés et les
fonctions du système nerveux dans les
animaux vertébrés): "Quant
à la moelle épinière, elle
se borne à lier les contractions
musculaires, premiers éléments de
tout mouvement, en mouvements d'ensemble; et,
bien que d'elle partent presque tous les nerfs
qui déterminent et ces contractions et
ces mouvements, ce n'est pourtant point en elle
que réside l'admirable faculté de
coordonner et ces contractions et ces mouvements
en mouvements déterminés, saut,
vol, marche, coure, station, etc.; ou
inspiration, cri, bâillement, etc.: cette
faculté réside dans le cervelet,
pour les premiers; dans la moelle
allongée, pour les seconds. Il reste une
dernière considération à
rappeler. Communément, les mouvements de
la respiration, du cri, du bâillement,
etc., sont appelés involontaires, par
opposition aux mouvements de locomotion, qu'on
appelle alors volontaires".
-
- Louis
Delasiauve (1804-1893) et Théodore
Herpin (1799-1865) ont leurs noms
associés aux descriptions précises
de différents types d'épilepsie,
distinguant les crises
généralisées des crises
partielles. Ils décrivent des prodromes
avertissant le malade de la survenue d'une
crise, notamment des bâillements
réitérés. Ces
symptômes sont actuellement
attribués à des crises partielles
temporales.
-
- Fin du XIXè
siècle, le bâillement est-il un
réflexe?
- Jean-Louis
Brachet (1789-1858), éminent
physiologiste lyonnais, conteste, le premier, le
rôle respiratoire du bâillement: "On
fait, en général, consister le
bâillement dans une grande et profonde
inspiration qui se fait lentement et avec
abaissement considérable de la
mâchoire inférieure, de l'os
hyoïde et du larynx, et à laquelle
succède une expiration prolongée
et accompagnée d'un bruit sourd
particulier; on l'attribue soit au besoin de
renouveler l'air des poumons, soit au besoin
d'en introduire une plus grande quantité
pour fournir plus d'oxygène au sang, dont
le cours était gêné, et qui,
par conséquent, en a besoin, soit enfin
à un sentiment de malaise qui se
manifeste dans le fond de la gorge, à la
partie supérieure du cou. Telle n'est pas
notre manière de voir. Ce n'est pas
seulement à cette contraction convulsive
des muscles de la face et du cou, ce n'est pas
à cette colonne d'air plus large qu'elle
promène dans les voies aériennes,
que nous restreignons l'action de ce
phénomène. Le bâillement
n'est pas un phénomène purement
local appartenant exclusivement, à la
respiration : c'est un phénomène
général appartenant à
l'économie tout entière"
[...] "Ainsi, nous pensons que le
bâillement a lieu, de même que les
pandiculations, lorsque le cerveau, averti de
l'engourdissement dans lequel tombe
l'économie, cherche à en
prévenir les suites en sollicitant des
actes d'excitation et de réveil; alors
tous les muscles de l'économie se
contractent, aussi bien ceux de la locomotion
que ceux de la respiration. Cette contraction
générale est déjà un
moyen de stimulation".
-
- Almire
Lepelletier de la Sarthe (1790-1880) adepte
de la physiognomonie, développée
par Johann-Casper Lavater en 1775,
dépasse largement son maître en des
propos attristants qui nous répugnent:
"Lors que le bâillement est habituel, on
peut supposer chez le sujet: intelligence
bornée, sans initiative, esprit lent
paresseux, inactif; caractère mou, faible
indolent, craintif, indifférent,
mélancolique, ennuyeux, incapable d'une
résolution énergique, d'une
entreprise longue, difficile ou
périlleuse; quelque fois astucieux,
rusé, méditant le vol et la
fraude, au cours des affaires".
-
- Jules-Bernard
Luys (1828-1897) publie en 1865 "Ses
recherches sur le système nerveux
cérébro-spinal, sa structure, ses
fonctions et ses maladies". Il y décrit
les noyaux gris centraux donnant son nom
à l'un d'eux et envisage leur rôle
physologique complètement ignoré
avant lui. Il développe des idées
novatrices également concernant le
bâillement: "Pour peu qu'on y
réfléchisse en effet, il est
d'observation vulgaire qu'au moment où
les cellules cérébrales commencent
à passer à l'état
d'inactivité, les régions
bulbaires de l'axe spinal qui tiennent sous leur
dépendance immédiate le jeu des
appareils respiratoires, sont modifiés
dans leur mode de fonctionnement. Toute le monde
sait en effet que le bâillement est le
signe prémonitoire qui indique que les
conditions de l'activité fonctionnelle
diurne du système nerveux ont
cessé d'être ce qu'elles
étaient précédemment.
Qu'est-ce, en effet, que le bâillement, si
ce n'est une inspiration involontaire indiquant
par elle même que l'innervation de la
sphère de l'activité automatique
acquiert à la région bulbaire une
influence prépondérante, par la
suite de la rétrocession de l'influx
cérébral, et qu'il se passe en ce
point limité de l'axe spinal, une sorte
d'interrègne et de perturbation du
stimulus incitateur? D'autre part, le rhythme si
particulier que prennent les mouvements
inspiratoires pendant la période de
collapsus du cerveau, leur succession si
mesurée, leurs caractères si
franchement automatiques, nous portent
pareillement à penser qu'ils ont
cessé d'être régis par les
mêmes foyers d'innervation que ceux qui
les suscitent pendant l'état de
veille".
-
- La fin du XIXè siècle que nous
abordons maintenant est dominée par les
travaux de Jean-Martin
Charcot (1825-1893) et de ses
élèves Charles
Féré (1852-1907) et Georges
Gilles de la Tourette (1857-1904). La plus
célèbre observation de
bâillements pathologiques a
été présentée par
JM. Charcot le mardi
23 octobre 1888. Sa jeune patiente de 17 ans
bâille 8 fois par minute soit 480 fois par
heure sans s'arrêter sauf pendant le
sommeil; elle a des crises épileptiques
généralisées, une anosmie
complète, une amputation bitemporale des
champs visuels. Gilles de la Tourette, reprenant
cette observation dans la Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, en 1890,
précise qu'elle a une
aménorrhée depuis près d'un
an, sans indiquer si une galactorrhée
avait été recherchée. Et
pourtant, JM. Charcot poursuit: « Vous
avez sans doute prévu, après ce
que je viens de vous dire, que nous sommes ici
dans le domaine de
l'hystérie ». S'il est permis,
120 ans plus tard, de critiquer le maître,
JM. Charcot avait très probablement
devant lui une jeune fille porteuse d'une
adénome hypophysaire à prolactine
comprimant son chiasma optique et son
hypothalamus. Etonnament, JM. Charcot reprend
sans aucune critique: "Physiologiquement, on
assure que c'est un acte automatique
nécessite par un certain degré
d'anoxémie, un besoin d'hématose
des centres nerveux". Dans le tome 3 de La
Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière (1890), Gilles de la
Tourette ajoute à ce cas quatre autres
observations où se mêlent
mouvements anormaux et convulsions
rapportés à l'hystérie. Il
est bien délicat de porter un diagnostic
précis mais une pathologie organique est
probable au niveau thalamique ou hypothalamique
comme une tumeur avec hypertension
intra-crânienne ou une maladie de tics
chroniques. Gilles de la Tourette reprendra ces
cas et les commentera à nouveau dans son
Traité de l'hystérie en trois
volumes de 1895 justifiant, à ses yeux,
leur origine hystérique. Enfin en 1905,
Ch. Féré publie une note sur le
bâillement à la
Société de Biologie rendant compte
de ses efforts pour mesurer la force musculaire,
notant sa diminution après les
bâillements (?).
-
- Paolo
Mantegazza (1831-1910) est un psychologue
italien auteur de "La physionomie et
l'expression des sentiments". Il est le premier
à rapporter: "Le bâillement exprime
les choses les plus variées telles que la
faim, la soif, et, surtout chez la femme, le
besoin de l'amour physique; mais dans la mimique
de la douleur, c'est un élément
caractéristique de l'ennui".
-
- En 1891, l'américaine Henrietta
Russell, de New York, décrit, dans
son livre "Yawning", la gymnastique naturelle,
comparable à la relaxation conempraine,
montrant tout l'intérêt du
bâillement induit par la relaxation source
d'une sensation de détente et de
bien-être. Elle a largement fait
école depuis et une thèse a
été consacrée à ce
thème en 2006 en France.
-
- Le XXè
siècle
- 1901 est une année capitale dans
l'étude du bâillement. En effet,
René
Trautmann (1875-1956) soutient sa
thèse de doctorat à Bordeaux
présidée par Paul Vergely: Le
Bâillement. C'est la première
thèse sur les trois soutenues en France
au XXè siècle sur ce thème,
et de loin la plus intéressante.
Trautmann, formé à l'école
de santé militaire, deviendra
médecin en Afrique pour toute sa
carrière militaire, rédigeant
quelques nouvelles de ses séjours et des
études éthnologiques
marquées par l'esprit colonisateur de
l'époque. Cette thèse brosse un
historique très riche et encore bien
utile. Trautman décrit en détail,
plus loin, comme aucun de ses
prédécesseurs, l'activation des
muscles de la face et des voies respiratoires et
en conclue au rôle d'amélioration
de l'oxygènation du sang grâce au
bâillement. Il passe en revue les
différentes théories expliquant la
contagiosité du bâillement et
propose: "le bâillement rentre dans la
catégorie des faits que l'habitude
renforce, que la dépression morale
favorise. Lorsque l'esprit est tendu, lorsqu'on
prête une grande attention à un
récit, on ne bâille pas.,
même si une ou plusieurs personnes
accomplissent cet acte. Le bâillement est
un phénomène purement imitatif, au
même titre que les gestes et les
mouvements involontaires de la face
exécutés par beaucoup d'individus
assistant à un discours ou une
séance de déclamation.... La plus
grande fréquence du bâillement
provoqué, selon les sujets,
résulte d'une plus grande tendance
à l'imitation instinctive chez eux".
Trautmann accepte l'idée que
bâiller est involontaire mais s'oppoe aux
écrits historiques qu'il cite en
proposant une méthode pour le
déclencher à volonté: "nous
avions remarqué depuis longtemps qu'il
nous était possible, par un
mécanisme particulier, de
déterminer à volonté un
bâillement complet; plusieurs de nos
camarades, étudiants en médecine,
sont arrivés au même
résultat. Il suffit de tendre
énergiquement les muscles
sus-hyoïdiens en inspirant lentement et
profondément; le maxillaire
inférieur est abaissé et
projeté en avant, un bourdonnement se
produit dans l'oreille: le bâillement a
lieu." Trautmann passe longuement en revue
toutes les formes de bâillements
pathologiques en y apportant quelques
observations personnelles de salves de
bâillements à la phase des frissons
lors du début d'une fièvre. Un
long chapitre décrit les
bâillements des femmes enceintes notamment
lors d'accouchements hémorragiques ou de
fièvres puerpérales, avec ses
propres observations. En sa conclusion,
Trautmann écrit: "le bâillement,
s'il se manifeste toujours de la même
façon, en tant qu'acte musculaire, peut
être considéré comme un
réflexe d'ordre différent suivant
les cas où il se produit: a) on peut
l'envisager d'abord dans quelques circonstances
comme un réflex uniquement
médullaire; b) dans d'autres, comme un
réflexe mésencéphalique; c)
enfin, il nous paraît évident que
souvent il est constitué par un
réflexe cérébral et
cortical, fort probablement". Il remet en cause
ainsi, à la fin de sa thèse, la
théorie ventilatoire qui n'explique pas
tous les cas cliniques qu'il a
présentés et suggère de
découvrir les mécanismes
neurologiques qui déclenchent le
bâillement. Trautmann apparait ainsi comme
le "premier des modernes".
-
- André
Vigouroux et Paul Juquelier consacre en 1905
un livre à "La contagion mentale". Ils
conçoivent le bâillement comme un
réflexe ce qui le rendrait contagieux par
nature. Ils émettent surtout
l'hypothèse, qui fera succès sous
le nom de théorie de l'esprit, qu'en
mimant involontairement les gestes, actions,
émotions d'autrui nous en
acquérons la capacité de
décoder le ressenti de celui que nous
observons. Cette théorie se renouvelera
à la fin du XXè siècle avec
la découverte des neurones miroirs: "la
vue d'actions coordonnées, rythmiques et
devenues réflexes chez ceux qui les
exécutent, provoquent chez les
spectateurs des réactions motrices,
parfaitement inconscientes, mais
également rythmiques, qui sont pour ainsi
dire une ébauche de la reproduction, des
actes perçus".
-
- FH.
Pike, de l'Université Colombia,
à New York, propose en 1916 dans "Journal
of Heredity" une revue exhaustive où sont
pris en compte le monde animal et la vie
ftale et renouvèle les concepts sur
l'origine du bâillement, que ce soit sous
l'emprise de la faim ou par la
nécessité de combattre un
ennemi.
-
- John
Hughlings Jackson décrit dans le
numéro du 21 janvier 1905 du "Lancet" une
observation faite personnellement: alors qu'il
réalise un fond d'oeil à un
patient, il constate subitement une pâleur
rétinienne attribuée à un
spasme artériollaire, aussitôt
suivie d'un bâillement qui rétablit
l'aspect antérieur de la
rétine.
-
- La période qui suit la
première guerre mondiale a
été marquée par
l'importante épidémie
d'encéphalite léthargique dite de
von
Economo. A côté des formes
léthargiques souvent fatales ou
guérissant au prix d'un syndrome
parkinsonnien et de mouvements anormaux (crises
occulogyres), une forme plus rare, à
l'inverse, se manifestait pas une insomnie
rebelle et mortelle, très souvent
accompagnée de salves de
bâillements répétés.
Jean Sicard et
André Paraff ont publié en
1921 un cas, associé à des
accès de rires, comparable à une
épilepsie gélastique. Gabrielle
Lévy, élève de
Pierre Marie
et Jean
Lhermitte y consacra sa thèse en
France en 1922, alors qu'aux USA, MacDonald
Critchley, Smith
E. Jelliffe, et en Suisse, Raymond
de Saussure, Georges
Guillain et Pierre Mollaret à Paris,
collectaient des observations où les
bâillements peuvent s'interpréter
comme des mouvements anormaux, proches de tics
et de comportements de relaxation au
décours d'épisodes
d'hyperventilation involontaire.
-
- Edouard
Claparède (1873-1940) médecin
et psychologue genevois se consacra, entre
autres, à la psychologie de l'enfant.
Dans une revue destinée aux enseignants,
L'Educateur, en 1924, il s'inspire de travaux
allemands de Valentin
Dumpert (1921) précisant que
l'inspiration du bâillement est la
conséquence d'une contraction massive du
diaphragme, part de la pandiculation et non
d'une origine ventilatoire propre. Il est le
premier à renverser le paradigme du
bâillement ventilatoire et inaugure la
théorie actuelle d'un
phénomène neuromusculaire
d'origine diencéphalique: "Le
bâillement n'est incompréhensible
que lorsqu'on le considère
isolément. Tout s'éclaire au
contraire si on le regarde comme n'étant
qu'une portion d'un réflexe plus
général, le réflexe
d'étirement. Nous savons tous en effet
que le bâillement ne va guère sans
un étirement général du
corps; le fait est frappant chez certains
animaux, comme le chien ou le chat. Il est
manifeste aussi chez les petits
bébés, et bien souvent chez
l'adulte lui-même. Dumpert a
constaté chez lui que le fait de
s'étirer volontairement déclenche
involontairement le bâillement. (Cette
observation est facile à
répéter.) Il a noté aussi
que, chez les hémiplégiques, le
bâillement suscite des mouvements
associés: chez eux, les membres
paralysés présentent des
mouvements d'extension qui persistent pendant
toute la durée du bâillement. Il
n'y a pas de doute, pense-t-il, que ces
mouvements associés n'appartiennent au
réflexe total d'étirement".
[...] " Lorsqu'un de nos auditeurs
bâille, pouvons-nous vraiment croire non
pas qu'il désire ne plus nous entendre,
mais au contraire qu'il s'efforce de nous
écouter ?" Le bâillement
devient un stimulant de la vigilance, une vraie
révolution !
-
- Paul
Delmas-Marsallet présente, en 1937,
dans la revue Oto-Neuro-Ophtalmologie un article
titré « Le signe du bâillement
dans les lésions du cerveau frontal
». Il y décrit cinq observations de
bâillements incoercibles
révélant soit des hématomes
frontaux soit des tumeurs frontales. Il propose
de retenir le bâillement incoercible comme
signe clinique d'hypertension
intra-crânienne, ce qui reste vrai.
-
- Paul Heusner
établit en 1946 dans Physiological
Review, la première synthèse en
anglais. Les notions de phylogenèse
émergent pour la première fois.
Une description précise des
différents temps du bâillement et
les horaires quotidiens sont
scientiÞquement mesurés. Le tronc
cérébral et les noyaux gris
centraux apparaissent comme à l'origine
du bâillement, après des
observations de bâillements chez des
nouveau-nés anencéphales,
où lors de parakinésie brachiale
chez l'hémiplégique.
-
- Jean
Barbizet publi en 1958, en français
et en anglais, une vaste compilation des
données et concepts historiques, enrichie
par les premières mesures,
réalisées par l'auteur en
radioscopie, de l'expansion
pharyngo-laryngée au cours des
bâillements. Il montra ainsi qu'à
l'acmé d'un bâillement le
diamètre pharyngo-laryngé est
multiplié par quatre. Il décrit
les premiers travaux de P. Passouant qui, par
électrostimulation de l'hypothalamus,
déclenche des bâillements
expérimentaux chez le chat. Alors que la
parakinésie involontaire du bras
paralysé d'un hémiplégique
est rappelée, il signale l'observation
insolite de D. Furtado : le mouvement passif du
bras paralysé d'un malade atteint de
poliomyélite déclenche des
bâillements, cas jamais retrouvé
depuis.
-
- A.
Montagu écrit, en 1962, un article
dans le JAMA, fréquemment cité
depuis , où il propose pour la
première fois le concept du
bâillement stimulant la vigilance, tout en
attribuant la baisse de celle-ci à un
déÞcit d'oxygènation
cérébrale.
-
- J.
Boudouresque essaie, en 1965, une
synthèse des connaissances pour
l'Encyclopédie
Médico-Chirurgicale. Reprenant le concept
ancien de bâillement équivalent
d'un acte respiratoire modiÞé, il
indique clairement le diencéphale et le
tronc cérébral comme lieu
d'origine. Après un catalogue complet des
causes d'excès de bâillements, il
conclut par « Le bâillement
représente le signe le plus
évocateur d'une souffrance
méso-diencéphalique ; sa valeur
pronostique est considérable : il est un
synonyme de gravité ».
-
- S'ouvre alors, en 1963, l'ère des
pharmacologues qui publient les premiers travaux
de déclenchement expérimental du
bâillement qui se révèle
constamment associé à
l'érection et souvent des
étirements des membres chez le rat, le
chat, le singe Mongabé. W
Ferrari et GL.Gessa et al. publient dans Les
Annales de l'Académie des Sciences de New
York les résultats de l'injection
intra-cérébrale d'ACTH, hormone
hypophysaire stimulant la
sécrétion de cortisol et d'autres
stéroïdes du cortex
surrénalien. L'ACTH, peptide de 41 acides
aminés, est produite à partir d'un
précurseur (pro-opiomélanocortine
ou POMC) et agit au niveau du noyau
paraventriculaire de l'hypothalamus. Or la POMC
est également précurseur d'autres
protéines hormonales comme l'alpha MSH,
hormone stimulant la
mélanogénèse, qui se
révèleront inductrices de
bâillements après injections
corticales.
-
- Le rôle central du noyau
paraventriculaire de l'hypothalamus est
précisé, en 1980, par les travaux
de W. Ferrari, A. Argiolas, et MR. Melis en
Italie, R.
Urba-Holmgren et B. Holmgren au Mexique,
renouvelant l'approche des systèmes
dopaminergiques et cholinergiques
cérébraux.
-
- Dans les années 80-90, les
psychologues américains R.
Provine, et R. Baenninger publient les
premiers travaux scientiÞques
d'étude comportementale du
bâillement en prenant leurs
étudiants comme population d'observation.
Sans qu'il semble y avoir lien ou concertation,
l'éthologie avec BL.
Deputte en France et F.
Troisi aux Pays-Bas, décrit les
différents type de bâillements
observés chez les primates non humains,
notamment l'existence de bâillements
testostérone dépendants chez les
mâles dominants d'un groupe.
-
- En ce début du XXIè
siècle, les mécanismes
neuro-hormonaux semblent établis, faisant
du bâillement un marqueur de
l'activité des récepteurs D3
à la dopamine. L'étude de "la
contagion" du bâillement offre un exemple
de langage non verbal s'intégrant dans la
théorie de l'esprit. Sa déficience
chez les enfants autistes, son imagerie
cérébrale renouvèlent la
manière de concevoir les
mécanismes neuropsychologiques du
décodage involontaire des
émotions, rapprochant le bâillement
de l'empathie.
-
- Après avoir été un
phénomène assimilé à
une ventilation forcée pendant des
siècles, le bâillement est devenu
une stéréotypie
émotionnelle extériorisant des
phénomènes d'homéostasie
des systèmes d'éveil, de la
satiété et de la
sexualité.
-
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